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La
relation du greffier de La Rochelle
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2ème partie (1) |
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la dite Pucelle estoit moult de saincte vie, comme dit est, et se
confessoit bien souvent et recevoit corpus Domini, et aussy
le faisoit faire au Roy nostre sgr et à tous les chefs de
guerre et à leurs gens. Et après qu'elle eut escript
aux dits Anglois les dittes lettres closes, elle fit son ordonnance
pour aller advitailler ladite ville d'Orléans et aller en
personne ; et estoient-ils Monsr de Retz, M. le bastard d'Orléans,
Lahyre et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre avec elle
; et fit tant qu'elle entra et fit entrer, le mercredy VIIIe jour
de may (2) l'an mil CCCCXXIX, grand
quantité de vivres en ladite ville d'Orléans ; et
elle mesme et les dits seigneurs y entrèrent sans ce que
les dits Anglois saillissent de leur siége ne y missent aucun
empeschement. Et quant elle fust entrée dans ladite ville
d'Orléans, elle fit retourner lesdits seigneurs audit lieu
de Bloys quérir le demeurant des vivres qui y estoyent demourez,
et leur ordonna qu'ils les amenassent hardiment par la Beausse et
n'eussent point de peur, car ils ne trouveroyent qui se mist au
devant d'eux. Lesquels seigneurs y allèrent et amenèrent
ledit demourant des vivres en laditte ville d'Orléans par
laditte Beausse sans ce que les Anglois se apparussent à
eux ; desquels vivres les bonnes gens d'icelle ville d'Orléans
furent tous reconfortez, car ils en avoyent bien nécessité.
Et tous lesdits vivres ainsy entrés, elle et les dits seigneurs
et gens de guerre allèrent deviant la bastide de Saint-Loup
et la prirent par force et par assault, et y moururent bien sept
vingt (3) Anglois.
Item et le vendredy en suivant, Xe jour dudit mois de
may, la ditte Pucelle estant en la ditte ville d'Orléans
fist son ordonnance pour aller assaillir, ledit boullevart du pont
et ledit hostel des Augustins ; et de fait y alla avec les dits
seigneurs estans en sa compaignée. Et après que eux
et leurs gens eurent ouï messe et eux confessé par l'ordonnance
d'icelle Pucelle, elle fit crier et tromper à l'assault,
et prirent tantost
ledit hostel des Augustins. Et le lendemin prirent aussy de bel
assault ledit boullevart du bout du pont, où il avoit bien
de six à sept cent hommes d'armes d'Anglois, dont estoit
chef Glacidas, lieutenant du conte Salcebery ; lequel Glacidas en
se retirant en unne tour cheut en Leyre et bien deux ou trois cent
en sa compaignée par le moyen du pont qui rompit, et le demourant
fut mort et pris. Et dura l'assault bien cinq heures ; et de nos
gens ne mourut que un champion, dont les dits srs et tout le monde
furent bien merveillez, car ledit boulevart estoit si fort, que
l'on tenoit que tout le monde ne l'eust peu prandre sur les Anglois
qui estoyent dedans tant qu'ils eussent eu vivres, si non quo ce
fust par gràce et puissance divine.
Et estoit la dite Pucelle armée tout à
blanc au dit assault, son estandart en unne main et son espée
en l'autre, et y fut blessée d'un traict en la poictrine
; mais elle n'en partit point pour tant et n'en fit compte, combien
que ceux qui la voyent blesser, et qui virent comme elle osta le
traict, disoient qu'elle seigna grandement et qu'elle estoit bien
blessée ; mais ce nonobstant elle manda au conte de Talbot,
qui tenoit la bastide du costé de la Beausse, qu'il s'en
allast de par Dieu, et comment qu'il fut, qu'elle ne le trouvast
pas le lundy matin ensuivant, ou autrement qu'il luy en prandroit
mal. Lequel Talbot leva laditte bastide le dimanche matin et s'en
alla en autres forteresses angloises estans entour la dite ville
d'Orléans ; et lessèrent ceux de ladite bastide fours
bombardes, canons, artilleries et autres habillemans de guerre et
grande force de vivres, qui tout fut emmené en la ditte ville
d'Orléans. Pour occasion des quelles nouvelles, en la ville
de La Rochelle furent faites processions généralles
et dévotes deux fois la sepmaine.
