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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-102 - Comment Maillotin de Bours et messire Hector de Flavi se combatirent l'un contre l'autre en la ville d'Arras.

e XXe jour du mois de juing en cest an, fut fait à Arras, en la présence du duc de Bourgongne, ung champ d'armes entreprins paravant, de Maillotin de Bours appellant contre messire Hector de Flavi deffendant. Et estoit la querelle pour ce que ledit Maillotin avoit accusé ledit messire Hector devers ledit duc de Bourgongne, en disant qu'il avoit voulenté de se rendre son ennemi et se tourner du parti du roy Charles, et luy avoit requis qu'il s'en voulsist aler avec lui, et que d'un commun accord ilz prinssent Gui Guillebaut, lequel estoit gouverneur des finances d'ycelui duc, ou quelque aultre bon prisonnier, pour payer leurs despens. Sur lequel rapport avoit esté chargé, de par le dessusdit duc audit Maillotin, que lui mesmes prist ledit Hector et l'amenast prisonnier à Arras. Ce qu'il fist. Car lui, receu le commandement dessusdit, fut acompaignié de gens en nombre compétent, et s'en ala à ung village emprès Corbie, nommé Bouray. Sy le manda, et ledit messire Hector vint devers lui, comme non sachant que ledit rapport eust esté fait de lui. Si y vint à privée maisnie. Car ledit Maillotin faignoit qu'il vouloit parler audit messire Hector. Et quant ledit Hector fut venu devers lui, tantost le prinst et le fist prisonnier, et le mena audit lieu d'Arras, où il fut longue espace. Mientmains, par le pourchas de ses amis, fut mené à Hesdin, en la présence du duc. Et aussy ledit Hector se excusa moult fort de ce qu'on lui mettoit sus, disant entre aultres choses que ledit Maillotin mesmes l'avoit requis de pareil cas dont il l'accusoit. Toutefois, la besongne fut tant pourparlée entre les parties, que Maillotin jetta son gaige, et messire Hector le leva par le congié du prince. Si leur fut jour assigné au XXe jour de juing, comme dit est. Et y pouvoit avoir environ quarante jours de jour (1).Si baillèrent chascun bon respondant de comparaître en personne audit jour. Laquelle chose ilz firent. Et pour tant, en ce mesme jour, environ dix heures, vint le duc de Bourgongne de son hostel d'Arras, grandement acompaignié de sa chevalerie et aultres nobles, à son eschafault, qui estoit fait pour lui, tout propice, sur le grand marchié, contre le milieu des lices qui par avant avoient esté faites ou lieu acoustumé. Dedens lequel eschafault entrèrent avec ledit duc les contes de Saint Pol, de Ligney et pluiseurs aultres notables chevaliers et escuyers. Si avoit dedens ledit parc deux pavillons tendus, et au dehors d'yceulx deux grandes chayères de bois pour les deux champions. Et estoit celui de Maillotin au dextre lez du duc, pour ce qu'il estoit appellant, et le messire Hector au senestre. Lequel pavillon du dessusdit messire Hector estoit armoyé moult richement de seize manières de blasons, c'est assavoir des costez dont lui et ses ancestres estoient yssus, et dedens y celui estoit figuré ung sépulcre, pour ce que y celui messire Hector avoit esté fait chevalier ou sépulcre de Jhérusalem. Si fut assez brief ensuivant le dessusdit Maillotin appelle par le roy d'armes à venir comparoir en personne au jour qui lui estoit assigné. Lequel Maillotin, envi ron onze heures, yssi de son hostel, acompaignié du seigneur de Chargni, du seigneur de Humières et de messire Pierre Quiéret, seigneur de Ramencourt, avec pluiseurs aultres gentilz hommes, ses parens et amis, et séoit sur ung cheval couvert de ses armes, et si estoit armé de plain harnas, le bacinet ou chief, la visière abatue, tenant en l'une de ses mains sa lance, et eu l'aultre tenoit l'une de ses espées, desquelles il en avoit deux. Et si avoit une grosse daghe pendue a son costé au harnas. Et menoient, deux des chevaliers dessusdiz, estant tout à pied, son cheval par le frain. Et ainsi vint jusques à la barrière des lices, au dehors desquelles il fist le serement acoustumé en tel cas, en la main de messire Jaque de Brimeu, qui à ce estoit commis. Après lequel serement lui fut la barrière ouverte. Si entra