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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-31- [Comment après le département du duc de Glocestre la guerre s'esmeut en Haynau, et comment la duchesse Jaqueline de Bavière escripvi au duc de Glocestre pour avoir souscours, et le contenu des lettres.] |
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tem, après le département du duc de Glocestre de la contée d'Haynau, commencèrent les gens du duc Jehan de Brabant et les Picars, à mener forte guerre oudit pays à toutes les villes qui obéyssoient au duc de Glocestre, et aussy à celles qui avec leurs seigneurs avoient tenu et tenoient son parti. Pour quoy, le pays fu fort molesté et mis à grand destruction. Et pour y résister et y avoir pourvéance, la duchesse de Haynau doagière eut plusieurs parlemens avec le duc Phelippe de Bourgongne, son nepveu, et avec les ambassadeurs du duc de Brabant, tant à Douay et à Lille, comme en Audenarde. En la fin desquels estoit conclud que le pays de Haynau seroit remis en l'obéyssance du duc de Brabant, lequel duc feroit aux bonnes villes et habitans du pays absolucion généralle ; et la duchesse Jaqueline seroit baillié en garde au duc de Bourgongne, par si qu'il auroit pour tenir l'estat d'elle, certaine pécune, et elle demourroit en son gouvernement jusques ad ce que le procès durant touchant ceste besongne et pendant en court de Romme, seroit finé. Durant lequel traictié, se tournèrent en l'obéyssance des ducz de Bourgongne et de Brabant, contre leur dame, les villes, c'est assavoir de Valenciennes, Condé, Bouchain et aulcunes autres. Et demoura à peu près, la ville de Mons, esseulée du parti de leur dame. Pour quoy, de toutes pars furent approuchiés de leurs ennemis, et leur furent les vivres ostées et deffendus, qu'ilz n'en povoient avoir, si non assez petit. Et adonc, eulx véans en ce dangier, furent fort troublés et esmeus contre leur dame, et tant que ilz ly dirent plainement, que se elle ne faisoit paix ilz la metteroient entre la main du duc de Brabant. Et avec ce emprisonnèrent aucuns de ses gens, et firent morir par justice les aucuns, comme cy-après sera déclaré. Dont ladicte duchesse fut en grand doubte et désespoir, tant pour les mutacions dessusdictes, comme pour les nouvelles que ly rapporta sa dame, sa mère, est assavoir qu'elle seroit mise en la main du duc de Bourgongne et menée en Flandres, comme cy-après puet apparoir par ses lettres closes qu'elle envoya au duc de Glocestre, lesquelles furent trouvées en chemin et portées au duc de Bourgongne. Desquelles lettres la teneur s'ensuit :
« Mon très redoubté seigneur et père, tant humblement comme je puis et sçay en ce monde, me recommande à vostre bénigne grace. Et vous plaise sçavoir, mon très redoubté seigneur et père, que je escrips maintenant à vostre glorieuse dominacion comme la plus dolente femme, la plus perdue et la plus faulsement trahie qui vive. Car, mon très redoubté seigneur, le dimenche XIIIe jour de ce mois de juing, les députés de vostre ville de Mons retournèrent et apportèrent un traictié fait et accordé par beau cousin de Bourgongne et beau cousin de Brabant, lequel traictié fu fait en l'absence de madame ma mère, et sans sa congnoissance, comme elle mesme m'a certifié et signifié par maistre Gérard le Grand son chapelain. Pour quoy, mon très redoubté seigneur, ma dame de mère m'a escript ses lettres faisans mencion dudit traictié, sur lequel elle ne scet, ne ose moy conseilliez car elle meisme ne sçavoit que faire, mais me prioit que je volsisse prier mes bonnes gens de ceste ville pour sçavoir quelle consolacion et ayde ilz me vouldroient faire. Sur laquelle chose, mon très redoubté seigneur et père, il vous plaise sçavoir, que lendemain je alay à la Maison de la Ville, et leur fis remonstrer comment à leur requeste et prière vous avoit pleu à moy laissier en leur protection et sauvegarde, comme à ceulx qui vous avoient fait serement d'estre bons, vrays et loyaulx subjectz, et qu'ilz feissent de moy bonne garde pour vous en rendre bon compte ; lequel serement ilz firent devant le sacrement de l'autel et sur les Saintes Euvangilles. Sur quoy, mon très honnouré seigneur et père, ilz respondirent tout à plain qu'ilz n'estoient point assez fors dedens la ville pour moy garder. Et en ce faisant, de fait appensé s'esmeurent, en disant que mes gens les vouloient murdrir. Et tant, mon très redoubté seigneur, que en mon despit, ilz prinrent ung de voz subgès sergent, nommé Macart, et prestement en ma présence luy firent prestement coper la teste. Et firent prendre tous ceulx qui vous ayment et tiennent vostre party, comme Bardoul de La Porte, Colard, son frère, Gille de La Porte, Jehan du Bois, Guillaume de Le Hève, Sanson, vostre sergent, Pierre Baron, Sandrart Dandre et plusieurs autres jusques au nombre de deux cens et cinquante, de vostredit party. Et de rechef vouloit prendre sire Baudouin, trésorier, sire Loys de Montfort, Haulvère, Jehan de Frasne et Estièvene d'Istre, lesquelx ilz n'ont point encore prins. Je ne sçai qu'ilz feront. Aussy, mon très redoubté