Item, après ces choses ladite Pucelle s'en alla
devers le Roy pour le querir et amener en la dite ville d'Orléans
; et demoura par aucuns jours avec luy, et après elle
s'en retourna de rechef dudit lieu d'Orléans et tantost alla
mettre le siége devant Gergeau où estoient le conte
de Suffolc, le conte de la Poule et autres seigneurs anglois à
grand puissance. Et incontinent que ladite Pucelle fut devant, ledit
conte de Suffolc saillit dehors et alla à Monsr le bastard
d'Orléans et luy dit que l'on ne donnast point d'assault
audit lieu de Gergeau et qu'il la randroit ; mais ce nonobstant
ladite place fut assaillie d'un des costez par l'ordonnance de ladite
Pucelle et fut tantost prise d'assault le vendredy xe jour de jung
ledit an mil ccccxxix. Et quant ledit conte de Suffolc vit ladite
prise, par ce que Monsr d'Alançon qui y estoit et autres
seigneurs le vouloyent prandre prisonnier, il dit qu'il ne se rendroit
point à eux, se deust estre mort, en criant à haute
voix : "Je me rens à la Pucelle qui est la plus vaillante
femme du monde et qui nous doit tous subjuguer et mettre à
confusion". Et de fait vint à ladite Pucelle et se rendit
à elle ; et ledit conte de la Poule fut prisonnier à
mondit sgr d'Alançon.
A ladite prise mourut messire Alexandre la Poule et
bien de cinq à six cent Anglois, et les autres furent prisonniers.
Et dit et affirma par serment ledit conte de Suffolc, après
ce qu'il fut ainsy randu, que dedans ledit lieu de Gergeau avoit
cinq cent chevaliers, escuiers et autres gens d'armes des milleurs
de toute l'Angleterre, et deux cents archers d'élitte aussy
des milleurs d'Angleterre. Et ce fait, ladite Pucelle et lesdits
srs sus nommez allérent mettre le siége devant Boygensis
(4), où avoit de quatre à
cinq cens Anglois, lesquels rendirent tantost la place en la main
du Roy et s'emparent (5) d'icelle à
telle condition qu'ils ne se armeroyent contre le Roy jusques à
certain temps.
Et si tantost que ladite reddition fut faitte, qui fut
le xviije jour de jung, Talbot, Fastre, Hongrefort, Remiston de
Galles et autres capitaines, et plusieurs Anglois qui estoyent nouvellement
arrivez sur Leyre jusques au nombre de [mille] trois cent combattans
ou environ, descampèrent icelle place ; et eux en fuyant
furent poursuivis par nos gens tellement qu'il en demeura que pris
que morts sur la place plus de deux mil six cent, et n'eschappa
aucun des dits chefs anglois que tous ne fussent prisonniers. Et
estoyent nos dites gens bien xvr mil combatans et plus, ainsy que
ces choses le Roy nostre dit sr escrivit à Monsr le Maire
et à Messrs de La Rochelle, gens d'Eglize et autres ; lequel
M. le Maire, après les dites lettres reçues, s'en
alla incontinent en l'église St-Berthommé d'icelle
ville, en laquelle la plus grande partie de Messieurs les bourgeois
de ladite ville se rendirent, et illec fut ordonné de faire
promptement sonner les services par touttes les églizes d'icelle,
ville et que chacun s'assemblast en l'église de sa parroisse
et qu'illec fut remercié nostre Seigneur desdittes nouvelles
en chantant solennellement le Te Deum laudamus et autrement
en prières et oraisons; et que celuy jour au soir fussent
faits feux nouveaux par les carrefours de ladité ville et
le lendemain procession généralle et dévotte
en l'églize Nostre Dame de Losnes. Et ainsy fut fait comme
il fut ordonné, et fut donné aux petits enfants de
la ville à chacun unne fouace affin qu'ils criassent devant
la ditte procession à haute voix : Noël ! Noël
!
