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Chronique
des Cordeliers de Paris
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Folio
497-98 |
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n ce temps arrivèrent Engloix au Pont-l'Evesque emprès
Noyon, et là furent ung jour assalis de la garnison de Compiengne
et aultres au nombre de IIIIm (1) hommes
dont la Pucelle avoit le nom d'estre cappitaine. Là se deffendirent
Engloix très grandement, qui n'estoient que XIIc (2) hommes;
mais ils euissent eu fort tamps se il n'euissent esté secourus
de monseigneur de Saveuses, qui se tenoit à Saint-Eloy de
Noyon atout VIIIc hommes qui reboutèrent leurs anemis.
Le XXI° jour de may, fu le siege mis d'un lez par
deça la ville de Compiengne, là où arrivèrent
les contes d'Outiton (3) et de Arondel
à belle compaignie d'Engloix, lesquelx furent devant ladite
ville par grande espace de tamps, et firent carpenter pons, bastilles
et habillemens pour enclore ladicte ville. Lequel siege durant,
firent ceulx de dedens pluiseurs saillies à très grant
puissance ; car par delà l'iauwe environ Paris leur povoit
venir secours de gens et de vivres sans nul dangier. Et si avoient
fait une forte bastille par decha l'iaue, leur ilz alloient et se
retournoient en la ville toutesfois qu'il leur plaisoit par les
fossés. Et y avoit dedens celle bastille en terre pluiseurs
cambres et logis de gens d'armes qui moult faisoient de maulx en
l'ost des Bourguignons et des Engloix; mais communément les
saillies se faisoient plus sur les Engloix que sur les Piccars.
Dedens Compiengne se tenoit la Pucelle à grant
compaignie de gens, et tous jours yssoit elle au front devant et
faisoit merveilles de son corps et de ses parolles en donnant cuer
à ses gens de bien faire le besongne ; et tant que le xxvii°
jour de may, à une saillie que elle fist elle et le lieutenant
Willaume de Flavy, pour lors cappitaine de Soissons, firent merveilles
d'armes. Et estoient bien XVc (4) hommes.
Là y survint messire Jehan de Luxembourg en personne au secours
des Engloix qui estoient fort assallis, et y eust crueulx estour
et estequis ; mais en fin fu la Pucelle prise et détenue
par le bastard de Vendomme et Anthoine de Bournoville, qui estoient
de la compaignie et de l'ostel dudit de Luxembourg. Et pareillement
fu pris ledit lieutenant et pluiseurs hommes d'armes, et les aultres
furent reboutés dedens Compiengne (5).
De la prise de la Pucelle fu moult grant renommée
partout ; en furent moult joyeux ceulx du party de Bourgongne, et
ceulx des autres moult dolans ; car les uns avoient espérance
et les aultres doubtoient de son fait. Se fu en fin amenée
prisonnière à Beaurevoir, là où elle
fu par grant espace de temps, et tant que par son malice elle en
quida escapper par les fenestres; mais ce à quoy alle s'avaloit,
rompy (6); si quey jus de mont aval et se rompy près les rains
et le dos. De lequelle blechure elle fu long tamps malade ; et depuis
ce qu'elle fu garie, fu elle delivrée aux Engloix par aucuns
moyens et traitiés d'argent et fu menée à Rouen,
là où on luy fist son procès tout du long.
Et enfin fu condempnée comme sera dit tantost cy après
quant tamps ou lieu sera...
« En ce temps, les Anglais arrivèrent au Pont-l'Évêque, près de Noyon.
Là ils furent un jour assaillis par les hommes de la garnison de Compiègne
et par d'autres, formant une armée de quatre mille hommes, dont
on disait que la Pucelle était capitaine. Les Anglais, qui n'étaient que
douze cents hommes, se défendirent très grandement ; mais ils auraient
eu rude besogne s'ils n'eussent été secourus par Mgr de Saveuse qui se
tenait à Saint-Éloy-de-Noyon, avec huit cents hommes qui repoussèrent
les ennemis.
Le XXIe jour de mai, le siège fut mis d'un côté, par deçà de l'Oise, devant
Compiègne, où les comtes d'Houtiton, d'Arondel, vinrent avec nombreuse compagnie d'Anglais. Ils furent longtemps devant la ville; et ils
firent charpenter ponts, bastilles et autres appareils pour enclore la place.