dedens, lui et ses gens, qui estoient tout à pied, à tout lesquelz il se ala présenter au duc de Bourgongne devant son eschaffault, et puis retourna à sa chayère, où il descendi jus de son cheval, et entra en son pavillon pour lui reposer et attendre son adversaire. Et avec lui entra aussi le seigneur de Chargni, qui le introduisoit de ce qu'il avoit à faire, et aulcuns aultres de ses plus privés. Et assez brief ensuivant, le roy-d'armes d'Artois dessusdit appella messire Hector de Flavy, ains qu'il avoit fait l'aultre. Lequel messire Hector, environ le quart d'une heure après, yssi hors de son hostel et vint tout à cheval, armé et embastonné comme avoit fait son adversaire, jusques à la barrière des lices, grandement acompaignié de pluiseurs gentilz hommes, entre lesquelz estoient les deux enfans du conte de Saint Pol, est assavoir Loys et Thiébault. Et menoient tout à pied son cheval par le frain, et les aultres seigneurs suivoient derrière, tout à pied, est assavoir le seigneur d'Antoing, le visdame d'Amiens, Jehan de Flavy, frère dudit messire Hector, Hue de Lannoy, le seigneur de Chauny, le seigneur de Saveuses, messire Jehan de Fosseus, le seigneur de Crievecuer et très grand nombre d'aultres notables chevaliers et escuyers. Lesquelz venus à ycelle barrière, fut par ledit messire Hector fait le sairement, et puis entra dedens, et se ala présenter au dessusdit duc de Bourgongne, et après retourna à sa chayère, où il descendi de son cheval, et puis entra en son pavillon. Si alèrent assez tost après, tous deux, devant l'eschaffault d'ycelui duc, et tout à pied, où ilz firent le sairement dessus le livre, chascun de combatre sur bonne querelle, et après retournèrent en leurs lieux. Et adonc fut cryé parle roy-d'armes dessusdit, que sur le hart tout homme vuidast les lices, si non ceulx qui estoient commis à les garder. Et lors, on osta les chayères et pavillons, et fut cryé de rechief qu'on laissast aler les champions et qu'ilz feissent leur debvoir. Sy avoit esté ordonné de par le prince, que de chascune partie demourassent dedens les lices huit hommes, de leurs plus prochains, non armés, avec les huit qui estoient commis pour les prendre et lever quand ilz en auroient le commandement du juge. Et leurs chevaulx, qui estoient couvers de leurs armes, furent laissiés aler. Après lequel cry dessusdit, Maillotin de Bours, qui estoit appellant, commença à marcher tout premier, et après messire Hector vint contre lui, chascun d'eux paumoiant leurs lances gentement. Lesquelz, à l'approuchier, les jetterent l'un contre l'autre, et point ne s'entre attaindirent. Et incontinent, monstrant signe de moult hardiesce, approuvèrent l'un l'aultre. Toutefois, en ce faisant, messire Hector leva audit Maillotin la visière de son bacinet, de cop, d'espée par plusieurs fois, tant qu'on véoit son visaige plainement, pour quoy, le plus d'yceulx là estant, tenoient messire Hector estre au desus de sa querelle. Nientmains ledit Maillotin, sans lui pour ce esbahir, à toutes les fois la referma vistement, en frapant de son espée par dessus, et en desmarchant ung pas. Durant lequel temps que les deux champions dessusditz monstroient signe de grand hardiesse et vaillance l'un contre l'autre, fut dit par le duc de Bourgongne, qu'on les prenist en ce point. Laquelle chose fut faite sans délay par ceux commis à ce faire. Et n'avoient point tiré de sang l'un de l'aultre. Si fut tantost ordonné que chascun retournast en son hostel. Laquelle chose ilz firent, et yssirent hors des lices, aussi tost l'un comme l'autre, chascun par son lez. Et le lendemain, chascun deux disnèrent à la table du duc; et estoit messire Hector au dextre lez. Après lequel disner leur fut ordonné de par ycelui duc, sur paine capital, que jamais ne portassent dommage ne deshonneur l'un à l'aultre, ne à leurs amies aliés et bien vueillans, et avec ce leur fist pardonner la malveillance qu'ilz avoient l'un à l'aultre, et les fist couchier ensamble.

                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 C'est-à-dire quarante jours de délai pour répondre à l'appel.


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