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Chronique de Perceval de Cagny - index
13 - Comment le Roy et le duc de Bethford furent l'un devant l'autre près Senlis |
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e dimenche XIIII° jour du mois d'aoust ensuivant, la Pucelle,
le duc d'Alençon, le conte de Vendosme, les mareschaulx et
autres cappitaines acompaigniez de VI à VII mil combatans,
furent à l'eure de vespres logiés à une have
aux champs près Montpillouer (1),
environ deux lieues près la cité de Senlis. Le duc
de Bethford, les capitaines Englois acompaigniez de viii à
ix mille Englois estoient logiez à demye lieue près
de Senlis, entre noz gens et laditte ville, sur une petite rivière (2), en ung village
nommé [Nostre Dame] de la Victoire. Celuy vespre, noz gens
alèrent escharmouchier avecques les Englois près de
leur logis, et à icelle escharmouche furent des gens prins
d'ung costé et d'autre, et y fut mort du costé des
Englois le capitaine d'Orbec et x ou xii autres, et des gens bleciez
d'un costé et d'autre. La nuit vint, chacun se retrait en
son logis.
Le lundi XV° jour dudit mois d'aoust MCCCCXXIX,
la Pucelle, le duc d'Alençon et la compaignie cuidans ce
jour avoir la bataille, touz ceulx de la compaignie, chacun endroit
soy, se mist ou milleur estat de sa conscience que faire se peut
; et ouyrent la messe le plus matin que faire se peult, et après
ce à cheval. Et vindrent metre leur bataille près
de la bataille des Englois, qui ne se estoient bougés de
leur logis où ilz avoient geu. Et toute la nuit se fortiffièrent
de paulx, de fossez et de leur charrey au devant d'eulx ; et la rivière
les fortifiet par desrière. Tousjours avoit de grans escharmouches
entre les ungs et les autres. Les Englois ne firent oncques nul
semblant de vouloir saillir hors de leur place, si non par escharmouche.
Et quant la Pucelle veit que ilz ne venoient point dehors, son estendart
en sa main se vint metre en l'avant garde et vindrent férir
jusques à la fortificacion des Englois. Et [en] celle entreprinse
furent mors des gens de l'ung costé et de l'autre ; et pour
ce que les Englois ne vouldrent faire semblant de saillir à
grant effort, la Pucelle fist tout retraire jusques à la
bataille, et fut mandé aux Englois par la Pucelle , le duc
d'Alençon et les capitaines, que, se ilz vouloient saillir
hors de leur place pour donner la bataille, nos gens se reculleroient
et les lesseroient metre en leur ordonnance. De quoy ilz ne vouldrent
riens faire et tout le jour se tindrent sans saillir se non pour
escharmoucher. La nuit venue, noz gens revindrent en leur logis.
Et le roy fut tout ce jour à Montepillouer. Le duc de Bar,
qui estoit venu devers le roy à Provins (3),
estoit en sa compaignie, le conte de Cleremont et autres des cappitaines
avecques eulx. Et quant le roy veit que on ne povoit faire saillir
les Englois hors de leur place et que la nuit aprochoit, il retourna
à piste audit lieu de Crespi.
La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compaignie
se tindrent toute la nuit en leur logis. Et pour sçavoir
se les Englois se metroient point après eulx, le mardi bien
matin, se recullèrent jusques à Montepillouer et là
furent jusques environ heure de midi que nouvelles leur vindrent
que les Englois retournoient à Senlis et droit à Paris.
Et noz gens s'en vindrent devers le roy audit lieu de Crespi.
Le mercredi XVII° jour dudit mois, furent aportés
devers le roy les clefs de la ville de Compiengne, et le jeudi ensuivant
le roy et sa compaignie alèrent à piste audit de Compiengne.
Le dimanche XIVe jour d'août, la Pucelle, le duc d'Alençon,
le comte de Vendôme, les maréchaux et autres capitaines, à la tête de VI à VII mille combattants, à l'heure de vêpres, vinrent s'échelonner en
un seul rang (4) près de Montépilloy, à deux lieues environ de la cité de
Senlis. Le duc de Bedford, et les capitaines anglais, commandant de
VIII à IX mille Anglais, étaient campés à demi-lieue, près de Senlis,
entre nos gens et la ville, sur une petite rivière, en un village nommé
La Victoire. Ce soir, nos gens allèrent escarmoucher avec les Anglais
près de leur campement ; et à cette escarmouche, il fut fait des prisonniers
de part et d'autre; du côté des Anglais, le capitaine d'Orbec et
X ou XII autres y trouvèrent la mort ; il y eut des blessés des deux côtés.