Les assiégés, pendant que durait le siège, firent plusieurs sorties avec de
très grandes forces ; car ils pouvaient sans nul danger recevoir secours
d'hommes et de vivres de par delà l'Oise, du côté de Paris. Ils avaient
fait une forte bastille par delà l'Oise, par laquelle ils allaient et revenaient
en la ville par les fossés tant qu'il leur plaisait. En cette bastille en terre
se trouvaient plusieurs chambres et logis pour les hommes d'armes qui
faisaient grands maux en l'armée des Bourguignons et des Anglais ; mais
communément la sortie se faisait surtout sur les Anglais, plus que sur
les Picards.
La Pucelle se tenait dans Compiègne avec grande compagnie de gens ;
tous les jours elle faisait des sorties, au front des assaillants ; elle accomplissait
des merveilles par ses coups et ses paroles, donnant coeur à ses
gens de bien faire leur devoir, si bien que le 27 mai (7), à une sortie qu'elle
fit, elle et le lieutenant (de) Guillaume de Flavy, pour lors capitaine de
Soissons, ils firent des prodiges de valeur. Ils étaient bien seize cents
hommes. Messire Jean de Luxembourg survenant en personne au secours
des Anglais, il y eut une rude mêlée, mais la Pucelle finit par être prise
et retenue par le bâtard de Vendônne et Antoine de Bournonville, tous
deux de la compagnie et de la maison dudit Luxembourg. Pareillement
furent pris le ledit lieutenant et plusieurs autres hommes d'armes. Le reste
des combattants fut repoussé dans Compiègne.
Il fut partout grand bruit de la prise de la Pucelle; ce fut un grand sujet
de joie pour le parti bourguignon, de grande douleur pour le parti
opposé ; car ceux-ci fondaient sur elle grande espérance, tandis que les
autres en avaient grande frayeur. Elle fut enfin amenée prisonnière à
Beaurevoir, où elle fut détenue grand espace de temps, au point que par
ses ruses elle faillit s'en échapper par les fenêtres ; mais ce par quoi elle
se glissait rompit; et elle chut de haut à terre. Elle se rompit presque les
reins et le dos, et fut longtemps malade de ses blessures. Lorsqu'elle fut
guérie, elle fut mise entre les mains des Anglais à la suite de négociations
; et par contrat d'argent elle fut menée à Rouen où son procès lui
fut fait tout au long. Elle fut condamnée, ainsi qu'il sera dit ci-après, en
temps et lieu.
Source
: édition Jules Quicherat - 1882.
Mise en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III.
Notes :
1 Quatre mille.
2 1200.
3 Huntingdon.
4 Mille cinq cents hommes.
5 Erreur du narrateur, Guillaume de Flavy ne fut pas pris dans
cette "saillie".
6 Ndlr : La chronique des Cordeliers est la seule à présenter ainsi la tentative d'évasion de Beaurevoir. Cette version ne tient pas la critique. En effet :
- Dans le procès de condamnation, Jeanne est accusée d'avoir voulu se suicider pour échapper aux Anglais en "se précipitant du sommet d'une haute tour" du chateau de Beaurevoir. Jeanne aurait très facilement fait tomber cette accusation si elle avait réellement tenté de s'échapper "en se laissant glisser etc..." or elle nie avoir voulu se suicider mais avoir voulu seulement "sauter en se recommandant à Dieu et à Notre-Dame" pour aller porter secours à ses amis de Compiègne (interr. du 3 mars, du 14 mars, art.41 du réquisitoire d'accusation).
- Il est douteux que sur une tour d'un chateau médiéval, face à l'extérieur, il y ait une fenêtre ou même une ouverture assez large pour laisser passer Jeanne. Ce sont habituellement de simples meurtrières permettant de tirer à travers. Pour la même raison, le saut n'a effectivement pu avoir lieu que du "haut de la tour" soit au moins 10 mètres.
D'ailleurs cette chronique ne précise pas "tour" ou "donjon" alors qu'il est clairement déclaré dans le procès qu'elle sauta du donjon.
Ce qui nous laisse très impressionné, d'une part par l'extraordinaire courage physique de et moral cette gamine de 18 ans qui n'a pas hésité à sauter d'une hauteur incroyable pour s'évader et d'autre part par ce qu'on appellera selon que l'on est croyant ou non "la protection divine" ou la "bonne étoile" de Jeanne qui s'en est sortie avec un gros choc traumatique mais sans fracture et sans séquelles !
7 C'était le 23 mai.
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