seigne, ilz me dirent tout à plain, que se je ne faisoie traictié ilz me livreroient ès main de beau cousin de Brabant. Et n'ay plus de dilacion à demourer en ceste ville que huit jours, que je ne soie constrainte d'aler en Flandres ; qui m'est doloreuse chose et dure : car je doubte que tant que je viveray, plus ne vous verrai, s'il ne vous plaist, moult en haste, moy venir aydier. Hélas ! mon très redoubté seigneur et père, toute ma vraie espérance et toute ma consolacion est en vostre dominacion, veu, mon très redoubté seigneur et père, ma seule et souveraine léesce, que tout ce que je sueffre est pour l'amour de vous. Dont, très humblement je vous supplie, tant et si très chierement que je puis en ce monde, pour l'amour de Dieu, qu'il vous plaise avoir compacion de mes besongnes, et à moy, vostre dolente créature, venir en tout haste en ayde, se ne me voulés perdre pardurablement. J'ay espoir que aussy ferés vous. Car, mon très redoubté seigneur et père, je ne déservis oncques pardevers vous, ne jà ne feray, tant que je viveray, aucune chose qui vous deust desplaire, aincois suis toute preste à recepvoir mort pour l'amour de vous et de vostre noble personne, car vostre noble dominacion me plaist très grandement. Par ma foy, mon très redoubté seigneur et prince, toute ma vraie consolacion et espérance, il vous plaise pour l'amour de Dieu et de monseigneur Saint-Jorge, considérant en haste comme plus povés mon dolereux affaire, que encore n'avés vous point fait, car il me samble que entièrement m'avés mis en oubli. Aultre chose ne vous sçay point pour le présent que escripre, fors, mon très redoubté seigneur et père, que je moult tost envoie pardevers vous messire Loys de Montfort, car il ne puet plus estre avec moy, non obstant qu'il m'a acompaignié quand tous les autres me ont failly, qui vous dira tout, plus à plain que je ne vous sçaroie rescripre. Pour ce vous supplie, mon très chier seigneur et père, qu'il vous plaise à luy estre bon seigneur, et à moy mander et commander vos bons plaisirs, lesquelz je feray de tout mon cuer. Ce scet le benoist filz de Dieu, qui vous doinst bonne vie et longue, et grace que vous puisse veoir à très grand joie. Escript en la faulse et traistre ville de Mons, de très dolereux cuer, le VIe jour de juing. » La infrascription estoit : « Vostre dolente et très amée fille, souffrant très grand doleur pour vostre commandement. Vostre fille de Quennebourg. »
Avec ycelles lettres dessusdicles en furent trouvées unes aultres, dont la teneur s'ensuit :
« Très chier et bien amé cousin, je me recommande à vous. Et vous plaise sçavoir qu'à l'eure que ces présentes furent escriptes j'estoie très dolente en ceur, comme femme faulsement et très desloialment trahie. Et se vous voulés sçavoir aulcune chose de nouvel, mon très chier et très amé cousin, sachiés que encore pour le présent je ne vous sçauroie que escripre. Mais vueilliés demander à nostre très chier et redoubté seigneur, qui vous en dira plus que vous n'en vouldriés oyr. Aultre chose ne vous en sçauroie que vous rescripre, excepté que vous tenés la main à ce que sçavés, ad fin que mon très redoubté seigneur veuille venir ; ou aultremeut, ne luy ne vous, jamais ne me verrez. Et quant à ce que vous m'avez escript de venir deçà la mer, c'est trop tard. Mais hastés vous, à si grand puissance, que vous me puissiés délivrer des mains des Flamens, où je seray dedens huit jours. Très chier et bien amé cousin, je prie à Dieu qu'il vous doinst bonne vie et longue. Escript en la faulse et traistre ville de Mons, le VIe jour de juing. » La superscripcion estoit : « Vostre cousine Jaqueline de Quennebrouch. »
Par la teneur de cestes appert que moult cremoit ladicte duchesse à aler en Flandres.
Item, après que les députés de la ville de Mons en Haynau furent retournés de devers les ducz de Bourgongne et de Brabant en leur ville, et que plusieurs choses eurent sur ce esté traictées à la grand desplaisance de leur dame, la contesse de Haynau doagière, et de la duchesse Jaqueline, sa fille, nientmains le XIIIe jour de juing de cest an, ladicte Jaqueline, non poant ad ce contrester, se départi de la ville de Mons, en la compaignie du prince d'Orange, et autres seigneurs, à ce commis de par le duc de Bourgongne, qui la menèrent et conduirent en la ville de Gand. Et se loga en l'ostel dudit duc, où elle fut administrée honnourablement selon son estat. Et le duc Jehan de Brabant son mari eut le gouvernement, comme dit est, de tout le dessusdit pays de Haynau. Et lors fiston départir dudit pays toutes gens de guerre, et fu faicte abolicion de toutes besongnes par avant passées. Ainsy et par ceste manière que dessus est déclairé, livrèrent et constraindirent ceulx de la ville de Mons en Haynau, leur dame et vraie héritière, oultre et contre son gré, en la main du duc de Bourgongne, non obstant que par avant avoit juré et promis au duc de Glocestre, de la garder et deffendre contre tous qui nuire ou grever le vouldroient.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
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