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La
relation du greffier de La Rochelle
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1ère partie |
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' an de grâce mil quatre cent vingt et neuf fut maire de La
Rochelle honorable homme sire Hugues Guibert.
Item le XXIII° jour dudit mois de febvrier (1),
vint devers le Roy nostre seigr, qui estoit à Chinon, unne
Pucelle de l'aage de XVI à XVII ans, née de Vaucouleur
en la duché de Laurraine, laquelle avoit nom Jehanne et estoit
en habit d'homme : c'est assavoir qu'elle avoit pourpoint noir,
chausses estachées, robbe courte de gros gris noir, cheveux
ronds et noirs, et un chappeau noir sur la teste ; et avoit en sa
compagnie quatre escuiers qui la conduisoyent. Et quant elle fut
arrivée au dit lieu de Chinon où le Roy estoit, comme
dit est, elle demanda parler à luy. Et lors on luy monstra
Monsgr Charles de Bourbon, feignant que ce fust le Roy ; mais elle
dit tantost que ce n'estoit pas le Roy, qu'elle le cognestroit bien
si elle le voioit, combien que onques ne l'eust veu. Après
on luy fit venir un escuier, faignant que c'estoit le Roy ; mais
elle cognut bien que ce n'estoit-il pas ; et tantost après
le Roy saillit d'unne chambre, et tantost qu'elle le vit, elle dit
que c'estoit il et luy dit qu'elle estoit venue à luy de
par le Roy du Ciel, et qu'elle vouloit parler à luy. Et dit-on
qu'elle luy dit certaines choses en secret, dont le Roy fut bien
esmerveillé.
Et après, la ditte Pucelle luy dit que, si il
vouloit faire ce qu'elle luy ordonneroit, qu'il
recouvreroit sa seigneurie et que lesdits Anglois s'en iroyent hors
de son royaulme. Et après, pour ce que le Roy nostre dit
seigr fut bien esmerveillé de la venue et dire de la ditte
Pucelle et de son estat, il la fit interroger d'où elle estoit,
de quoy elle avoit usé et pour quelle cause elle estoit venue.
Laquelle dit qu'elle estoit dudit lieu de Vaucouleur en Lorraine,
et qu'elle avoit tousjours gardé les brebis, et qu'en les
gardant luy estoyent venues par plusieurs fois advisions et admonestemans
de venir par devers le Roy nostre dit seigr, et que pour cette cause
elle s'estoit mise en chemin et estoit venue de par ledit Roy du
Ciel ; et que si le Roy nostre dit seigneur vouloit faire ce qu'elle
luy ordonneroit, que les Anglois s'en iroient tous de son royaume
ou mourroient, et recouvreroit tout ce qu'il y avoit perdu.
Item, le Roy la fit aussy interroger par ceux de son
conseil, tant clers comme lays, pour scavoir si l'on la trouveroit
point variant ; mais elle fut trouvée en tel estat qu'il
n'estoit aucun seigr, tel fust-il, qui sceust rien trouver contre
elle ne la reprandre de chose qu'elle dist. Aussi elle se fasoit
à confesser chacun jour et recevoit corpus Domini,
et estoit femme de grande devotion et de saincte vie, et ne buvoit
et mangeoit comme rien. Et demeura la ditte Pucelle avecque le Roy
nostre seigr audit lieu de Chinon par aucun jour, et après
il s'en vient à Poictiers et elle avec luy. Auquel lieu de
Poictiers le Roy la fit encores interroger par clers grands et excellans
; mais ils la trouvoyent si ferme et si bien respondant de tout
ce que l'on luy demandoit, que ceux qui parloyent à elle
estoyent tout esmerveillés et disoient qu'ils tenoient que
son fait venoit et procédoit de Dieu. Et après elle
fut baillée en garde à la femme de Me Jean Rabateau,
où elle demeura par aucun temps, durant lequel elle disoit
de merveilleuses choses en poursuivant chacun jour le Roy qu'il
assemblast ses gens pour aller lever le siège de devant la
ditte ville d'Orléans.
Auquel lieu de Poitiers, durant ce qu'elle y fust, le
Roy par son ordonnance lui fit faire une arnois pour son corps ;
et après que son dit arnois fut fait, elle dit au Roy qu'il
envoyast un chevaucheur à Ste-Katerine de Fierboys (2)
querir unne espée qui estoit en unne arche dedans le
grand hostel (3) de l'église
; et tantost le Roy y envoya ledit chevaucheur, lequel demanda aux
fabriqueurs de la ditte église la ditte espée ; mais
ils respondirent qu'ils ne savoient que c'estoit. Et lors ledit
Chevaucheur
leur dit qu'ils fissent dilligence de la trouver, et que le Roy
et la Pucelle le leur mandoyent; lesquels fabriqueurs et chevaucheur
allèrent devers ledit grand autel et en une vieille arche
qui n'avoit esté ouverte passé avoit xx ans, comme
disoyent les dits fabriqueurs, trouvèrent la ditte espée,
laquelle ledit chevaucheur apporta à ladite Pucelle, qui
l'envoya à Tours pour y faire faire un fourreau d'ornement
d'églize.
