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22 novembre 2024  

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La registre delphinal de Mathieu Thomassin - index
III

t pour ce grans cronicques en sont faictes. Et entre les autres une notable femme appelée Christine, qui a fait plusieurs livres en françois (je l'ay souvent veue à Paris), feit de l'advénement de ladicte Pucelle et de ses gestes ung traictié dont je mectrai ci seulement le plus espécial touchant laditte Pucelle ; et ay laissé le demourant, car ce seroit trop long à mectre icy. Et j'ay plus tost désiré de mettre icy le traictié de laditte Christine que des autres, afin de tousjours honnorer le sexe féminin par le moyen duquel toute chrestienté a eu tant de biens : par la pucelle Vierge Marie, la réparacion et restauracion de tout le humain lignaige ; et par laditte Pucelle Jehanne, la réparacion et restauracion du royaume de France, qui estoit du tout en bas, jusques à prendre fin, se ne fust sa venue. Pour ce, bien doibt de chacun estre louée, combien que les Anglois et les alliez en ont dit tous les maulx qu'ilz ont pu dire ; mais les faiz de laditte Pucelle les ont rendus et rendent tous mensongers et confus.
                     Ah ! soyes loué, hault Dieu !
                     A toy gracier tous tenus
                     Sommes, etc...

                                                         

                                   

  Et pour ce, grandes Chroniques en sont faites. Et entre les autres, une notable femme appelée Christine, qui a fait plusieurs livres en français, — je l'ai vue souvent à Paris — a fait de l'avènement de la Pucelle et de ses gestes un traité, dont je mettrai seulement ici le plus spécial touchant ladite Pucelle. J'ai laissé le demeurant parce que ce serait trop long à mettre ici. J'ai désiré de mettre ici le traité de ladite Christine plutôt que celui des autres, afin de toujours honorer le sexe féminin par le moyen duquel toute chrétienté a eu tant de biens; par la Pucelle Vierge Marie, la réparation et restauration de tout l'humain lignage ; et par ladite Pucelle Jeanne, la réparation et restauration du royaume de France, qui était du tout bas, jusques à prendre fin, n'eût été sa venue. Pour ce, de chacun elle doit être bien louée, combien que (encore que) les Anglais et leurs alliés en aient dit tout le mal qu'ils ont pu dire: mais les faits de ladite Pucelle les ont rendus et les rendent tous mensongers et confus (1).

« Ah sois loué, haut Dieu ! A toi remercier nous sommes tous tenus,
 
toi qui as amené le temps où ces biens nous sont advenus. A jointes  mains, grands et petits, grâces te rendons, Roi céleste, par qui nous sommes parvenus à la paix, et hors de si grande tempête.

« Et toi, Pucelle, née en une heure propice, faudrait-il t'oublier, toi que Dieu a tant honorée que de te faire délier les liens qui tenaient la France si étroitement enchaînée ? Te pourrait-on assez louer, quand à cette terre humiliée tu as fait par la guerre donner la paix ?

« Ah ! Jeanne, née à une heure propice, béni soit le Ciel qui te créa, Pucelle ordonnée de Dieu, en qui le Saint-Esprit versa si grande grâce, en qui fut et est toute largesse de haut don ; jamais parole ne te sera adressée qui te dise la reconnaissance qui t'est due.

« De qui pourrait-on dire plus hautes louanges ? Quels faits dans le passé sont au-dessus des tiens ? En Moïse avec affluence Dieu mit grâces et vertus. Sans jamais se lasser, il mit le peuple d'Israël hors d'Egypte. Telle, ô Pucelle élue, tu nous as par miracle affranchis du malheur.

« Considérée ta personne, qui est celle d'une jeune pucelle, à qui Dieu donne pouvoir d'être notre champion, d'être celle qui donne à la France la mamelle de la paix et de douce vie, d'abattre la gent rebelle, voici bien chose plus que nature,

« Si Dieu fit par Josué des miracles en si grand nombre, s'il lui donna de conquérir villes et pays, et d'abattre maints ennemis, Josué était homme fort et puissant ; mais, en un mot, voici une femme, une simple bergère, qui est preux plus qu'homme ne fut à Rome. Pour Dieu c'est chose légère ;

« Mais pour nous jamais nous n'ouïmes parler de si grande merveille, car de tous les preux qui existèrent le long des âges, les prouesses n'égalent pas le fait de celle qui mit hors nos ennemis ; mais c'est Dieu qui agit, qui la conseille, et en elle a mis coeur plus que d'homme.

« De Gédéon, qui simple laboureur était, l'on fait grand compte. Dieu le fit guerrier, dit le récit ; contre lui nul ne tenait, tant il conquêtait ; mais, quoi qu'on en raconte, il ne fit jamais miracle si manifeste que celui que voient nos yeux en la Pucelle.

« Esther, Judith et Débora furent dames de grand mérite. Par elles Dieu délivra son peuple qui en servitude était tombé. J'ai appris que d'autres furent preuses ainsi qu'elles ; mais plus grand miracle en ce pourpris (pays), Dieu a fait en cette Pucelle.

« Par miracle et par divine admonition de l'Ange de Dieu, elle a été envoyée au roi pour être sa providence. Son fait n'est pas illusion. Elle a été bien dûment éprouvée en assemblée. En conclusion la chose est
prouvée par les faits.

« Elle a été bien examinée avant qu'on ait voulu la croire ; on l'a menée devant les clercs et les sages, pour chercher si elle disait vrai, avant qu'il fût notoire que vers le roi Dieu l'avait transmise. Même on a trouvé en histoires que Dieu pour cela l'avait promise.

