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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-20- [Comment le duc de Bethfort poursuivit les François et les combati
devant Vernueil.
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r est vérité, si comme vous ay jà dit, que le duc de Bethfort avec ses barons, chevaliers et gens d'armes, estoit, comme dit est, devant Yvri, et là lui furent apportées les nouvelles véritables que ses ennemis se retraioient vers Vernueil ou Perche. Et adonc, pour ce que le jour de la reddicion d'Yveri estoit venu, fist sommer ceulx de dedens qu'ilz acquitassent leur promesse. Lesquelz, non ayans espérance de souscours, firent obévssance audit de Bethfort, et lui délivrèrent la forteresce, en prenant de lui sauf conduict pour eulx en aler avecques tous leurs biens, sans emmener nulz des prisonniers qu'ils avoient. Et lors commist, le duc, capitaine d'ycelle ville, ung chevalier de Galles renommé en armes, accompaigné de plusieurs souldoyers. Et après les dessusdictes choses acomplies, le propre jour de l'Assumpcion, se parti ledit duc de Bethfort, à tout sa puissance, et se mist à chemin pour poursuivir ses ennemis, et ala logier en une grosse ville en tirant vers le Perche, nommée Damville en Vasseulx (1). Et le lendemain, très matin, se desloga en belle et très grande ordonnance et chevaulcha jusques assez près de Vernueil. Auquel lieu et à l'environ estoient logiés les François ses ennemis, lesquelz sachans sa venue, se préparèrent diligemment et mirent leurs gens eu bataille pour assambler à l'encontre d'iceluy duc ; et firent seulement une grosse bataille, sans faire avant-garde, et avec ce ordonnèrent les Lombars et aulcuns autres, à demourer à cheval soubz la conduite du Borgne de Cameran, du Ronchin, Pothon et Lahire, pour rompre et envayr leurs ennemis par derrière, ou au travers. Et, en ce faisant, la grosse bataille des François dessusdiz estoit à pied. Pareillement, le dessusdit duc de Bethfort, avec ses gens, descendi à pied et fist mectre ses gens en bataille, en ung ost tant seulement, sans aussi faire avant-garde ne arrière-garde, ne laisser homme à cheval. Et furent mis les archers ou front devant, ayant chascun ung penchon devant eulx aguisé et fiché en terre. Et estoient les plus grans foucz desdiz archers vers les deux bous de la bataille en manière de heles (2), et derrière les hommes d'armes estoient les paiges, les chevaulx et tous les meschans gens non puissans de combatre. Lesquelz chevaulx furent par lesdiz archers lyez tous ensamble par les hateriaux (3) et par les queues en plusieurs lieux les ungs aux autres, adfin que leurs ennemis de pied ou de cheval ne les peussent surprendre. Et pour les chevaulx et baghes (4) garder, furent commis de par le duc de Bethfort deux mille archers, adfin que ladicte bataille ne peust estre envaye. Et adonc, de chascune partie, furent fais chevaliers nouveaux en très grant nombre. Après lesquelz, et toutes ces ordonnances dessusdictes faites, en icelui jeudi VIe jour d'aoust, environ trois heures après nonne (5), assamblèrent ces deux puissantes batailles l'une contre l'autre. Et à l'approcher, eslevèrent les Anglois, tous ensamble, ung grant cry, comme ilz ont acoustumé de faire. Duquel s'esmerveillèrent moult les François. Laquelle bataille ainsi assamblée dura environ les trois parts d'une heure, moult terrible, cruelle et sanglante. Et n'est point mémoire quonques feust veu deux parties à si grant puissance par si grande espace, sans veoir lequel auroit victoire, Et en ce faisant, les François qui avoient esté ordonnés à cheval pour férir les Anglois par derrière, vinrent jusques aux chevaulx lyez ensamble, dont dessus est faicte mencion, lesquelz ilz ne porrent trespercer ne passer oultre; et aussi, pour la résistence que y mirent les deux mille archers dessusdiz. Pour tant, yceulx François à cheval, à tout aucunes baghes et chevaulx qu'ilz emmenèrent, se mirent à fuyr, et laissèrent leurs autres gens combatans de pied en ce danger. Et adonc ces deux mille archers Anglois, eulx véans descombrés de leurs ennemis, se trouvèrent fraiz et nouveaulx avec leurs gens ou front devant en la bataille, et en eslevant de rechief ung grant cry. Et lors, assez brief ensuivant, se commencèrent les François à desconforter, et les Anglois en grant hardiesse se boutèrent entre eulx. Si les séparèrent et ouvrirent leur bataille en plusieurs lieux. Et tant continuèrent les diz Anglois en ce faisant, qu'ilz obtinrent la victoire et gaignèrent la bataille, non pas sans grant effusion de sang de chascune partie. Car, comme il fut sceu par rois-d'armes, héraulx et poursuivans et autres gens dignes de foy, des François dessusdiz y eut mors sur la place, de quatre à cinq mille combatans, desquels y eut grand partie d'Escossois ; et environ deux cens prisonniers. De la partie des Anglois furent mors environ seize cens, tant de la nacion d'Angleterre comme de Normendie. Desquelz furent les principaulx deux capitaines, l'ung nommé Dondelay et l'autre Charleton. Et de la partie des François y furent