Item la ditte Pucelle estant audit lieu de Poictiers
et après que son dit harnois fut fait, elle s'en arma et
avec les gens d'armes alloit aux champs et couroit la lance aussy
bien et mieux qu'homme d'armes qui y fust, et chevauchoit les coursiers
noirs, de tels et de si malicieux qu'il n'estoit nul qui bonnement
les osast chevaucher, et fesoit tant d'autres choses merveilleuses
que chacun en estoit tout esmerveillé. Et fit faire audit
lieu de Poictiers son estandard, auquel y avoit un escu d'azur,
et un coulon blanc dedans ycelluy estoit ; lequel coulon tenoit
un role en son bec où avoit escrit de par le roy du ciel.
Et ce fait, escrist aux Anglois dudit siége unne lettre close
contenant cette forme.
"Roy d'Angleterre, faites raison au Roy du ciel
de son sang réal ; randés les clefs à la Pucelle
de touttes les bonnes villes que vous avez enforcées en France.
Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang réal,
et est toutte preste de faire paix si vous luy voulés faire
raison, par ainsy que France vous mettiez juz et paiez de ce qui
vous l'avez tenue.
Roy d'Angleterre, si ainsy ne le faites, je suis chef
de guerre ; en quelque lieu que je atteindray vos gens en France,
se ils ne veulent obéir, je les en feray issir vueillent
ou ne vueillent, et si ils veulent obéir, je les prandray
à mercy. Croyant (4) que, s'ils ne veulent
obéir, la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par
le Roy du ciel, corps pour corps, pour vous boutter hors de toutte
France, et vous promet et certifie la Pucelle qu'elle y fera si
gros hahay que encores y a il mil ans que en France ne fut si grand,
si vous ne luy faites raison. Et croyés fermement que le
Roy du ciel luy envoyra plus de force que ne luy sauriez mener de
tous assaulz à elle ne à ses bonnes gens d'armes.
Entre vous, archers, compagnons d'armes, gentils et
vilains (5), qui estes devant Orléans,
allez-vous en en vostre pays de par Dieu. Si ainsy ne le faites,
donnez vous en garde de la Pucelle et de vos dommages vous souvienne
; ny prenez mye vostre opinion que vous ne tendrez mie France du
Roy du ciel le ferez mais (6), ains la tiendra
le Roy Charles qui entrera à Paris à bonne compaignie.
Si vous ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque
lieu que vous trouverons nous férirons dedans à horions
: si verrons lesquelz milleur droit auront de Dieu ou de vous.
Guillaume la Poule, conte de Suffolc, Jean sire de Tallebot,
et vous Thomas sire de Scalles, lieutenant du duc de Bethefort,
soy disant régent du royaulme de France pour le Roy d'Angleterre,
faites responce si voulez faire paix en la cité d'Orléans.
Si ainsy ne le faites, de vos dommages vous souvienne briefvement.
Duc de Bethefort, qui vous dites régent de France
pour le Roy d'Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert que vous
ne vous faciez destruire. Si vous ne luy faites raison, encore pourra
venir qu'en sa compaignie les François feront le plus beau
fait qu'encores fut fait en chrestienté."
Escrit le mardy de la grand sepmaine. Entendés
les nouvelles de Dieu de la Pucelle.
Ainsy soubscrites : "au duc de Bethefort qui se dit régent
pour le Roy d'Angleterre."
L'an de grâce mil quatre cent vingt et neuf fut maire de la La Rochelle
honorable homme, sire Hugues Guibert.
Item. — Le XXXIIIe jour dudit mois de février, vient devers le roi notre
seigneur, qui était à Chinon, une Pucelle de l'âge de seize à dix-sept
ans, née à Vaucouleurs en la duché de Lorraine laquelle s'appelait
Jeanne et était en habits d'homme, c'est à savoir : pourpoint noir,
chausses attachées, robe courte de gros gris noir, cheveux
ronds et noirs, et un chapeau noir sur la tête. Elle avait en sa compagnie
quatre écuyers qui la conduisaient. Quand elle fut arrivé audit lieu
de Chinon, où, comme il est dit, le roi était, elle demanda à lui parler.
Et alors on lui montra Monsgr Charles de Bourbon, en feignant que
c'était le roi ; mais elle dit aussitôt que ce n'était pas le roi, et qu'elle
le connaîtrait bien, si elle le voyait, encore que jamais elle ne l'eût vu.
Après l'on fit venir un écuyer en feignant que c'était le roi ; mais elle
connut bien qu'il ne l'était pas; et bientôt après le roi sortit d'une chambre, et aussitôt qu'elle le vit, elle dit que c'était lui, et elle lui dit
qu'elle était venue à lui de par le Roi du Ciel, et qu'elle voulait lui parler.
Et raconte-t-on qu'elle lui dit en secret certaines choses, dont le roi
fut bien émerveillé.
