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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-81 - Comment cinq François firent armes à Arras contre cinq Bourguignons. Et autres menues matières. |
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e XXe jour de février oudit an, firent armes dedens la ville d'Arras, sur le grand marchié, en la présence du duc de Bourgongne juge en ceste partie, cinq des gens du roy Charles de France, à l'encontre de cinq gens du duc de Bourgongne. Lesquelles armes estoient de rompre l'un sur l'autre certain nombre de lances. Et y estoient, de ceulx de la partie du roy, messire Théolde de Waleperghe, Pothon de Sainte-Treille, messire Philebert d'Abressy, messire Guillaume de Vez et Lestandart de Milly ; et de par ledit duc , messire Symon de Lalaing, le seigneur de Chargni, Jehan de Wauldre, messire Nicolle de Menton, et Philebert de Mouton. Si furent ycelles armes faites par cinq jours. Et estoit préparé ung grand parc couvert de sablon, ou milieu duquel avoit une lisce, garnie d'assielles adfin que les chevaulx ne peussent rencontrer l'un l'autre. Et coururent, pour le premier jour, messire Symon de Lalaing et messire Théolde, plusieurs biaux cops l'un contre l'autre. Mais vers la fin messire Théolde fut porté jus, lui et son cheval. Et pareillement par les aultres ensuivans, pour les second, tiers, quart et cinquiesme jour, furent fais de moult biaux cops d'armes et de lances, desquelles de chascune partie en y eut plusieurs rompues. Toutefois le seigneur de Charny, au treiziesme cop qu'il courut contre ledit messire Philebert, lui leva la visière de son elmet (1) du fer de sa lance et lui mist tout dedens son visage, pour quoy il convint que on le remenast en son hostel comme en péril de mort. Et au derrain jour et en telle manière, fut aussi féru Lestandart de Milly, du dessusdit Philebert de Mouton. Si fut comme l'autre remené en son ostel, et fut si griefment blécié qu'à grand peine se povoit tenir sur son cheval, jà soit ce que par avant qu'il eust ce cop, il s'estoit porté ce jour moult radement, en rompant sur son adversaire aulcunes lances. Desquelles lances servy tous yceulx François ung viste et appert homme d'armes, nommé Alardin de Monsay. Et les aultres, du costé du duc de Bourgongne, en la plus grand partie, furent servis de par messire Jehan de Luxembourg. Si venoit chascun jour ledit duc à son eschaffault, grandement accompaignié de sa chevalerie et en noble appareil. Après lesquelz jours passés, les dessusdiz François, qui avoient esté moult honnourés par ledit duc et de lui receu aucuns dons, se départirent de ladicte ville d'Arras, tristes et ennuyés des dures aventures qui estoient tournées contre leurs gens, et laissièrent leurs deux bléciés dessusdiz dedens Arras pour eulx médeciner, par la licence dudit duc de Bourgongne.
Lesquelz finablement tournèrent à garison. Et les dessusdiz François s'en retournèrent à Compiengne.
En ce temps, les François, tenans les frontières de la rivière d'Oise et du pays de Beauvoisis, couroient chascun jour sur ceulx tenans le parti de Bourgongne. Et pareillement ceulx de la partie de Bourgongne couroient sur les mettes d'yceulx François, non obstant les trêves par avant seellées entre les dictes parties jusques aux Pasques en suivans. A l'occasion desquelles courses, tous les villages, ou en la plus grand partie d'yceulx pays, se commencèrent à despeupler.
En après, le duc Phelippe de Bourgongne convoqua de pluiseurs ses pays très grand nombre de gens d'armes, lesquelz il assambla vers Péronne. Et lui mesme et sa femme, la duchesse, sollempnisèrent la feste de Pasques dedens ladicte ville de Péronne. Après laquelle passée il se tira, à tout ses gens d'armes, à Mondidier, où il fut par aulcuns jours.
Durant ces tribulacions se rendirent en l'obéissance du roy Charles la ville et chasteau de Melun, laquelle par avant avoit esté baillée en garde au seigneur de Humières, qui pour l'entretement d'ycelle y avoit constitué aulcuns de ses frères, à certain nombre de gens d'armes. Lesquelz, par les habitans de ladicte ville, en furent déboutés et mis dehors. Dont le roy Charles et ceulx de son parti furent moult joyeux, pour tant que par le moyen d'ycelle ilz povoient par là passer à leur plaisir par la rivière de Saine. Et avec ce, estoit située et assise ou plus fort lieu de tout le pays environ. .
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Heaume, casque.
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