mors, des gens de nom, ceulx qui s'ensuivent : est assavoir, Jehan, conte d'Aumarle, filz au conte de Harcourt, le conte de Tonnoirre, le conte de Ventadour, le conte de Douglas et messire Jaques son filz, le conte de Bosqueaulx, qui alors estoit connestable du roy Charles, et le conte de Mary, le seigneur de Graville ancien, le seigneur de Montenay, messire Anthoine de Beauseault et Hugues de Beausault son frère, le seigneur de Belloy et son frère, le seigneur de Mauny, le seigneur de Combrest, le seigneur de Fontenay, le seigneur de Bruneil, le seigneur de Tumble et le seigneur de Proisy. En la Daulphiné le seigneur de Mathe, le seigneur de Rambelle. En Languedoc, messire Gautier de Lindessay, messire Gille de Gamaches, Godefroi de Malestrel, Jame du Glas, messire Charles Leboin, messire Jehan de Vretasse, messire Gille Martel, le filz Harpedaine, messire Brunet d'Auvergne, messire Raoul de La Treille, Gui de La Fourchonnière, messire Pochart de Vienne, messire Jehan de Murat, le seigneur de Vertois, messire Charles de Géraumes, Dragon de Lasalle, le seigneur de Rambuilet, le bastard de Langlain, le visconte de Narbonne, lequel après ce qu'il fu trouvé mort en la bataille, fut esquartelé et son corps pendu au gibet pour ce qu'il avoit esté consentant de la mort du duc Jehan de Bourgongne défunct; Maudet de.... (6), le seigneur de Guittri, messire François de Gaugeaux, sire Robert de Lairre, messire Loys de Teyr, le seigneur de Fouregni, Morant de La Motte, messire Charles d'Aneval et Robinet, son frère, Pierre de Courcielles, sire Aymeri de Gresille, Andrieu de Clermont, sire Tristran Coignon, Colinet de Visconte, Guillaume Remon, messire Loys de Champaigne, Pierron de Lippe, sire Loys de Braquemont, le seigneur de Tionville, le seigneur de Rochebaron, messire Phelippe de La Tour, messire Anselint de La Tour. Et y furent prins prisonniers, le duc d'Alençon, le bastard d'Alençon, le seigneur de La Faiette, le sire de Hornut, messire Pierre Hérisson, mesure Loys de Waucourt, Rogier Brisset, Hugues de Saint Marcq et Yvon du Puis. Ceulx furent les principaulx, mais moult y en eut d'autres, que je ne puis tous nommer.
Item, après que ledit duc de Bethfort eut obtenu la victoire de ladicte bataille de Vernueil comme dit est, il rassambla ses princes autour de lui, et en grande humilité remercia son créateur, ses maintes jointes et les yeulx levés vers les cieulx, de la bonne adventure qu'il lui avoit envoiée. Après, furent desnuez et desvestus grand partie des mors, et fut prins ce qu'ilz avoient de bon. Ledit duc de Bethfort se loga celle nuit autour de Vernueil, et fist très bien gaitier son ost, que ses ennemis ne fussent aucunement assamblés. Et lendemain, ceulx qui s'estoient retrais dedens la ville et chastel, c'est assavoir lesdiz François, furent sommés de par ledit duc qu'ilz rendissent la ville et forteresce. Lesquelz, actains de paour, sachans la grande mortalité et desconfiture de leurs princes, firent traictié et rendirent ladicte ville et forteresce en la main dudit duc, par condicion qu'ilz s'en yroient sauf leurs corps et leurs biens. Si y estoit le seigneur de Rambures. Et après que ledict duc eust regarni ladicte ville et chastel de Vernoel de ses gens, il retourna, à tout son ost, en Normendie.
Item, le propre jour de ceste bataille dessusdicte, se départirent de la compaignie dudit duc de Bethfort certain nombre de chevaliers et escuyers de Normendie et des marches conquises à l'environ, qui autre fois lui avoient fait serement de loyaulté, et se rendirent fugitifz. Pour laquelle offence, les aucuns furent depuis grandement punis de par ledit duc, tant par punicions corporelles, comme de leurs terres et autres biens, qui furent prins comme confisquez et mis en la main du roy Henry. Si y fut, entre eulx, le seigneur de Thorsy et messire Charles de Longueval.
En ce temps fut pris le seigneur de Maucour, qui estoit complice du seigneur de Longueval et des autres dessus déclairés, par maistre Robert le Josne, bailli d'Amiens, et fut, par le conseil du roy Henry, décapité en ladicte ville d'Amiens et son corps mis au gibet, et ses biens et héritaiges confisquez au roy. Et pareillement une autre fois fut prins Pierre de Rec-tomp, qui estoit desdiz complices, par ung nommé Raoul de Gaucourt, lequel l'envoya à messire Jehan de Luxembourg, et ledit de Luxembourg l'envoya à Paris, où il fut esquartelé comme traictre, et ses membres furent pendus en plusieurs lieux.
Item, brief ensuivant, furent portées les nouvelles de celle douloureuse journée devers le roy Charles, lequel, pour la destruccion de ses princes et de sa chevalerie, eut au cuer si grand tristesse et telle que plus n'en povoit, et fut par long temps en grand ennui, voyant que de toutes pars ses besongnes lui venoient au contraire.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 C'est Damville, chef-lieu de canton de l'Eure.
2 En manière d'ailes.
3 Hateriau cou.
4 Bagues, bagages.
5 C'est-à-dire sur le midi.
6 Ici il y a un mot en blanc dans le ms. 8346.
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