La Pucelle était de sainte vie. Elle se confessait bien souvent et recevait l'eucharistie et le faisait faire au roi notre seigneur, et à tous les
chefs de guerre, et à leurs gens. Après qu'elle eut écrit aux Anglais ces lettres closes, elle fit ses dispositions pour aller ravitailler la cité d'Orléans et s'y rendre en personne. Étaient avec elle Monsgr de Rais, M. le bâtard d'Orléans, La Hire, et
plusieurs autres seigneurs et gens de guerre. Elle fit tant qu'elle y entra,
et y fit entrer, le mercredi huitième jour de mai, l'an MCCCCXXIX,
grande quantité de vivres. Elle-même et lesdits seigneurs y entrèrent,
sans que les Anglais sortissent de leurs retranchements, et y missent
aucun empêchement.
Quand elle fut entrée dans la ville 3, elle fit retourner les seigneurs à
Blois querir le reste des vivres qui y avaient été laissés, et leur ordonna
de les mener hardiment par la Beauce et de n'avoir pas peur ; car ils ne
trouveraient personne qui se mît à leur traverse. Les seigneurs allèrent à Blois, amenèrent ce qui restait des vivres par la Beauce, sans que les
Anglais se montrassent. Par ces vivres les bonnes gens d'Orléans furent
tout réconfortés ; car ils en avaient bien nécessité.
Les vivres ainsi entrés, la Pucelle, les seigneurs et les gens de guerre, allèrent devant la bastide Saint-Loup, la prirent de force et par assaut ;
et il y mourut bien sept-vingts Anglais.
Item. — Le vendredi qui suivit, dixième jour de mai (6), la Pucelle
prit ses dispositions pour assaillir le boulevard du pont et le couvent
des Augustins ; et de fait elle y alla avec les seigneurs de sa compagnie.
Après qu'ils eurent entendu la messe avec leurs gens, et se fussent confessés
sur l'ordre de la Pucelle, elle fit crier et publier à son de trompe : « A l'assaut ! » et ils s'emparèrent promptement du couvent des Augustins.
Le lendemain ils prirent aussi, à la suite d'un bel assaut, le boulevard
du bout du pont, où il y avait bien de six à sept cents hommes d'armes,
ayant pour chef Glacidas, lieutenant du comte de Salisbury. Ce Glacidas,
en se retirant dans une tour, tomba dans la Loire, et il en tomba bien
avec lui deux ou trois cents de sa compagnie, le pont par lequel ils
fuyaient étant venu à rompre : les autres furent tués, ou faits prisonniers.
L'assaut dura bien cinq heures. Parmi nos gens il ne mourut qu'un
champion. Les seigneurs et tout le peuple furent bien émerveillés de
cette victoire; car le boulevard était si fort que l'on tenait que tout le
monde n'aurait pu le prendre sur les Anglais qui le défendaient, tant
qu'ils auraient eu des vivres, à moins cependant que ce ne fût par grâce
et puissance divine.
A cet assaut la Pucelle était armée tout à blanc (7), son étendard dans
une main, son épée dans l'autre. Elle y fut blessée d'un trait dans la poitrine,
mais elle n'en partit pas pour cela, et n'en fit compte, encore que
ceux qui en furent les témoins et la virent ôter le trait, aient dit qu'elle
saigna grandement et qu'elle était bien blessée.
Ce nonobstant, elle manda au comte de Talbot, qui tenait la bastide
du côté de la Beauce, de s'en aller de par Dieu, et qu'en tout cas,
elle ne le trouvât pas le lundi matin suivant, sans quoi il lui en prendrait
mal. Talbot quitta ladite bastide le dimanche matin, et s'en alla en
d'autres forteresses anglaises qui étaient autour d'Orléans. Les Anglais laissèrent leurs bombardes, canons, artillerie et autres machines de
guerre, et une grande provision de vivres ; tout fut amené à Orléans.
A l'annonce de ces nouvelles, l'on fit à La Rochelle, deux fois dans la
semaine, de générales et dévotes processions.
Item. — Après ces événements, la Pucelle s'en alla vers le roi pour le
prendre et l'amener à Orléans. Elle demeura quelques jours avec lui, et
quittant de nouveau Orléans, elle alla mettre le siège devant Jargeau,
où étaient le comte de Suffolk, le comte de la Poule, et d'autres seigneurs
anglais, à grande puissance.