La nuit vint, et chacun se retira dans son camp.
Le lundi XVe jour d'août MCCCCXXIX, dans la pensée qu'on aurait
la bataille ce jour-là même, la Pucelle, le duc d'Alençon, la compagnie,
chacun de ceux qui composaient l'armée, se mirent, à part soi, dans le
meilleur état de conscience que faire se peut (5) ; ils ouïrent la messe le plus
matin possible ; et après ce, à cheval. Ils vinrent mettre l'armée près de l'armée des Anglais. Ceux-ci n'avaient pas bougé du lieu où ils avaient couché. Toute la nuit ils s'étaient
fortifiés avec des pieux, en creusant des fossés, en mettant leurs charrois
devant eux; la rivière protégeait leurs derrières. Il y eut tout le jour de
grandes escarmouches, sans que les Anglais fissent jamais quelque semblant
de vouloir sortir de leur position, sinon pour combat d'escarmouche.
Quand la Pucelle vit qu'ils ne sortaient pas, elle vint son étendard en main
se mettre à l'avant-garde, et s'avança assez pour venir frapper aux fortifications
des Anglais. En cette attaque il y eut des morts de côté et d'autre.
Les Anglais ne donnant aucun signe de vouloir sortir avec leurs grandes
forces, la Pucelle fit retirer tout son monde jusqu'au gros de l'armée ; et
il leur fut mandé de sa part, de la part du duc d'Alençon, des capitaines,
que s'ils voulaient sortir de leur parc pour donner la bataille, nos gens
se reculeraient, et les laisseraient se mettre en leur ordonnance de
combat. Ils ne voulurent pas accepter, et ils se tinrent tout le jour sans
sortir de leurs fortifications, sinon pour de légers engagements. La nuit
venue, nos gens revinrent à leur campement.
Le roi fut tout ce jour à Montépilloy. Etaient en sa compagnie le duc
de Bar qui l'avait rejoint à Provins, le comte de Clermont et d'autres
capitaines. Quand le roi vit qu'on ne pouvait faire sortir les Anglais de
leur position et que la nuit approchait, il retourna prendre gîte à Crépy.
La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie, se tinrent toute la
nuit en leur lieu de campement. Pour savoir si les Anglais ne se mettraient
pas à leur poursuite, le mardi bien matin, ils se reculèrent à
Montépilloy, et ils se tinrent jusques environ l'heure de midi, que des
nouvelles leur vinrent que les Anglais retournaient à Senlis et droit à Paris. Nos gens rejoignirent alors le roi à Crépy.
Le mercredi XVIIe jour du même mois, les clefs de la ville de Compiègne
furent apportées au roi, et le lendemain, jeudi, le roi et sa compagnie
allèrent prendre gîte en cette cité.
Sources
: Jules Quicherat - "Bibliothèque
de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143
- 1845-46" et "Procès de condamnation et de réhabilitation
de la Pucelle" t.IV, p.1 à 37.
Illustrations :
- Vue du chateau de Crépy-en-Valois vers 1910 ("La grande
histoire illustrée de Jeanne d'Arc" - H.Debout - 4°
éd.1922).
Notes :
1 Montépilloy.
2 La Nonette.
3 A Reims, selon les autres chroniqueurs. Ce duc de Bar était
René d'Anjou, qui fut depuis roi de Sicile.
4 C'est le sens que nous donnons au texte : furent logiés à une haye, aux champs, près Montpillouer. C'est, d'après Lacurne, une des significations du mot rangés en haie, en termes militaires, et l'on conçoit assez difficilement six ou sept mille hommes derrière une haie. (Ayroles)
5 C'est par suite de cette préparation si chrétienne que le seigneur d'Ourches déposait à Vaucouleurs: « J'ai vu Jeanne se confesser à Frère Richard devant la ville de Senlis, et recevoir durant deux jours (le dimanche et le jour de l'Assomption) le corps du Christ avec les ducs de Clermont et d'Alençon » (Ayroles).
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