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Chronique
de la Pucelle
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- Le roi se rend à Compiègne, puis se dirige
vers Paris - La Pucelle à la porte Saint-Honoré. |
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lendemain le roy se partit de Crespy et print son chemin vers Compiègne,
où il fut receu grandement et honorablement, et se remirent
en son obéyssance ; puis y commit officiers et ordonna capitaine
un gentilhomme du pays de Picardie, bien allié de parens
et amis, nommé Guillaume de Flavy (1);
et là, les manans et habitans de la ville de Beauvais envoyèrent
devers luy et mirent eulx et la ville en son obéyssance.
Semblablement ceux de Senlis se mirent en l'obéyssance du
roy, en laquelle ville le roy vint se loger.
En la fin du mois d'aoust, le duc de Betfort doubtant
que le roy ne tirast en Normandie, partit de Paris avec son ost,
pour y aller, et départit son armée en plusieurs et
divers lieux et les mist en garnison és pays où il
avoit obéyssance, pour garder les places, et laissa à
Paris Messire Louys de Luxembourg, évesque de Thérouenne,
soy disant chancelier de France pour les Anglois, et un chevalier
anglois nommé Messire Jean Rathelet, et un chevalier françois
nommé Messire Simon Morhier, qui se disoit lors estre prévost
de Paris, lesquels avoient en leur compaignée environ deux
mille Anglois pour la garde et défense de ladicte ville,
ainsi qu'on disoit.
Environ la fin dudict mois d'aoust le roy se deslogea
de Senlis et s'envint à Sainct-Denys, où ceux de la
ville luy firent ouverture et pleine obéyssance et avec luy
tout son ost se tint et logea en ladicte ville. Alors se commencèrent
grand courses et escarmouches entre les gens du roy, estans à
Sainct-Denys et les Anglois, et autres estans lors dans Paris. Et
quand ils eurent esté par aucun temps à Sainct-Denys,
comme trois ou quatre jours, le duc d'Alençon, le duc de
Bourbon, le comte de Vendosme, le comte de Laval, Jeanne la Pucelle,
les seigneurs de Rais et de Boussac, et autres en leur compaignée
se vinrent loger en un village qui est comme en my-chemin de Paris
et de Sainct-Denys, nommé la Chapelle ; et le lendemain commencèrent
plus grands escarmouches et plus aspres que devant, aussi estoient
ils plus près un de l'autre ; et vinrent lesdicts seigneurs
aux champs vers la porte Sainct-Honoré sur une manière
de butte ou de montaigne, que on nommoit le Marché aux pourceaux,
et fisrent assortir plusieurs canons et coulevrines point jester
dedans la ville de Paris et en eut plusieurs coups de jectez.
Estoient les Anglois autour des murs circuiant et tournoyant
à tout estendarts, et entre les autres y en avoit un blanc
à une croix vermeille, et alloient et venoient par ladicte
muraille. Aucuns seigneurs estans là devant, voulurent aller
jusques à la porte Sainct-Honoré, et entre les autres
spécialement un chevalier nommé le seigneur de Sainct-Vallier
et ses gens allèrent jusques au boulevart et boutèrent
le feu aux barrières ; et combien qu'il y eust foison d'Anglois
et de ceux de Paris qui le défendoient, toutesfois ledit
boulevart fut pris par les François d'assaut, et les ennemis
se retirèrent par la porte dedans la ville.
Les François avoient imagination que les Anglois
vinssent par la porte Sainct-Denys frapper sur eux ; parquoy les
ducs d'Alençon et de Bourbon avoient assemblé leurs
gens et s'estoient mis comme par manière d'embusche derrière
laditte butte ou montaigne et ne pouvoient bonnement approcher de
plus près pour doubte des canons, vuglaires et coulevrines
qui venoient de la dite ville et qu'on tiroit sans cesse. Ladite
Jeanne dist qu'elle vouloit assaillir la ville ; mais elle n'estoit
pas bien informée de la grande eaue qui estoit ez fossez,
et si en avoit aucuns audict lieu qui le sçavoient bien ;
et selon ce qu'on pouvoit considérer, eussent bien voulu
par envie, qu'il fut mescheu à ladicte Jeanne. Néantmoins
elle vint à grant puissance de gens d'armes, entre lesquels
estoit le seigneur de Rais, mareschal de France, et descendirent
en l'arrière-fossé avec grand foison de gens de guerre,
puis atout (avec) une lance monta jusques sur le dos-d'asne, et
tenta l'eaue qui estoit bien profonde ; quoy faisant elle eut d'un
traict les deux cuisses percées, ou au moins l'une.
Ce nonobstant, elle ne vouloit partir et faisoit toute
diligence de faire apporter et jecter fagots et bois en l'autre
fossé, pour cuider passer jusques au mur, laquelle chose
n'estoit pas possible, veue la grande eaue qui y estoit. Et depuis
qu'il fut nuict, fut envoyée quérir par plusieurs
fois, mais elle ne vouloit partir, ny se retirer en aucune manière
; et fallut que ledict duc d'Alençon l'allast quérir,
et la ramenast ; et toute la susdicte compaignée se retira
audict lieu de la Chapelle Sainct-Denys, où ils avoient logé
la nuict devant, et lesdicts ducs d'Alençon et de Bourbon,
s'en retournèrent le lendemain en la ville Sainct-Denys,
où estoit le roy et son ost. Et disoit-on qu'il ne vint oncques
de lasche courage de vouloir prendre la ville de Paris d'assault,
et que s'ils y eussent esté jusques au matin, il en eut eu
qui se fussent advisez. Il y eut plusieurs de blessez et comme nuls
morts.
