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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-52
- Comment le conte de Salseberi asséga la cité d'Orliens, où il fut occis. |
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tem, après ce que le conte de Salsebery eust conquis et mis en l'obéyssance du roy Henry de Lancastre (1) Yenville, Meun et plusieurs autres villes et forteresces ou pays environ, il se disposa très diligamment pour aler asségier la noble cité d'Orliens. Et de fait, environ le mois d'octobre, à tout sa puissance, arriva devant ladicte cité. En laquelle, ceulx de dedens, long temps par avant, attendans sa venue, avoient préparé leurs besongnes, tant de fortificacions, habillemens de guerre, comme de vivres, et de gens esleuz exercités et excités en armes, pour résister contre ledit conte et sa puissance et eulx deffendre. Et meismement, adfin qu'il ne se peuyst loger autour d'ycelle lui et ses gens à leur aise, ne eulx fortifier, yceulx d'Orliens avoient fait abbatre et démolir à tous costés en leurs faulxbourgs bons et notables édifices. Entre lesquelz furent destruis et abatus jusques à douze églises et au dessus, esquelles estoient les quatre ordonnées des Mendians, et avec ce moult d'autres belles et sollempneles maisons de plaisance que avoient les bourgois d'ycelle ville. Et tant en ycelle oeuvre continuèrent, que ès faulxbourgs et tout à l'environ on povoit plainement veoir et jetter de canons et autres instrumens de guerre, tout à plain. Toutefois ne demoura mie que ledit conte de Salsebéry, à tout ses Anglois, ne se logast assez près de ladicte ville, jà soit ce que ceulx de dedens de tout leur povoir se meyssent viguereusement à deffense, en faisant plusieurs saillies, en traiant de canons, coulevrines et autres artilleries, occiant et metant à meschief plusieurs Anglois. Nient mains lesditz Anglois, très vaillamment et radement les reboutèrent, et approchèrent par plusieurs fois, tant que yceulx deffendans avoient merveilles de leurs hardies et courageuses entreprises. Durant lesquelles, ledit conte de Salsebéry fist assaillir la tour du bout du pont qui passe par dessus l'yaue de Loire. Laquelle, en assez brief temps, fut prinse par les Anglois et conquise, avec un petit bolevert qui estoit assez près, non obstant la deffence des François. Et fist ycelui conte dedens ladicte tour loger plusieurs de ses gens, adfin que ceulx de la ville ne peussent par là saillir sur son ost. Et d'autre part se loga, lui et ses capitaines avec tous les siens, assez près de la ville en aucunes vièses masures là estans, ès quelles, comme ont acoustumé yceulx Anglois, firent plusieurs logis dedens terre, taudis, et autres habillemens de guerre, pour eschever le trait de ceulx de la ville, dont ils estaient très largement servis. Ouquel terme ledit conte de Salsebéry, le troisiesme jour qu'il estoit venu devant ladicte cité, entra en la dessusdicte tour du pont où estoient logez ses gens, et là dedens ycelle monta hault, ou second estage, et se mist à une fenestre vers la ville, regardant moult ententivement les marches autour d'ycelle, pour veoir et ymaginer comment et quelle manière il pourrait prendre et subjuguer ycelle cité. Et lors, luy estant à ladicte fenestre, vint soudainement de ladite cité, à volant, la pierre d'ung veuglaire, qui féri la fenestre où estoit ledit conte, lequel, desjà pour le bruit du cop se retiroit dedens, nient mains il fut aconsuy très griefment et mortellement de ladicte fenestre, et eut grant partie de son visage emporté tout jus, et ung gentil homme qui estoit d'alès luy fut d'ycelui cop tué tout mort. Pour laquelle bléceure dudit conte, tous ses gens généralment eurent au cuer grand tristesce, car d'eulx il estoit moult crému et amé, et le tenoit pour le plus subtil, expert et eureux en armes de tous les autres princes et capitaines du royaume d'Angleterre. Toutefois, il, ainsy blécié, vesqui l'espace de huit jours, et après ce qu'il eust mandé tous ses capitaines et à yceulx admonesté de par le roy d'Angleterre qu'ilz continuassent à mettre en obéyssance ycelle ville d'Orliens sans quelque dissimulacion, il se fist porter à Meun, et là morut au bout de huit jours de sadicte bléceure.* Ou lieu duquel demeura général capitaine des Anglois asségans, le conte de Suffort, et au desoubz de luy les seigneurs d'Escailles et de Thalabot, Lanselot de Lille, Classedas et aulcuns autres. Lesquelx, non obstant la perte qu'ilz avoient faite du dessusdit conte de Salsebéry, qui, comme dit est, estoit leur chief et souverain connestable, reprinrent en eulx vigueur, et d'un commun accord, en toute diligence, se disposèrent par toutes voies et manières à eulx possibles de continuer leur siège, et ce qu'ilz avoient encommencé. Et de fait firent en plusieurs lieux bastilles et fortificacions, dedens lesquelles ilz se logèrent, adfin que de leurs ennemis ne peussent estre souspris ne envays.