Aussitôt que la Pucelle fut devant Jargeau, le comte de Suffolk en
sortit pour aller vers Monsr le bâtard d'Orléans lui demander que l'on
ne donnât pas l'assaut à la ville, et qu'il la rendrait ; mais, ce nonobstant,
la place fut assaillie par l'un des côtés sur l'ordre de la Pucelle, et
fut promptement prise d'assaut le vendredi Xe jour (8) de juin de l'an MCCCCXXIX.
Quant le comte de Suffolk vit que la ville était prise, et que Monsr
d'Alençon qui y était, et d'autres seigneurs voulaient le faire prisonnier,
il dit qu'il ne se rendrait pas à eux, dût-il être mort; et il cria à haute
voix : « Je me rends à la Pucelle qui est la plus vaillante femme du monde,
et qui doit tous nous subjuguer et mettre à confusion ». Et, de fait, il vint à la Pucelle et se rendit à elle; et ledit comte de la Poule fut remis
prisonnier à mondit seigneur d'Alençon.
A ladite prise mourut messire Alexandre de la Poule, et bien de cinq à six cents Anglais, et les autres furent faits prisonniers. Le comte de
Suffolk, après qu'il se fut ainsi rendu, attesta et affirma par serment qu'il
y avait dans Jargeau cinq cents chevaliers, écuyers et autres gens
d'armes des meilleurs de toute l'Angleterre, et deux cents archers d'élite
aussi, des meilleurs d'Angleterre.
Cela fait, la Pucelle et les seigneurs susnommés allèrent mettre le siège
devant Baugency où se trouvaient de quatre à cinq cents Anglais, qui
remirent bientôt la place en la main du roi, et en sortirent à la condition
de ne pas s'armer contre le roi jusqu'à un certain temps.
Aussitôt après que ladite reddition fut faite, ce qui fut le XVIIIe jour
de juin, Talbot, Fastolf, Hongrefort, Remston de Galles, d'autres
capitaines et plusieurs Anglais qui étaient nouvellement arrivés sur la
Loire, jusques au nombre d'environ [mille] trois cents combattants, quittèrent la place, et dans leur fuite furent poursuivis par nos
gens, si bien que prisonniers ou morts il en resta sur place plus de deux
mille six cents. Il n'échappa aucun des chefs anglais que tous ne fussent
pris.
Nos gens étaient bien seize mille combattants et plus, ainsi que sur ces
choses le roi notredit seigneur l'écrivit à Monsr le maire et à Messrs de
La Rochelle, gens d'église et autres.
Ces lettres reçues, M. le maire s'en alla incontinent en l'église Saint-Bertommé de cette ville, où se rendirent le plus
grand nombre de messieurs les bourgeois. Là il fut ordonné de faire
promptement sonner les services par toutes les églises de la ville, que
chacun s'assemblât en l'église de sa paroisse pour y remercier Notre Seigneur
des nouvelles reçues, en chantant le Te Deum laudamus, et par
d'autres prières et oraisons ; que ce même jour au soir feux nouveaux
fussent faits par les carefours de la ville, et qu'il y eût le lendemain genérale
et dévote procession en l'église Notre-Dame de Losne. Il fut fait
ainsi qu'il avait été ordonné; et aux petits enfants il fut donné à chacun
une fouace (9), pour que devant ladite procession, ils criassent à haute
voix : Noël ! Noël !
Source
: La revue historique, 1877 - t.IV - Jules Quicherat.
Mise en Français plus moderne (texte bleu) : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III - 1897
Illustration :
- Château de Dunois (XV° siècle) à Beaugency ("Au
pays de Jeanne d'Arc" - Jean de Metz - 1910)
Notes :
1 La relation a été scindée en trois parties
pour en faciliter la lecture.
2 Cette date et toutes celles qui suivent sont erronées.
Le 8 mai, qui tomba un dimanche, est le jour que les Anglais levèrent
le siége, et par conséquent celui de la délivrance
de la ville. La première entrée de la Pucelle eut
lieu le 30 avril, qui était un samedi.
3 Cent quarante.
4 Beaugency.
5 Sans doute "s'en partirent'.
6 Six mai.
7 Armé à blanc, en blanc, se disait d'un guerrier qui n'avait sur ses armes aucune
espèce d'ornement, peinture, armoirie. (LACURNE).
8 Dimanche 12 juin.
9 Fouace, galette faite de fleur de farine cuite sous la cendre.
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