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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-17- [Comment, en ce temps, grant quantité d'Anglois arrivèrent à Calais, et autres matières en brief. Et comment messire Jehan de Luxembourg asséga la ville de Guise. — Et plusieurs autres matières.] |
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u commencement de cest an, vindrent d'Angleterre, nagant par mer, en la ville de Calais, seize cens combatans anglois ou environ, dont la plus grant partie alèrent à Paris devers le duc de Bethfort, et les autres devers messire Jehan de Luxembourg sur les marches de la contée de Guise. En après, messire Jehan de Luxembourg traicta avec Pothon de Saincte-Treille et autres ses prisonniers, par condicion que eulx et leurs gens se départiroient de la ville de Guise et s'en yroient oultre l'eaue de Loire, sans faire guerre ne dommaige, promectans de non retourner, sinon en la compaignie du roy Charles. Par le moyen duquel traictié et aucunes autres finances que ledit Pothon paya, fut mis en plaine délivrance, lui et ses gens, et s'en ala oultre la rivière de Loire, comme dit est.
Environ cest an, s'assemblèrent sur les marches de Champaigne, Lahire, Jehan Raulet et aucuns autres capitaines tenans le parti du roy Charles, avec grant nombre d'autres gens, lesquelz ilz menèrent et conduiront sur les marches d'Ardenne et de Retteloix, et assegièrent en sa forteresce raessire Olivier d'Estanevelle.
En ces propres jours, par l'ordonnance du duc de Bethfort et du duc de Bourgongne, messire Jehan de Luxembourg fist grans préparations de gens et de habillemens de guerre pour asségier la ville de Guise en Térace. Après lesquelles préparations, en sa compaignie le seigneur de Piquegni, visdame d'Amiens, les seigneurs d'Antoing, de Saveuses, messire Colart de Mailly, Ferri, son frère, messire Daviod de Poix, Mauroit de Saint-Légier, messire Lyonel de Bournonville, le bastard de Saint-Pol et plusieurs autres, vindrent devant ladicte ville de Guise. Et avec lui estoit messire Thomas de Rampston, anglois, à tout certain nombre de combatans. Lesquelz venus devant ycelle ville, trouvèrent grand résistence de la garnison qui estoit dedens. Laquelle garnison, affin que leurs ennemis ne les peussent approucher, ardirent leurs faulzbourgs, où il avoit moult belles habitations, excepté deux maisons qui ne furent point arses. Mais ce ne leur valut riens, car tantost ledit messire Jehan de Luxembourg fist loger ses gens en plusieurs lieux à l'environ de la ville, et fist dresser ses engins contre la porte et muraille, vers les faulxbourgs. Lequel siège ainsi mis comme dit est, furent en brief envoyées les nouvelles au duc Regnier de Bar (1) et conte de Guise, et aussi au duc de Lorraine, son beau-père, par Jehan, seigneur de Proisy, gouverneur et capitaine d'icelle ville de Guise. Lequel, par ses lectres et messages supplioit humblement, en notifiant la nécessité où il estoit, au dessusdit duc de Bar, son seigneur, qu'il lui voulsist donner souscours. Lesquelles nouvelles despleurent moult à iceulx ducz. Et pour tant, assamblèrent par plusieurs fois leurs consaulz et grand nombre de gens, pour à ce mectre pourveance. Mais, pour doubte qu'ilz ne meissent leur pays en guerre contre le jeune roy d'Angleterre et le duc de Bourgongne, ilz se déportèrent de y procéder par voye de fait. Et par ainsi se continua ledit siège assez paisiblement, par certaine espace de temps, si non des asségiez, qui souventesfois firent plusieurs saillies, en grevant à leur povoir leurs ennemis. Lesquelles saillies, chascune a par soy, seroient trop longues à racompter.
En cest an, environ la Saint Jehan Baptiste, le conte de Salsebery, gouverneur de Champaigne et de Brie, homme très renommé en armes, expert et subtil, asséga en la conté de Vertus une bonne petite ville nommée Sedune1, laquelle en conclusion fut prinse par force d'assault par une mine, et ceulx qui estoient dedens, pour la plus grant partie, furent cruellement occis, et en y eut de mors environ deux cens, et les autres furent prisonniers, et avec ce tous leurs biens furent ravis et pilliés, les femmes violées et ladicte forteresce démolie. Et si avoit ledit conte de Salsebery devant icelle, le seigneur de Chastillon, qui fut fait chevalier dedans la mine par la main dudit conte. Et estoit le capitaine d'icelle ville ung très vaillant homme d'armes, nommé Guillaume Marin, lequel fut occis avec les autres à ladite prinse d'icelle.
En ce temps, le duc de Bethfort fist asségier le chastel de Gaillon, qui estoit à l'archevesque de Rouen, moult forte place, laquelle tenoient les gens du roy Charles. Et finablement fut tant batu par les engins des asségans qu'en la fin les asségiés se rendirent et se départirent, sauves leurs vies; et fut ycelle forteresse démolie.
Environ ledit mois de juing, le duc de Bethfort fist asségier la ville et chastel d'Yveri (2), et brief après le siège mis, fut la ville gaignée par puissance, et le chastel, qui estoit moult fort et bien garny de gens d'armes, se tint environ ung mois, au bout duquel les asségiés firent traictié avec les Anglois, promectant à livrer ladicte forteresce la nuit de l'Assumption Nostre-Dame, en cas qu'ilz n'auroient souscours du roy Charles puissant assez pour les combatre et demourer victorieux sur la place. Après lequel traictié et les seuretez prinses, se desfist ledit siège.
En ce temps les Anglois et les Bourguignons tenoient plusieurs sièges sur les marches de Normandie. Et estoient pour ce temps les François fort au dessoubz. Et pour lors, fut mise en l'obéissance du roy Henry, Neelle en Tardenois (3). Et fist, Alardin de Monsay, traictié avec le duc de Bethfort, pour la forteresse de La Fère (4), par condicion qu'il ne ferait point de guerre se elle demouroit en sa main, si non que le roy Charles retournast à puissance oultre l'eaue de Seine en venant vers la Champaigne.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 René d'Anjou, duc de Bar, en 1419. Il avait épousé Isabelle, fille de Charles II, duc de Lorraine.
2 Yvry (Eure)
3 Nesles dans le Tardenois, aujourd"hui Seringes et Nesles (Aisne). Guillaume de Flavy fut assassiné dans le donjon du chateau de Nesles, érigé en 1226.
4 La Fère en Tardennois (Aisne).
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