Après, la Pucelle lui dit que s'il voulait faire ce qu'elle lui ordonnerait,
il recouvrerait sa seigneurie, et les Anglais s'en iraient hors de son
royaume. Le roi notre seigneur, bien émerveillé de la venue et du dire
de cette Pucelle et de son état, la fit interroger d'où elle était, quelle avaitété sa vie, et pour quelle cause elle était venue. Elle répondit qu'elle était dudit lieu de Vaucouleurs en Lorraine, qu'elle avait toujours gardé
les brebis, et qu'en les gardant, lui étaient venus par plusieurs fois des
visions et des avertissements de venir par devers le roi notredit seigneur; que pour cette cause elle s'était mise en chemin et était venue
de par le Roi du Ciel. Si le roi voulait faire ce qu'elle lui ordonnerait,
les Anglais s'en iraient tous de son royaume, ou y mourraient ; et il
recouvrerait tout ce qu'il y avait perdu.
Item, le roi la fit aussi interroger par ceux de son conseil, tant clercs que
laïques, pour savoir si on ne la trouverait point variant en ses paroles;
mais elle fut trouvée en tel état qu'il n'était aucun seigneur, quel qu'il
fût, qui pût rien découvrir contre elle, ni la reprendre de chose qu'elle
dît.
Elle faisait sa confession chaque jour et recevait le corps du Seigneur, était femme de grande dévotion et de sainte vie, et buvait et mangeait
si peu que rien.
La Pucelle demeura quelques jours à Chinon avec le roi notre seigneur,
et après il s'en vint à Poitiers, et elle avec lui. A Poitiers le roi
la fit interroger par clercs grands et excellents. Ils la trouvèrent si ferme,
répondant si bien à tout ce qu'on lui demandait, que ceux qui lui parlaient
en étaient tout émerveillés, et disaient tenir que son fait venait et
procédait de Dieu.
Elle fut ensuite donnée en garde à la femme de Jean Rabateau, auprès de laquelle elle demeura quelque temps, durant lequel temps elle disait
de merveilleuses choses, tout en poursuivant chaque jour le roi, pour
qu'il assemblât ses gens, afin de faire lever le siège de devant Orléans.
Pendant qu'elle était à Poitiers, le roi, sur ses indications, lui fit faire
une armure pour son corps. Cette armure faite, elle demanda au roi
d'envoyer un chevaucheur à Sainte-Catherine-de-Fierbois, querir une épée qui était dans un coffre devant le grand-autel de l'église. Le roi y
envoya aussitôt un chevaucheur qui demanda aux fabriciens de l'église
ladite épée. Ils répondirent qu'ils ne savaient de quoi on leur parlait.
Le chevaucheur leur dit de faire diligence pour la trouver, que le roi et
la Pucelle le leur mandaient. Les fabriciens et le chevaucheur allèrent
devant l'autel, et dans un vieux coffre qui, disaient les fabriciens,
n'avait pas été ouvert depuis passé vingt ans, ils trouvèrent l'épée
demandée. Le chevaucheur l'apporta à la Pucelle qui l'envoya à Tours
pour y faire faire un fourreau d'ornement d'Église.
La Pucelle étant à Poitiers prit ses armures aussitôt que son harnais
fut prêt. Elle allait aux champs avec les gens de guerre, et elle courait la
lance aussi bien et mieux qu'aucun homme d'armes qui y fût ; elle chevauchait
les coursiers noirs, tels et si malicieux qu'il n'était nul qui
osât en réalité les chevaucher; elle faisait tant d'autres merveilles
que chacun en était tout émerveillé.
Elle fit faire à Poitiers son étendard, sur lequel était un écu d'azur;
et au dedans de l'écu un colombeau blanc, qui tenait en son bec un rôle
sur lequel était écrit : De par le Roi du Ciel.
Cela fait, elle écrivit aux Anglais du siège d'Orléans une lettre close,
dans la forme qui suit :... (voir texte lettre ci-dessus).
Source
: La revue historique, 1877 - t.IV - Jules Quicherat.
Mise en Français plus moderne (texte bleu) : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III - 1897
Illustration :
- Statue de Jeanne d'Arc à Chinon ("Au
pays de Jeanne d'Arc" - Jean de Metz - 1910).
Notes :
1 Quicherat ne fait aucune allusion à cette date du 23
février qui est pourtant, de nos jours, souvent adoptée
pour l'arrivée de la Pucelle à Chinon. Elle correspond
d'ailleurs à la date du départ de Vaucouleurs donnée
par le témoignage de Jean de Metz (dimanche des Bures le
13 février 1429).
2 Il y a dans le texte "Ste-Bradine d'Escoboys".
3 sic pour "autel".
4 "Croyez" dans la chronique de La Pucelle.
5"Vaillants" dans la chronique de la Pucelle.
6 Le fils saincte Marie", dans la Chronique de la Pucelle.
7 Le texte est celui de la Chronique des Cousinot, page 74 ; au lieu de
vous bouter hors de France, le greffier écrit : vous bouter hors de toute
France; au lieu de compagnons d'armes, gentils et vaillants, il dit :
compagnons d'armes, gentils et vilains; vilains signifiait alors homme libre
de la campagne ; les vilains étaient nombreux dans l'armée anglaise ; ils
sont ici opposés à gentils qui signifie nobles ; ce texte nous semble préférable. (Ayroles).
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