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Chronique
de la Pucelle
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- Laval est pris par les Angloys - Le comte de Clermont, lieutenant
du roy en Picardie - Entreprise sur Rouen. |
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seigneur de Talbot, vaillant chevalier anglois, print d'eschèle
par faute de guet et de garde la ville de Laval, avant le siège
mis à Orléans, comme cy-dessuc a esté touché,
et y gaingna de moult fort grandes richesses et chevaulx. Estoit
pour lors dedans Messire André de Laval, seigneur de Lohéac,
lequel estoit au chasteau dudit lieu de Laval, et fist composition
pour luy et autres dudict chasteau, à vingt mille escus d'or,
comme dessus est dit ; et demeura prisonnier jusques à ce
qu'il eust payé ladite somme on baillé plège.
Et audit mois de septembre fut faite une entreprinse par les seigneurs
Du Hommet, Messire Raoul du Bouchet et Bertrant de la Ferrière,
sçavoir comme ils pourroient recouvrer ladite ville de Laval
; et par le moyen d'un meusnier, homme de bien qui avoient desplaisance
que les Anglois fussent seigneurs et maistres en ladicte ville,
fisrent bien secrètement une embusche de gens d'armes à
pied en un moulin, dont ledit meusnier avoit le gouvernement, estant
sur la rivière de Mayne qui passe au dessoubs et joingnant
ladite ville, et joingnant aussi au bout du pont et du costé
de ladite ville dont les barriéres sont par iceluy pont.
Et un matin, à l'ouverture d'icelle porte, saillirent lesdits
gens de guerre à pied, ainsi que les portiers estoient allez
ouvrir les barrières estant sur iceluy pont et entrèrent
en ladite ville de Laval crians : Nostre-Dame ! Sainct Denys ! En
laquelle avoit de deux à trois cent Anglois, et les François
n'estoient pas plus de deux cent, combien qu'il y en avoit plus
de six cent qui les suivirent. Il y eut plusieurs Anglois de tuez
et prins, les autres saillirent par dessus la muraille de cette
ville là pour eulx sauver. Et par ce moyen, ladite ville
fut remise en l'obéyssance du roy.
Environ ladicte saison, le duc de Bourbon, lequel estoit
demeuré lieutenant du roy ès pays de nouveau réduits
en son obéyssance, dont dessus est faite mention, se tenoit
à Senlis, Laon, Beauvais, et autres villes pour toujours
les garder, et
y mettre provision, ordre, et gouvernement; car en plusieurs lieux
il ne trouvoit pas bonne obéyssance, comhien qu'il menoit
grand peine à bien conduire le faict du roy, et d'exécuter
quelque chose sur les Anglois, lesquels estoient bien diligens,
et mettoient peine à grever les François. Or advint
que le dict Messire Ambroise de Loré et Messire Jean Foucault,
estans à Laigny, avoient en mesme temps fait certaine entreprise
sur la ville de Rouen, par le moyen d'un nommé le Grand Pierre
; et pour ce qu'au temps que l'exécution se devoit faire,
il n'estoit point clair de lune, pour chevaucher par nuict, ils
prolongèrent et remirent un autre jour audict Grand Pierre
; car il leur sembloit qu'ils n'estoit pas possible de mener si
grosse compaignée par le pays, où il falloit passer,
sans s'entreperdre, si c'estoit en une nuit obscure. Et s'en alla
le dict Grand Pierre par Senlis, où il trouva le duc de Bourbon,
le comte de Vandosme et l'archevesque de Rheims (1),
chancelier de France. Et pour ce que les dicts de Loré et
Foucault avoient aucunement ouvert la matière aux diets seigneurs,
mais non mie la manière que le dint Grand Pierre disoit,
ils contraignirent le diet Grand Pierre a leur déclarer dont
il venoit et la forme de la dicte entreprinse. Les quels, icelle
ouye, ne tindrent compte de l'opinion et de la difficulté
que les dicts Messires Ambroise et Foucault faisoient et mandérent
très diligemment gens de toutes parts pour exécuter
la dicte entreprinse. Et de faict se mirent à chemin, et
en allant perdirent l'un l'autre et ne se trouverent pas tous ensemble,
et y en eut qui furent jusques aux portes de Rouen ; et quand ils
veirent que leur entreprinse estoit faillie, retournèrent.
Et ceux retournans, trouvèrent environ quatre-vingts Anglois,
les quels, quand ils veirent les François , descendirent
ü pied au fond d'une haye et fichèèrent des paulx
devant eulx. Si furent assaillis par diverses escarmouches par des
gens de guerre françois, qui estoient une bien grosse compagnie.
Mais les Anglois se défendirent si vaillamment, qu'ils demeurerent
en leur place sans rien perdre. Or supposé que les dicts
de Loré et Foucault sçeussent la dicte entreprinse,
si n'avoient-ils pas intencion de l'exécuter sans le faire
savoir et déclarer tout au long aux dicts seigneurs. Et ainsy,
en effet, la dicte entreprinse fut perdue et faillie par faulte
de ce que les dicts seigneurs n'avoient creu le conseil des dicts
deux chevaliers, qui estoit bon et raisonnable.
FIN
Source : édition Vallet de Viriville - 1859
Illustration :
- Portrait de Regnauld de Chartres (Bibl.Nle)
Notes :
1 Regnauld de Chartres, à la fois archevêque de Reims
et chancelier de France. Une lecture attentive de cette chronique
montre que le texte ou manuscrit de Cousinot de Montreuil a été
par intervalles remanié et interpolé.
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