Le lendemain le roi partit de Crépy et prit son chemin vers Compiègne,
où il fut reçu grandement et honorablement, et où on lui rendit obéissance.
Il y commit des officiers, et ordonna comme capitaine un gentilhomme
de Picardie, bien allié de parents et d'amis, nommé Guillaume de Flavy.
Là les manants et habitants de la ville de Beauvais envoyèrent devers
lui, et se mirent eux et la ville en son obéissance ; semblablement se mirent
en l'obéissance du roi ceux de Senlis, ville en laquelle le roi vint se loger.
En la fin du mois d'août, le duc de Bedford, dans la crainte que le roi
ne vînt en Normandie, partit de Paris avec son armée pour se rendre en
cette province. Il départit son armée en divers lieux de son obéissance
pour en garder les places. Il avait laissé à Paris messire Louis de Luxembourg,
évêque de Thérouanne, soi-disant chancelier de France pour les
Anglais, un chevalier anglais nommé messire Jean Rathelet, et un
chevalier français, nommé messire Simon Morbier, qui se disait alors
prévôt de Paris ; lesquels, pour la garde et défense de la ville, avaient à
leur disposition environ deux mille Anglais, ainsi que l'on disait.
Vers la fin dudit mois d'août, le roi quitta Senlis et s'en vint à Saint-Denis, où ceux de la ville lui ouvrirent leurs portes et firent pleine obéissance
; et avec son armée il s'établit à Saint-Denis.
Alors commencèrent grandes courses et escarmouches entre les gens du roi étant à Saint-Denis, et les Anglais soutenus par les habitants de Paris. Après que les gens du roi eurent été quelque temps à Saint-Denis, comme
trois ou quatre jours, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de
Vendôme, le comte de Laval, Jeanne la Pucelle, les seigneurs de Rais et de
Boussac, et autres à leurs suite, vinrent se loger en un villagequi est comme
à mi-chemin entre Paris et Saint-Denis, et qu'on nomme La Chapelle.
Le lendemain, comme ils étaient plus près, les escarmouches recommencèrent
plus âpres que devant, et lesdits seigneurs vinrent aux champs
vers la porte saint-Honoré, sur une manière de butte ou de montagne que
l'on nommait le marché aux Pourceaux; ils y firent ajuster plusieurs
canons et coulevrines pour tirer dans la ville de Paris, et en effet ils
en firent partir plusieurs coups.
Les Anglais circulaient et tournoyaient autour des remparts, les étentards déployés, parmi lesquels s'en trouvait un blanc à croix vermeille ;
ils allaient et venaient par ladite muraille. Quelques-uns des seigneurs
qui étaient de l'entreprise voulurent aller jusqu'à la porte Saint-Honoré ;
entre les autres spécialement un chevalier nommé le seigneur de Saint-Vallier ; lui, ses gens allèrent jusqu'au boulevard, et mirent le feu aux
barrières, et malgré le grand nombre d'Anglais et d'habitants de Paris
qui le défendaient, le boulevard fut pris d'assaut, et les ennemis rentrèrent
par la porte dans la ville.
Les Français s'attendaient à ce que les Anglais vinssent par la porte
Saint-Denis fondre sur eux ; c'est pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon
entourés de leurs gens s'étaient mis comme en embuscade derrière ladite
butte ou montagne ; et ils ne pouvaient bonnement approcher de plus
près par crainte des canons, veuglaires et coulevrines qui tiraient sans
cesse de la ville.
Jeanne dit qu'elle voulait assaillir la ville de Paris; mais elle n'était pas
bien informée de la profondeur de l'eau qu'il y avait dans les fossés; et
il y en avait autour d'elle qui le savaient fort bien ; mais on pouvait voir que par envie ils eussent bien voulu qu'il lui arriva male aventure. Néanmoins elle vint avec grande force, et nombreux hommes d'armes,
parmi lesquels le seigneur de Rais, maréchal de France ; ils descendirent
en l'arrière-fossé avec de nombreux gens de guerre ; puis avec sa lance
Jeanne monta sur le dos d'âne, et se mit à sonder l'eau qui était bien
profonde. Pendant qu'elle y était occupée, un trait lui blessa les deux
cuisses, ou l'une tout au moins. Ce, nonobstant, elle ne voulait pas se retirer, et elle se donnait toute
sorte de soins pour faire apporter et jeter fagots et bois dans le second fossé, dans l'espérance de passer jusqu'au mur ; ce qui n'était pas possible
vu la grande quantité d'eau dont il était rempli. Dès que la nuit commença,
on envoya plusieurs fois la quérir ; mais elle ne voulait en aucune manière ni partir ni se retirer; il fallut que le duc d'Alençon vint la quérir et
l'emmenât sous sa tente. Et tous se retirèrent à La Chapelle-Saint-Denis,
où ils avaient passé la nuit précédente. Le lendemain, les ducs d'Alençon et
de Bourbon revinrent à Saint-Denis, où le roi se trouvait avec son armée.
Et l'on disait que par lâcheté de courage, il n'avait jamais voulu prendre Paris d'assaut, et que si on y fut resté jusqu'au matin il y en eut qui se fussent avisés.
Il y eut plusieurs blessés, et comme pas un mort.
Source : édition Vallet de Viriville - 1859
Illustration :
- Vue de l'enceinte de Paris à la
porte St-Honoré ("Jeanne d'Arc - H.Wallon - éd.1892)
- Porte St Honoré (XVII° siècle) ("La grande
histoire illustrée de Jeanne d'Arc - H.Debout - 4°éd.1922)
Notes :
1 Sera Capitaine de la ville de Compiègne lors de la prise
de la Pucelle.
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