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Georges Chastellain
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L.II, chap. 12 - Comment la Pucelle combattit et déconfit Franquet d'Arras. |
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i me souvient maintenant comment ung peu par
avant que la Pucelle fust venue au secours de Compiègne,
ung jour, ung gentil homme d'armes, nommé
Franquet d'Aras, tennant le party bourguignon, estoit
allé courre vers Laggny sur Marne, bien accompagnié de bonnes gens d'armes et de archiers, en nombre de
IIIc ou environ. Si voult ainsi son aventure que ceste
Pucelle, de qui Franchois faisoient leur ydolle, le rencontra
en son retour ; et avoit aveuques elle IIIIc Franchoix
bons combattans ; lesquelz, quant tous deux
s'entreveirent, n'y avoit cely qui peust ou voulsist par
honneur fuir la battaille, excepté que le nom de la
Pucelle estoit si grant jà et si fameux, que chacun la
resongnoit comme une chose dont on ne savoit comment
jugier, ne en bien, ne en mal ; mes tant avoit fait
jà de besongnes et menées à chief, que ses ennemis la
doubtoient, et l'aouroient ceulx de son party, principalement
pour le siége d'Orliens, là où elle ouvra
merveilles ; pareillement pour le voyage de Rains, là
où elle mena le roy coronner, et ailleurs en aultres
grans affaires, dont elle predisoit les aventures et lesévénemens.
Or estoit ce Franquet corrageux homme et de riens
esbay, que veist, pour tant, que remède s'i pooit mettre
par combatre, et la Pucelle, à l'aultre lez, mallement
enflambée sur les Bourguignons, et ne queroit tousjours
qu'à inciter Franchoix à battaille encontre eux.
Si s'entreferirent et combattirent ensemble longuement
les deux parties, sans que Franchois emportassent
riens des Bourguignons, qui n'estoient point si
fors (1) toutes voies comme les aultres, mais de
grant valeur et de bonne deffense, pour cause des archiers qu'avoient aveuques eulx, qui avoient mis pié à
terre.
Laquelle chose quant la Pucelle vit, que rien ne
faisoient se encore n'avoient plus grant puissance aveuc
eulx, manda astivement à Laigny toute la garnison.
Si fit elle de toutes les places de là entour, pour venir
aider à ruer jus ceste petite poignée de gens dont ne
pooit estre maistre. Lesquelz venuz à haste, reprindrent
la tierce battaille encontre Franquet, et là, non soy querant sauver par fuite, mais espérant tousjours
eschapper et sauver ses gens par vaillance, finablement
fut pris, et toutes ses gens mors la pluspart et desconfis
; et luy, mené prisonnier, fut décapité après par
la crudélité de ceste femme qui desiroit sa mort : dont
plainte assez fut faite en son party, car vaillant homme
estoit et bon guerroyeur (2).
Or il me souvient maintenant comment un peu par avant que la Pucelle fût venue au secours de Compiègne, un jour, un gentilhomme d'armes, nommé Franquet d'Arras, tenant le parti bourguignon, était allé courir vers Lagny-sur-Marne, bien accompagné de vaillants gens d'armes et d'archers, au nombre de trois cents environ. Son aventure voulut qu'à son retour, il fut rencontré par cette Pucelle dont les Français faisaient leur idole, qui avait avec elle quatre cents Français, bons combattants. Dès qu'ils s'entrevirent, ni l'un ni l'autre ne pouvait ni ne voulait par honneur fuir la bataille ; avec cette différence près que le nom de la Pucelle était déjà si grand et si fameux que chacun la redoutait comme une chose dont on ne savait bien juger ni en bien ni en mal ; mais elle avait déjà fait et mené à terme tant d'entreprises que ses ennemis en avaient peur, et que ceux de son parti l'adoraient, principalement pour le siège d'Orléans, où elle fit œuvres merveilleuses, pareillement pour le
voyage de Reims, là où elle mena couronner le roi, et ailleurs dans
d'autres grandes affaires dont elle prédisait les suites et les événements.
Or, ce Franquet était un courageux homme que rien n'ébahissait ; qui
vit bien que le seul remède à son cas était de combattre la Pucelle, ne
respirant de son côté que de tomber sur les Bourguignons, et ne cherchant
toujours qu'à inciter les Français à batailler contre eux. Les deux parties
en vinrent aux mains et combattirent longuement sans que les Français
remportassent d'avantage sur les Bourguignons, ayant cependant moins
de forces que leurs adversaires, mais ils étaient hommes de grande valeur
et de bonne défense, à cause des archers qu'ils avaient avec eux, qui
avaient mis pied à terre.
Quand la Pucelle vit que rien ne se ferait si elle n'avait encore de plus
grandes forces, elle manda en toute hâte la garnison entière de Lagny, et
ainsi fit-elle des garnisons d'alentour, pour qu'on vînt l'aider à coucher à
terre cette petite poignée de gens, dont on ne pouvait être maître.
Accourus précipitamment, ils reprirent un troisième combat contre
Franquet. Celui-ci, sans songer à se sauver par la fuite, espérant toujours
s'échapper et sauver ses gens par vaillance, finit par être pris, tandis que
ses gens étaient tués pour la plupart et tous déconfits. Conduit prisonnier,
il fut dans la suite décapité par la cruauté de cette femme qui désirait
sa mort ; ce dont grandes plaintes furent faites dans son parti, car il était
vaillant homme et bon guerrier.
Source
: texte original : Quicherat, t.IV, p.440
Mise en Français modernisé, J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III, p. 459.
Notes :
1 Les chroniqueurs français disent le contraire. Chastellain semble avoir suivi Monstrelet (Quicherat).
2 Voir Monstrelet. (Q.IV, p.399)
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