Item, le roy Charles de France, sachant que les Anglois, ses anciens ennemis et adversaires, vouloient subjuguer et mettre en leur obéyssance la très noble cité d'Orliens, s'estoit conclud avec ceulx de son conseil, avant la venue d'yceulx, que de tout son povoir il deffenderoit ycelle ville, créant que se elle estoit mise entre les mains de ses ennemis, ce seroit la destruction totale de ses marches et pays, et de luy aussy. Et pour tant, il envoia grand partie de ses meilleurs et plus féables capitaines, est assavoir Boussac et le seigneur de...... (2) et avec eulx le bastard d'Orliens,
chevalier, les seigneurs de Gaucourt et Granville, le seigneur de Wilan, Pothon de Sainte-Treille, La Hire, messire Theolde de Walerghe, messire Loys de Waucourt et plusieurs autres très vaillans hommes renommés en armes et de grande auctorité. Avec lesquelz estoient journèlement de douze à quatorze cens combatans, gens d'eslite bien esprouvés en armes. Si advenoit souvent qu'il en y avoit une fois plus, l'autre fois mains. Car le siège ne fut oncques fermé par quoy yceulx asségiés ne se peussent rafraischir de gens et de vivres et aler en leurs besongnes, quand bon leur sambloit et ilz avoient voulenté de ce faire. Durant lequel siège furent faites plusieurs escarmuches et saillies d'yceulx asségiés sur les asségans. Desquelles racompter chascune à par luy, qui y fist perte ou gaing, seroient trop longues et ennuyables à escripre.
Mais pour les rappors qui m'en ont esté fais d'aucuns notables des deux parties, n'ay point sceu que lesdiz asségiés eu toutes ycelles saillies feyssent à leurs ennemis grand dommage, sinon par les canons et autres engiens getans de leur ville. Desquels engiens, à une d'ycelles escarmuches, fut occis ung très vaillant chevalier anglois et renommé en armes, nommé messire Lanselot de Lille.
Après que le comte de Salisbury eut conquis et mis en l'obéissance du roi Henri de Lancastre, Janville, Meung et plusieurs autres villes et
forteresses des pays environnants, il se disposa très diligemment pour
aller assiéger la noble cité d'Orléans, et de fait, durant le mois d'octobre,
il arriva avec toute sa puissance devant ladite cité. Ceux qu'elle renfermait
dans ses murailles, attendant depuis longtemps sa venue, avaient
disposé leurs fortifications, fait provision d'armements de guerre, de
vivres, choisi des hommes exercés aux armes et belliqueux pour résister
et se défendre. Et même pour qu'il ne pût pas aisément s'établir avec
ses gens autour de la ville, ni se fortifier, les habitants d'Orléans avaient
fait abattre et démolir de tous côtés en leurs faubourgs de bons et notables édifices, parmi lesquels furent renversées jusqu'à douze églises et plus, dont quatre des ordres mendiants; et avec ces églises beaucoup
de belles et riches maisons de plaisance, qu'y possédaient les
bourgeois. Ils poussèrent si loin cette œuvre de destruction qu'on pouvait
voir tout à découvert les faubourgs et les environs, et décharger comme en plaine les canons et les autres instruments de guerre.
Toutefois ledit comte de Salisbury ne tarda pas longtemps à s'établir
avec ses Anglais près de la ville, encore que ceux du dedans se défendissent
vigoureusement de tout leur pouvoir, faisant plusieurs sorties,
déchargeant canons, coulevrines, et autres artilleries qui tuaient ou
mettaient hors de combat plusieurs Anglais. Cependant les Anglais les
repoussèrent si vaillamment et si promptement, qu'ils s'approchèrent
plusieurs fois des remparts au point d'étonner les Orléanais par leur
hardiesse et leur courage. Dans une de ces attaques hardies, le comte
de Salisbury fit assaillir la tour du bout du pont jeté sur la Loire, qu'il
prit et conquit en assez brief de temps, avec un petit boulevard qui était
fort près, malgré la résistance des Français. Il établit plusieurs de ses
gens dans la tour, pour que ceux de la ville ne pussent pas tomber par
ce côté sur son armée. D'autre part, lui, ses capitaines et tous les siens
se logèrent fort près de la ville dans des décombres, dans lesquels, ainsi
que c'est la coutume des Anglais, il fit creuser plusieurs logements dans
la terre, des taudis, et autres appareils de siège pour éviter les traits dont
ceux de la ville les servaient très largement. Cependant le comte de Salisbury, le troisième jour après son arrivée
devant la cité, entra dans la tour du Pont où il avait logé ses gens, et
monta au second étage; là il se mit à une fenêtre donnant sur la ville,
regardant très attentivement ses alentours, pour mieux voir et imaginer
comment et par quelle manière il pourrait la prendre et la subjuguer.
Comme il était à cette fenêtre, soudainement, de la ville, la pierre d'un
veuglaire fend l'air, et va frapper contre la fenêtre où se trouvait le
comte qui, au bruit du coup, se retirait de l'ouverture ; mais il fut atteint
très grièvement, mortellement, des éclats de la fenêtre, eut une grande
partie du visage entièrement emportée, tandis qu'un gentilhomme qui était à ses côtés tomba sur-le-champ raide mort. Cette blessure porta
au coeur de tous ses gens grande tristesse ; car il en était fort craint et
aimé; et on le tenait pour le plus habile, le plus expert et le plus heureux
dans les combats de tous les princes et capitaines du royaume
d'Angleterre. Toutefois il vécut encore huit jours dans cet état de blessure. Ayant mandé tous ses capitaines, il leur commanda de par le
roi d'Angleterre de continuer à réduire sans retard cette ville à son
obéissance, se fit porter à Meung, et y mourut au bout de huit jours des
suites de sa blessure *...
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.
Notes :
1 Henri VI.
2 Ici un mot en blanc dans le ms. 8346. Vérard met : le seigneur d'Eu.
NDLR : Monstrelet se garde bien de parler du saccage ordonné par Salisbury du sanctuaire révéré
de Notre-Dame de Cléry près d'Orléans qui avait scandalisé la population française.
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