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La
registre delphinal de Mathieu Thomassin - index
IV
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lusieurs autres grans faiz ont esté faictz, tant par assault
de villes et chasteaux, par rencontres, [par prises]
de villes que autrement par laditte Pucelle, qui trop longs seraient à mectre icy. Et jà soit que ce qui a esté
fait par laditte Pucelle, ait esté fait seulement dedans le
royaume de France, et non pas dedans le Daulphiné,
toutesfois je l'ay voulu mettre en cestuy registre, au
moins le plus espécial, pource que les faiz de laditte
Pucelle ont esté faictz du temps que mondit seigneur
Charles estoit daulphin, et a esté fait de son temps et
dessoubs luy ; aussi pour ce que le Daulphiné [a esté]
inséparablement, comme dit est, joinct audit royaume,
et se le royaume eust esté perdu (1), comme on a fait ses
efforts, comme sera cy dessoubs declaré.
D'autre part
la matière de la Pucelle est si haulte et si merveilleuse
que c'est chose bien à noter et digne d'entrer en tous
livres-registres, pour mémoire perpétuelle, à la gloire
de Dieu et honneur du royaume et du Daulphiné.
Les Anglois et Bourguignons disoient plusieurs paroles
diffamables et injurieuses de laditte Pucelle et
avec ce la menaçoient que, s'ilz la pouvoient tenir, ilz
la feroient mourir maulvaisement.
Elle fut par aucuns
interroguée de sa puissance, se elle dureroit guères, et
se les Anglois avoient puissance de la faire mourir. Elle
respondit que tout estoit au plaisir de Dieu ; et si certifia
que, s'il luy convenoit mourir avant que ce pour
quoy Dieu l'avoit envoyée fust accomply, que après sa
mort elle nuyroit plus ausditz Anglois qu'elle n'auroit
fait en sa vie, et que non obstant sa mort, tout ce
pour quoy elle estoit venue se accomplirait : ainsi que
a esté fait par grace de Dieu, comme clerement et évidemment il appert et est chose notoire de nostre
temps.
Laditte Pucelle a souvent parlé à mondit seigneur
daulphin à Paris, et luy a dit des choses secrètes que
peu de gens sçavent.
Laditte Pucelle fut trahie et baillée aux Anglois devant
la ville de Compiègne, et fut menée à Rouen, et
là luy fut fait ung procez de sa vie, pour trouver aucune
chose sur elle pour la faire mourir ; et autre chose ne
sceurent trouver sur elle, mais qu'elle avoit laissé
l'habit ordonné pour femme et prins habit d'homme,
qui est chose deffendue. A ce et ès autres choses desquelles
elle fut interroguée, elle respondit tellement
que on n'y sçavoit que repliquer. Et non obstant ce,
elle fut condempnée à mourir au feu, pour occasion
seulement dudit habit d'homme. Elle fut menée au feu,
et là mourut et fut bruslée.
On dit que durant son procez et sa mort furent faictes
choses merveilleuses, dont procez a esté faict de l'auctorité
de l'église. Celui qui l'a veu et leu en a eu
la copie qu'il me debvoit envoyer, que je n'ai pas encore
eue : dont me desplaist, car j'en eusse icy faict
mencion des choses principalles.
Par assauts de villes et de châteaux, par batailles, par prises de villes
comme autrement, plusieurs autres grands faits ont été accomplis par la
Pucelle. Ils seraient trop longs à mettre ici.
Encore que ce qui a été fait par elle, l'ait été seulement dans le
royaume de France et non pas dans le Dauphiné, j'ai voulu toutefois le
mettre en ce registre, au moins le principal, parce que ces faits se sont
passés lorsque mondit seigneur Charles était Dauphin, de son temps et
sous lui, et aussi parce que, ainsi qu'il a été dit, le Dauphiné a été inséparablement uni au royaume. Si le royaume eût été perdu (le
Dauphiné l'eût été aussi) (2), ainsi qu'on en a fait effort, comme il sera
déclaré ci-dessous.
