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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-32- [Comment le duc de Bethford et le duc de Bourgongne se trouvèrent ensamble en la ville de Dourlens. Et autres matières servans.] |
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a vigille de Saint Pierre et Saint Pol (1), arriva le duc de Bethfort, régent, avec sa femme, en la ville de Corbie, acompaignié de huit cens chevaulcheurs ou environ. Et estoient avecques luy, l'évesque de Terrewane (2), chancelier de France pour le roy Henri, le président en parlement, et moult d'autres notables hommes, comme gens de conseil, qui tous estoient ensamble avec ledit duc de Bethfort, qui se disoit régent. Et de là vinrent à Dourlens, le second jour ensuivant. Auquel lieu, ala pour voir ycelui régent et sa seur, le duc de Bourgongne, et firent yceulx princes grande révérence et joieuse chère l'un à l'autre, et par espécial le duc de Bourgongne, à sa seur la duchesse. Et brief après s'en ala ledit duc de Bourgongne logier à Lucheu, où estoit le conte de Saint-Pol son cousin germain. Et lendemain, environ quatre heures après midi, retourna avec luy ledit conte de Saint-Pol en la ville de Dourlens (3), et mena ladicte duchesse sa seur et toutes leurs gens, loger en son chastel à Hesdin. Auquel lieu ilz furent de par ledit duc reçeus et festyés moult noblement, et là demourèrent par l'espace de six jours, faisans grand joie et grand léesce les ungs avecques les autres, en boires, mengiers, chaceries, danses et autres esbatemens de plusieurs et diverses manières. Après lesquelx six jours, se départi ledit régent, sa femme la duchesse, et toutes leurs gens, et alèrent dudit lieu de Hesdin à Abbeville, où ilz sousjournèrent aucune espace. Et de là, par le Crotoy, où estoit lors le duc d'Alençon prisonnier, lequel fu du régent araisonné, en lui exhortant qu'il volsist faire serement et fidelité au roy Henry de Lancastre et par ainsy il seroit mis hors de prison et de servage, et lui seroient rendues toutes ses terres et seigneuries, disant ledit régent en oultre, que se ce ne vouloit faire, il demourroit en grand danger tous les jours de sa vie. A quoy ledit duc d'Alençon fist responce, qu'il estoit ferme en son propos de non, en toute sa vie, faire serement contre son souverain et droicturier seigneur, Charles, roy de France. Laquelle response oye par ledit duc de Bethfort, le fist tantost après oster de devant lui et remener en prison. Et après, par le pays de Caux, s'en ala à Paris.
Et audit lieu de Hesdin estoit Jehan, bastard de Saint-Pol, et Drieu de Humières, lesquelx portoient chascun sur son bras dextre une rondelle d'argent où il avoit paint une raie de soleil, et l'avoient entreprins pour ce qu'ilz vouloient soustenir contre tous Anglois et autres leurs aliez, que le duc Jehan de Brabant avoit meilleure querelle de demander et avoir les pays et seigneuries de la duchesse Jaqueline de Bavière sa femme, que n'avoit le duc de Glocestre. Lesquelles rondelles le duc de Bethfort leur volt faire oster par aucuns de ses gens, pour ce qu'on lui avoit donné à entendre qu'ilz les portoient sur autre querelle, pour vouloir combatre contre lesdiz Anglois. Mais en la fin fut assés content d'eulx, et ne fu sur ce procédé plus avant.
Item, après ce que le duc de Glocestre fu retourné du pays de Haynau en Angleterre, ung jour, en la ville de Londres, en la présence du jeune roy Henry et de son conseil, lui fu remonstré par ledit conseil le expédicion qu'il avoit faite en la contée de Haynau en la manière qu'il avoit tenu le contempt contre le duc de Bourgongne le plus puissant prince du sang royal de France, en le blasmant de ce très fort, et disant que par telles manières tenir pourraient refroidier et adnuller les aliances que avoit fait ledit duc avec eulx, et par conséquent se pourrait perdre la conqueste que sur ce avoient en France. Et meismement fu dit audit duc de Glocestre, que pour ceste besongne n'auroit point d'ayde de gens, ne d'argent, du roy son nepveu. Dont il fut grandement mal content, mais pour le présent il n'en peut avoir autre chose.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Le 28 juin.
2 Thérouanne (Pas de Calais), ancienne capitale de la Morinie, évêché, cathédrale et ville de 16.000 habitants rasée totalement en 1553 par Charles Quint en raison de sa fidélité à la cause française (ndlr).
3 Doullens (Somme).
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