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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-67
- Comment le roy Charles de France envoia ses ambassadeurs à Arras vers le duc de Bourgongne. |
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n ce temps, les ambassadeurs du Roy Charles de France vindrent à Arras devers le duc de Bourgongne, pour traictier de paix entre ycelles parties. Desquelz ambassadeurs estoient les principaulx, l'archevesque de Rains, Christofle de Harcourt, les seigneurs de Dampierre et de Gaucourt, chevaliers, avec aulcuns aultres gens d'estat; qui trouvèrent audit lieu d'Arras ledit duc avec son conseil. Après la venue desquelz, et qu'ilz eurent requis d'avoir audience devers ledit duc, alèrent, lesdiz ambassadeurs, aulcuns jours après leur venue, en son hostel. Et là, par la bouche dudit ar-chevesque de Rains fut audit duc de Bourgongne exposé moult sagement et autentiquement l'estat de leur dicte ambaxade, présent la chevalerie et ceulx de son conseil, avec pluiseurs aultres là estans; lui remoustrant entre les aultres choses, la parfaicte affection et vray désir que le Roy avoit de pacifier avec lui et avoir traictié. Disant oultre, que pour y venir, yceluy Roy estoit content de lui submettre et condescendre; en faisant offres de réparacion, plus qu'à sa majesté royalle ne appartenoit, excusant aulcunement pour sa jeunesse le dessusdit Roy, de l'homicide jadis perpétré en la personne de feu le duc Jehan de Bourgongne, son père; aléguant avec ce, que lors, avec sadicte jonesce, il estoit ou gouvernement de gens qui point n'avoient regard ne considération au bien du royaume ne de la chose publique, et ne les eust pour ce temps osé desdire, ne courroucier.
Lesquelles remonstrances et pluiseurs aultres assez notablement déclairées par le dessusdit archevesque, furent dudit duc et des siens assez bénignement oyes. Et en la fin desquelles fut dit à yceulx ambaxadeurs: « Monseigneur et son conseil ont bien oy ce que vous avez dit. Il aura sur ce advis, et vous fera responce dedans briefz jours. » Et adonc ledit archevesque retourna en son ostel, avecques lui ses compaignons, qui de toutes gens estoient honuourés.
Et pour lors, la plus grand partie de tous les estas du pays estoient très désirans que la paix se feist et concordast entre le Roy et le duc de Bourgongne. Et mesmement ceulx du moyen et bas estat y estoient si affectés, que dès lors, où il n'y avoit encore ne paix, ne trêves, aloient en ycelle ville d'Arras devers le dessusdit chancelier de France, impétrer en très grand nombre, rémissions, lettres de grâce, offices et aultres pluiseurs mandemens royaulx, comme se le Roy feust plainement en sa seigneurie, et que de ce feussent adcertenés. Lesquelz mandemens dessusdiz, ou en la plus grand partie, ilz obtenoient dudit chancelier.
Et après, le duc de Bourgongne, avec ceulx de son privé conseil, fut par pluiseurs journées en grande délibéracion, et furent les besongnes entre lesdictes parties moult approuchiées.
Pendant ce temps, les ambassadeurs du roi Charles de France étaient venus à Arras, vers le duc de Bourgogne, pour traiter de paix entre ces
deux parties. Les principaux de ces ambassadeurs étaient l'archevêque
de Reims, Christophe de Harcourt, les seigneurs de Dampierre, de Gaucourt et de Fontaines, chevaliers, avec d'autres gens d'état qui trouvèrent à Arras le duc et son conseil A leur arrivée, ils requirent audience dudit
duc, et, quelques jours après, ils se rendirent à son hôtel où, par la
bouche de l'Archevêque, l'objet de l'ambassade fut exposé très sagement
et authentiquement, en présence de la chevalerie, du conseil, et de plusieurs
autres admis à cette audience. Il remontra, entre autres choses, la
parfaite affection, le vrai désir du roi de faire la paix avec lui et d'en venir à un traité; ajoutant que, pour y parvenir, ce même roi était content de
de faire des avances et de condescendre, en faisant des offres de réparation
plus qu'il n'appartenait à sa majesté royale. Il excusa le roi sur sa
jeunesse de l'homicide perpétré autrefois en la personne du feu duc Jean
de Bourgogne, son père, alléguant qu'en ses jeunes années il était sous
le gouvernement de gens qui n'avaient pas d'égards et de considération
au bien du royaume ni de la chose publique, et qu'en ce temps il n'aurait
osé ni les dédire ni se les aliéner.
Ces considérations et plusieurs autres
fort notables, exposées par l'Archevêque, furent ouïes avec faveur par le
duc et par les siens. A la fin il fut répondu aux ambassadeurs : « Monseigneur
a bien ouï ce que vous avez dit : il aura avis sur ce, et vous fera
réponse dans peu de jours ».
L'Archevêque retourna à son hôtel, et avec lui ses collègues d'ambassade
que toutes gens honoraient.
Pour lors la plupart des gens du pays étaient très désireux de voir la paix et la concorde s'établir entre le roi et
le duc de Bourgogne. Ceux du moyen et du bas état y étaient même si
affectionnés que, dès lors, avant qu'il fût intervenu paix ou trêve, ils
allaient à la ville d'Arras, vers le chancelier de France, pour en impétrer
en très grand nombre des lettres de rémission, des lettres de grâce, des
offices et plusieurs autres faveurs royales, comme si le roi eût été déjà
pleinement en sa seigneurie, et qu'ils en eussent été certains. Ils obtenaient
du chancelier la plupart des faveurs sollicitées.
Par suite, le duc de Bourgogne fut, durant plusieurs jours, en délibération avec son conseil
privé, et les affaires entre les parties furent très approchées.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.
Notes :
1 Montepilloy (Oise), à quatre kilomètres de Senlis.
2 Le cas. 8346 omet ces mots, qui sont dans Vérard.
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