D'autre part la matière de la Pucelle est si haute et si merveilleuse,
que c'est chose bien à noter, et digne d'entrer pour perpétuelle mémoire,
dans tous les livres-registres pour la gloire de Dieu, l'honneur du
royaume et du Dauphiné.
Les Anglais et les Bourguignons disaient de la Pucelle plusieurs paroles
diffamables et injurieuses, tout en la menaçant, s'ils pouvaient la tenir, de
la faire mourir mauvaisement.
Elle fut interrogée par quelques-uns de sa puissance, et si les Anglais
avaient le pouvoir de la faire mourir. Elle répondit que tout était au
plaisir de Dieu ; et elle certifia que si elle devait mourir avant que fût
accompli ce pourquoi Dieu l'avait envoyée, elle nuirait aux Anglais après
sa mort plus qu'elle n'aurait fait en sa vie, et que, nonobstant sa mort,
tout ce pourquoi elle était venue s'accomplirait. Ainsi il en a été fait par
grâce de Dieu, comme cela se voit clairement et évidemment, et est de
notre temps chose notoire.
Ladite Pucelle a souvent parlé à mondit seigneur le Dauphin à Paris (3),
et lui a dit des choses secrètes que peu de gens savent.
Ladite Pucelle fut trahie et baillée aux Anglais devant la ville de Compiègne; elle fut menée a Rouen, et là on lui fit un procès sur sa vie, pour trouver contre elle de quoi la faire mourir, et ils ne surent trouver rien
autre chose contre elle, sinon qu'elle avait laissé l'habit de femme et pris
habit d'homme ; ce qui est chose défendue. A cela et aux autres choses sur
lesquelles elle fut interrogée, elle répondit si bien qu'on ne savait que
répliquer. Et nonobstant cela, elle fut condamnée à mourir par le feu,
pour occasion seulement dudit habit. Elle fut menée au feu, et là elle
mourut et fut brûlée.
L'on dit que durant son procès et à sa mort furent faites choses merveilleuses,
dont procès a été fait par autorité de l'Église. Celui qui l'a vu
et lu en a eu la copie qu'il me devait envoyer ; je ne l'ai pas encore
reçue ; ce dont me déplaît ; car j'eusse fait ici mention des choses principales (4).
Sources : Procès de condamnation et de réhabilitation - J. Quicherat - t.IV, p.303 à 313.
Mise en français modernisé et ajouts de parties non mentionnées par Quicherat : J.B.J Ayroles - "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III p.254 à 267.
Notes (Quicherat & Ayroles) :
1 Suppléez ledit Daulphiné eust esté pareillement en voie de perdition, ou
tout autre membre de phrase analogue. Les mots suivants sont une allusion à
l'expédition du prince d'Orange qui faillit en effet s'emparer du Dauphiné en 1430.
2 Lacune dans le texte, remplie par la phrase entre parenthèses. L'effort dont il
parle est l'envahissement du Dauphiné par le prince d'Orange et le duc de Savoie,
lorsque Jeanne fut prise à Compiègne. Ils furent défaits à Anthon, le 11 juin 1430.
3. Inadvertance de l'écrivain qui savait bien que la Pucelle n'entra jamais à Paris.
Le Dauphin dont il est ici question est le futur Louis XI. Il avait sept ans lorsque
Jeanne vint à la cour où elle a dû souvent le voir, et l'entretenir.
4 Thomassin a fait une très briève Chronique de l'Histoire de France, que
l'on peut lire à la Bibliothèque nationale (Fonds français, nos 4943 et 4969).
Arrivé au règne de Philippe de Valois, il s'étend longuement sur la loi
salique; et à ce propos, il a sur la Libératrice la phrase suivante : « Les
trois choses en quoi lesdits Anglais, en faisant un procès tel quel à
l'encontre de Jeanne la Pucelle, que je crois sans doute en paradis, se
sont efforcés d'élever leur nation par-dessus toutes les autres nations
chrétiennes, comme j'ai vu par écriture authentique, et aussi qu'il est
assez notoire, sont telles ».
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