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Chronique de Perceval de Cagny - index
20 - Comme le Roy demoura à parsuivre sa guerre |
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uant le roy se trouva audit lieu de Gien, lui et ceulx qui le gouvernoient
firent semblant que ilz fussent comptens du voyage que le roy avoit
fait ; et depuis de longtemps après, le roy n'entreprint
nulle chose à faire sur ses ennemis ou il vousist estre en
personne. On pourroit bien dire que ce estoit par son conseil (1),
se lui et eulx eussent voulu regarder la très grant grace
que Dieu avoit fait. Il lui et à son royaulme par l'entreprinse
de la Pucelle, message de Dieu en ceste partie, comme par ses faiz
povoit estre aperceu. Elle fist choses incréables à
ceulx qui ne l'avoient veu ; et peult-on dire que encore eust fait,
se le roy et son conseil se fussent bien conduiz et maintenuz vers
elle ; et bien y apert, car en moins de IIII mois, elle délivra
et mist en l'obéissance du roy sept citez, savoir est
Orléens, Troye en Champaigne, Chaalons, Rains, Laan, Soissons
et Senliz, et plusieurs villes et chasteaulx, et gaigna la bataille
de Patay, et par son moyen fut le roy sacré et couronné
audit lieu de Rains, et furent touz chevaliers et escuiers et autres
gens de guerre très bien contens de servir le roy en sa compaignie
combien qu'ilz furent petitement souldoyez.
Depuis ce dessus escript, le roy passa temps ès
païs de Touraine, de Poitou et de Berri. La Pucelle fut le
plus du temps devers lui, très marrie de ce que il n'entreprenoit
à conquester de ses places sur ses ennemis. Et le roy estant
en sa ville de Bourges, elle print aucuns des capitaines et sur
la rivière de Laire, environ la ville de la Charité,
qui estoit tenue par les Bourguignons, elle conqueste III ou IIII
places ; et après ce, le mareschal de Boussac et d'autres
cappitaines se joingnirent avecques elle ; et tantost après
ce, elle mist le siège devant ledit lieu de la Charité.
Et quant elle y ot esté une espasse de temps, pource que
le roy ne fist finance de lui envoyer vivres ne argent pour entretenir
sa compaignie, luy convint lever son siège et s'en départir
à grant desplaisance.
En l'an MCCCCXXX en la fin du mois d'avril, la Pucelle, très
mal content des gens du conseil du roy sur le fait de la guerre,
partit de devers le roy et s'en ala en la ville de Compiengne sur
la rivière de Oyse (1).
Quand le roi
fut arrivé audit lieu de Gien, lui et ceux qui le gouvernaient firent
semblant de penser que c'était assez du voyage qu'il avait fait ; et de
longtemps après, le roi n'entreprit sur ses ennemis aucun dessein où il
voulût être en personne. On pourrait bien dire que c'était par fol conseil, si lui et eux eussent voulu considérer la très grande grâce que
Dieu lui avait faite, et avait faite à son royaume, par l'entreprise de la
Pucelle, messagère de Dieu sur ce point, comme on pouvait le reconnaître
par ses faits.
Elle fit des choses incroyables à ceux qui ne les avaient pas vues, et
l'on peut dire qu'elle en aurait fait encore, si le roi et ses conseillers se
lussent bien conduits et bien maintenus envers elle. C'est en tout point
manifeste, car en moins de quatre mois, elle délivra et mit en l'obéissance
du roi sept cités, à savoir Orléans, Troyes-en-Champagne, Châlons,
Reims, Laon, Soissons et Senlis, et plusieurs villes et châteaux; elle gagna
la bataille de Patay ; par son moyen le roi fut sacré et couronné à Reims,
et tous, chevaliers, écuyers et autres gens de guerre, furent très
bien contents de servir le roi en sa compagnie, encore qu'ils fussent
petitement soldés.
A la suite de ce qui vient d'être rapporté, le roi passa son temps aux
pays de Touraine, de Poitou et de Berry. La Pucelle fut la plupart du temps auprès de lui, très marrie de ce qu'il n'entreprenait pas de conquérir de ses places sur ses ennemis. Le roi étant en sa ville de Bourges, elle prit quelques capitaines et
conquittrois ou quatre places sur la rivière de la Loire, dans les environs de
la ville de La Charité, qui était tenue par les Bourguignons. Après ces
succès, le maréchal de Boussac et d'autres capitaines se joignirent à elle,
et bientôt après elle mit le siège devant ledit lieu de La Charité. Elle y
resta un certain espace de temps, mais parce que le roi n'en vint pas à lui
envoyer des vivres et de l'argent, pour entretenir sa compagnie, elle dut
lever son siège et se retirer à sa grande déplaisance.
En l'an MCCCCXXX, vers la fin du mois d'avril, la Pucelle, très mécontente
des gens du conseil du roi sur le fait de la guerre, partit d'auprès
du roi, et s'en alla en la ville de Compiègne, sur la rivière de l'Oise.
Sources
: Jules Quicherat - "Bibliothèque de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143
- 1845-46" et "Procès de condamnation et de réhabilitation
de la Pucelle" t.IV, p.1 à 37.
Notes :
1 Note de Quicherat : ce paragraphe a l'air d'une interpolation
car le fait est rapporté bien plus exactement dans le chapitre
qui suit.
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