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Chronique
de la Pucelle
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- Ambroise de Loré s'enferme dans Saint-Célerin
- Le Roy campe devant Paris, décampe et retourne en
Berry. |
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udict
mois d'aoust mille quatre cent vingt neuf, un capitaine du pays
de Bretaigne, nommé Ferbourg, fist adviser comme il pourroit
avoir la place de Bonsmolins, laquelle les Anglois tenoient, et
de fait trouva moyen d'y entrer et de bouter les Anglois dehors
; et le duc d'Alençon lui donna la capitainerie. En ce temps
avoit un gentilhomme au pays, nommé Jean Armange, de la compaignée
de Messire Ambroise de Loré, lequel se bouta dedans la place
de Sainct-Célerin, qui avoit esté abbatue ; et avec
luy avoit un gentilhomme de Bretaigne nommé Henri de Ville-Blanche,
et emparèrent icelle place. Et au tiers jours qu'ils furent
entrez en icelle place, les Anglois de la garnison d'Alençon,
et autres en leur compaignée, s'assemblèrent et vinrent
devant ladite place, garnis de canons, vuglaires, coulevrines et
arbalestes ; et après ce qu'ils y eurent esté aucun
temps la cuidèrent prendre d'assault et de faict l'assaillirent
fort et merveilleusement. Mais lesdicts capitaines et leurs gens
se défendirent si vaillamment et tellement qu'ils demeurérent
en ladicte place et lesdits Anglois s'en retournèrent à
Alençon.
Le vingt-neufiesme jour dudict mois, le prieur de l'abbaye
de Laigny et un nommé Artus de Sainct-Merry, avec plusieurs
autres, vinrent devers le roy audit lieu de Sainct-Denys pour mettre
ladicte ville de Laigny en son obéyssance, lequel les receut
bénignement et doucement, et ordonna au duc d'Alençon
qu'il y pourveut et y envoya Messire Ambroise de Loré, lequel
fut receu par les habitans à grand joys, et quand il
y ent eu plainiere obèyssance il fit faire aux habitans le
serment en tel cas accoustumé.
Le douziesme jour de septembre, le roy assembla son
conseil pour savoir qu'il avoit à faire, veu que ceux de
Paris ne monstroient quelque semblant d'eulx vouloir réduire,
et aussi n'eussent-ils osé parler ensemble veue la puissance
des Anglois et Bourguignons, et si n'y avoit denier de quoy il eut
peu entretenir son ost. Si fut délibéré par
le conseil qu'il laissast grosses garnisons de par deça,
avec aucuns chefs de son sang et qu'il s'en allast vers et outre
la rivière de Loire. Et en exécutant cette délibération
du conseil, il laissa le duc de Bourbon, le comte de Vendosme, Messire
Louys de Culant, admiral de France, et autres capitaines, et ordonna
que ledit duc seroit son lieutenant, et laissa dans Sainct-Denys
le comte de Vendosme et le seigneur de Culant, à grande compaignée
de gens d'armes. Puis le roy s'en partit avec son ost, et s'en alla
au giste à Laingny-sur-Marne ; et le lendemain se partit
et ordonna à Messire Ambroise de Loré qu'il demeurast
audict lieu de Laingny, et luy fut baillé en sa compaignée
un vaillant chevalier de Limosin, nommé Messire Jean Foucault,
avec plusieurs gens de guerre. Et quand les Anglois et Bourguignons
sceurent que le roy estoit ainsi party, ils assemblèrent
de toutes parts de leurs gens en grand nombre, et ceux qui estoient
à Sainct-Denys, considérant que la ville estoit foible,
s'en partirent, c'est à sçavoir ledict comte de Vendosme
et autres délaissèrent ladicte ville et s'en vinrent
à Senlis.
Environ ledict mois de septembre, audit an, vinrent
les Anglois et aussi leurs alliez de la langue françoise,
nommez Bourguignons, et se misrent à grand puissance sur
les champs, en intention, comme on disoit, de venir mettre le siège
devant Laingny, laquelle estoit ville mal fermée et habillée
des choses pertinens à défense de guerre. Ils vinrent
devant la ville et faisoient les manières d'y arrester, et
quand lesdits Messire Ambroise de Loré et Foucault les veirent,
considérans ladicte ville, estre foible et qu'ils n'auroient
aucuns secours, saillirent aux champs eulx et leurs gens en belle
ordonnance contre lesdits Anglois et Bourguignons, et leur tinrent
si grandes et fortes escarmouches, par trois jours et trois nuicts,
que lesdicts Anglois et Bourguignons n'approchèrent oncques
des barriéres plus près que du trait d'une arbaleste
; et quand ils apperceurent si grande résistance et qu'ils
virent avec lesdits chevaliers, tant de gens de guerre et si vaillans,
ils se retirèrent et s'en retournèrent à Paris
sans faire autre chose. Et auxdites escarmouches y en eut plusieurs
de tuez, tant d'un costé que d'autre.
...
Le douzième jour de septembre, le roi assembla son conseil pour savoir
ce qu'il y avait à faire. Vu que les habitants de Paris ne montraient
aucun semblant de vouloir se réduire à obéissance, qu'ils n'auraient pas
osé se concerter sous l'oeil des Anglais et des Bourguignons qui étaient fort
puissants, que l'argent manquait pour entretenir l'armée, le conseil fut
d'avis de laisser de grosses garnisons dans le pays conquis, sous le commandement
de princes du sang, et que le roi s'en allât vers la Loire et au delà.
En exécution de cet avis du conseil, le roi laissa le duc de Bourbon, le
comte de Vendôme, messire de Culan, amiral de France, et d'autres
capitaines ; il ordonna que le duc serait son lieutenant et il laissa dans
Saint-Denis le comte de Vendôme et l'amiral de Culan, avec grande
compagnie de gens d'armes; il partit ensuite avec son armée et vint prendre
gîte à Lagny-sur-Marne. Il partit le lendemain, après avoir ordonné
à messire Ambroise de Loré de rester à Lagny, et après lui avoir assigné
pour compagnon un vaillant chevalier du Limousin, nommé messire
Jean Foucault, ainsi que plusieurs gens de guerre.
Quand les Anglais et les Bourguignons surent que le roi était ainsi
parti, ils assemblèrent de toutes parts un grand nombre de leurs gens;
et ceux de Saint-Denis, c'est-à-dire le comte de Vendôme et les autres,
considérant que la ville était faible, la délaissèrent et vinrent à Senlis (1).
...
Source : édition Vallet de Viriville - 1859
Notes :
1 Cousinot de Montreuil n'a plus qu'une page où il n'est pas question de Jeanne d'Arc. A-t-il arrêté là son travail? la suite en est-elle perdue ? C'est ce que l'on ignore jusqu'à ce jour.
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