« Merlin, la Sybille et Bède, il y a plus de cinq cents ans, la virent en esprit venir aux maux de la France porter remède. Ils la consignèrent en leurs écrits et en firent prophétie, disant qu'elle porterait bannière ès guerres des Français ; de tout son fait ils dirent la manière.

« Sa belle vie pleine de foi montre qu'elle est en la grâce de Dieu ; ce pourquoi à son fait l'on ajoute plus créance. Quoi qu'elle fasse, elle a toujours Dieu en présence ; elle l'appelle, le sert, le prie dans ses actes et dans ses dits, sans qu'en quelque lieu qu'elle soit sa dévotion faiblisse.

« Comme cela a bien paru au siège mis devant Orléans, où se montra d'abord sa force. Jamais miracle, ainsi que je le tiens, ne fut plus clair. Dieu aida tellement les siens que les ennemis ne s'aidèrent pas plus que chiens morts. Là, ils furent pris et mis à mort.

« Oh ! quel honneur au sexe féminin ! Il est manifeste que Dieu l'aime, alors que tout ce peuple abattu, par qui tout le royaume est abandonné, est par une femme relevé et redressé ; ce que pas homme n'eût pu faire. Les traîtres sont délaissés : avant le fait, à peine on eût pu le croire.

« Anglais, rabaissez vos cornes, car jamais en France vous n'aurez beau gibier. Cessez vos dérisions, vous êtes mat sur l'échiquier. Vous ne le pensiez pas hier, où vous vous montriez si audacieux ; mais vous n'étiez pas encore au sentier où Dieu abat les orgueilleux.

« Vous pensiez avoir gagné France et qu'elle dût vous demeurer. Autrement il en va, fausse famille. Vous irez labourer ailleurs si vous ne voulez savourer la mort, comme vos compagnons que loups dévorent peut-être, car ils gisent morts sur les sillons.

« Sachez que par elle les Anglais sont jetés bas sans jamais plus se relever; Dieu le veut, il entend les voix des bons qu'ils ont voulu opprimer. Le sang des occis sans raison crie contre eux ; Dieu ne le veut plus souffrir; il a décidé de les réprouver comme méchants.

« Une fillette de seize ans — n'est-ce pas chose au-dessus de la nature ? — pour qui les armes n'ont pas de poids, et qui s'y trouve si forte et si dure qu'il semble que ce soit sa vie. Devant elle les ennemis s'en vont fuyant ; nul ne résiste ; elle fait ces exploits, maints yeux le voyant.

« Donc par-dessus tous les preux du temps passé, elle doit porter la couronne ; car ses faits nous montrent assez que Dieu lui donne plus de prouesse qu'à tous ceux qu'on célèbre si fort. Elle n'a pas encore tout accompli ; je crois que Dieu la donne afin que par son fait paix soit mise partout (?).

« Détruire l'Englescherie est le moindre des faits qui lui sont réservés. Elle a ailleurs plus haut exploit ; c'est que la foi ne périsse. Quant aux Anglais, qu'on en pleure ou qu'on en rie, c'en est fait : à l'avenir on en fera moquerie ; ils sont à terre.

« Et vous, rebelles (ruppieux ?), qui à eux vous êtes attachés, ne voyez vous pas qu'il eût été mieux de suivre le droit que le travers pour devenir serfs des Anglais ? Gardez que cela plus ne vous arrive, car l'on vous a trop soufferts, et que de la fin bien il vous souvienne.

« N'apercevez-vous pas, gent aveugle, que Dieu a mis ici la main ? Bien aveugle qui ne le voit. Car comment cette Pucelle pourrait-elle apparaître parmi nous avec cette force qui vous abat tous morts, sans que vous ayez force pour résister ? Voulez-vous combattre contre Dieu ?

« N'a-t-elle pas mené le roi au sacre en le tenant toujours par la main ? Jamais devant Acre chose plus grande ne fut faite ; car pour certain, il y eut des contredits sans nombre ; mais malgré tous, il y fut reçu à grande noblesse, et sacré bien rituellement et là ouït la messe.

« Avec un très grand triomphe et puissance, Charles fut couronné à Reims, l'an mil quatre cent vingt et neuf, bien, sans qu'il y ait lieu à en douter, bien sauf et bien sain, au milieu de maints barons, juste le dix septième jour de juillet, ni plus, ni moins, et là séjourna cinq jours.

« Quand avec la Pucellette il revient par son pays, ni cité, ni château, ère. Qu'ils soient amis ou ennemis, qu'ils soient terrifiés ou rassurés, les habitants se rendent. Peu affrontent le combat, tant ils redoutent sa puissance.

« Quelques-uns dans leur folie songent à résister ; mais vain effort, car en dernier lieu qui contredit Dieu est défait? c'est néant; qu'ils le veuillent ou non, il faut se rendre ; il n'y a si forte résistance qui devant ne s'amortisse.

« Quoiqu'on ait fait grande assemblée pour empêcher son retour, et lui courir sus par surprise, ni force ni ruse n'y ont réussi ; ils y ont été tués ou faits prisonniers, et comme je l'ai ouï dire, tous ceux qui l'ont combattue ont été envoyés en enfer ou en paradis. »

                                              
   


Sources : Procès de condamnation et de réhabilitation - J. Quicherat - t.IV, p.303 à 313.

Mise en français modernisé et ajouts de parties non mentionnées par Quicherat : J.B.J Ayroles - "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III p.254 à 267.


Notes (Quicherat & Ayroles) :
1 Le texte est donné dans une traduction en français moderne des strophes reproduites par Thomassin, non sans avoir conscience de ce qu'elles vont perdre de leur naïveté ; mais peu de lecteurs pourraient les comprendre sans effort (Ayroles).




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