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La
registre delphinal de Mathieu Thomassin - index
II
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a dessusditte Pucelle estoit de Lorraine, du lieu de
Vaucouleurs ; et fut amenée à mondit seigneur le daulphin
par le chastelain dudit lieu, habituée comme un
homme ; avoit courts les cheveulx et ung chapperon de
layne sur la teste, et portoit petits draps (1) comme les
hommes, de bien simple manière. Et parloit peu, sinon
que on parloit à elle. Son serment estoit : « Au nom de
Dieu. » Elle appeloit mondit seigneur le daulphin,« le gentil daulphin » ; et ainsi l'appela jusques ad ce
qu'il fust couronné. Aucunes fois l'appeloit, « l'auriflambe.» Et se disoit qu'elle estoit envoyée de par
Dieu pour deschasser les Anglois, et que pour ce faire
il la falloit armer : dont chacun fut esbahy de celles
nouvelles. Et de prime face, chacun disoit que c'estoit une trufferie ; et à nulle chose que elle dist l'on ne adjouxtoit
point de foy.
Clercs et autres gens d'entendement pensèrent sur
ceste matière, et entre les autres escriptures fut trouvée
une prophétie de Merlin, parlant en ceste manière :
Descendet virgo dorsum sagittarii
et flores virgineos
obscurabit.
Sur lesdiz vers furent faictz autres vers dont la teneur
s'en suit cy dessous :
Virgo puellares artus induta virili
Veste, Dei monitu, properat relevare jacente
Liliferum regemque ; suos delere nefandos
Hostes, præcipue qui nunc sunt Aurelianis,
Urbe sub, ac illam deterrent obsidione.
Et si tanta viris mens est se jungere bello,
Arma sequique sua, quæ nunc parat alma Puella,
Credit et fallaces Anglos succumbere morti,
Marte puellari Gallis sternentibus illos,
Et tunc finis erit pugnæ, tunc foedera prisca,
Tunc amor et pietas et cætera jura redibunt ;
Certabunt de pace viri, cunctique favebunt
Sponte sua regi, qui rex librabit et ipsis
Cunctis justitiam, quos pulchra pace fovebit ;
Et modo nullus erit Anglorum pardiger hostis
Qui se Francorum præsumat dicere regem.
Avant que mondit seigneur le daulphin voulsist mectre ne adjouxter foy à laditte Pucelle, comme prince saige, mist en conseil ceste besongne; et furent
les clercs mis ensemble, lesquelz, après plusieurs disputacions,
furent de l'opinion qui s'en suit : « Premièrement que mondit seigneur daulphin, attendu la nécessité de luy et du royaume, » etc. (3).
Veue et considérée la conclusion, mondit seigneur
le daulphin feit armer et monter ladicte Pucelle. Et si
ay oy dire à ceulx qui l'ont veue armée qu'il la faisoit
très bon voir, et se y contenoit aussi bien comme eust
fait ung bon homme d'armes. Et quant elle estoit sur
faict d'armes, elle estoit hardye et courageuse, et parloit
haultement du faict des guerres. Et quant elle
estoit sans harnoys, elle estoit moult simple et peu
parlant.
Avant qu'elle voulsist aller contre les Anglois, elle
dist qu'il falloit qu'elle les sommast et requist, de par
Dieu, qu'ilz vuydassent le royaume de France. Et feit
escripre des lectres qu'elle mesmes dicta, en gros et
lourd langage et mal ordonné. J'en ay leu les copies
dont la teneur s'en suit. Et au dessus desdictes lectres
avoit escript : « Entendez les merveilles de Dieu et de
la Pucelle. »
Lettre au roy d'Angleterre (2).
« Roy d'Angleterre, faictes raison au roy du ciel
de son sang royal. Rendez les clefz à la Pucelle de toutes
les bonnes villes que vous avez enforcées en France.
Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang royal. Elle est toute preste de faire paix, se voulez faire
raison, par ainsi que rendez France, et payez de ce
que l'avez tenu. Et se ainsi ne le faictes, je suis chief
de guerre ; en quelque lieu que je atteindray voz gens
en France, s'ilz ne veulent obéir, je les en feray issir,
veulent ou non ; et s'ilz veulent obéir, je les prendray à mercy. Elle vient de par le Roy du ciel, corps pour
corps, vous bouter hors de France. Et vous promet et
certifie la Pucelle qu'elle fera si grand hahay, qu'il y
a mil ans que en France ne fut si grant. Se vous ne lui
faictes raison, creez fermement que le Roy du ciel lui
envoyera plus de force que ne lui sçaurez mener d'assauxà elle et a ses bonnes gens d'armes. »
L'autre lettre aux gens d'armes.
« Entre vous autres, archiers, compaignons d'armes
gentilz et vaillans, qui estes devant Orléans, allez en
vostre pays, de par Dieu. Et se ainsi ne le faites,
donnez vous garde de la Pucelle, et de voz dommages
vous souvienne briefvement. Ne prenez mye vostre
opinion, car vous ne tiendrez mye France qui est au
roy du ciel, le fils de sainte Marie ; mais la tiendra le
gentil Charles. Se vous ne creez les nouvelles de Dieu
et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons,
nous frapperons dedans à grans horions ; et
verrons lesquelz meilleur droit auront, de Dieu ou de
vous. »
L'autre lettre aux capitaines des Anglois.
« Guillaume La Poulle, conte de Suffort, Jehan
sire de Tallebot, et vous, Thomas sire de Scalles,
lieuxtenans du duc de Bethfort, soy disant régent de France de par le roy d'Angleterre, faictes response se
voulez faire paix à la cité d'Orléans ; et se ainsi ne le
faictes, de voz dommages vous souvienne. »
L'autre lettre au duc de Bethfort.
« Duc de Bethfort, qui vous dictes régent de France
de par le roy d'Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert
que vous ne vous faciez destruire. Se vous ne
faictes raison, aux yeux pourrez veoir qu'en sa compaignée les François feront le plus beau fait qui
oncques fut faict en chrestienté. »
Lesdictes lectres feurent portées et baillées ; desquelles
on ne tint pas grant compte ; et pour ce elle
delibéra de tirer oultre à ce pourquoy elle estoit venue.
Elle mist sus ung estendart dedans lequel estoit... (8),
et monta sur un grant cheval, bien armée et habillée ;
et avec les gens d'armes que mon seigneur le daulphin
luy bailla, alla à Orléans où les Anglois avoient mis le
siége très fort et, selon cours de nature, inexpugnable.
Et n'y avoit espérance quelconque d'avoir secours ne
ayde humaine, car monseigneur le daulphin avoit très
peu de gens pour faire ung tel exploit, et estoit quasi
du tout au bas, et tellement que, quant laditte Pucelle
vint, on avoit mis en delibéracion que l'on debvroit
faire se Orléans estoit prins ; et fut advisé par la plus
grant part, s'il estoit prins, qu'il ne falloit tenir
compte du demourant du royaume, veu l'estat en quoy il estoit, et qu'il n'y avoit remède, fors tant seulement
que de retraire mondit seigneur le daulphin en cestuy
pays du Daulphiné, et là le garder en attendant la
grace de Dieu. Les autres dirent que plus convenable
estoit d'attendre ladite grace au royaume, et qui autrement
le feroit, l'on donnerait trop grant courage
aux ennemys, et seroit pour tout perdre sans aucun
rescours, et que meilleur estoit que tenir autre voye,
car l'autre party estoit ainsi comme voye de désespéracion,
qui moult desplaist à Dieu.
Monseigneur le daulphin
estoit en cestuy estat quant arriva laditte Pucelle,
l'an que dit est ; et par son moien, et moiennant la
grace de Dieu, par miracle évident, furent assaillies
moult vaillamment et prinses les très fortes et inexpugnables
bastilles que les Anglois avoient faictes, et
tout le siége levé, au très grant dommage et très
grant confusion des Anglois. Adonc furent faictz,
par la Pucelle et par les gens de mondit seigneur le
dauphin, faiz de guerre merveilleux et ainsi comme
impossibles. De là en aprez laditte Pucelle feit une très grant
poursuite encontre les Anglois, en recouvrant villes
et chasteaux ; et si feit plusieurs faiz merveilleux ; car
depuis laditte prinse d'Orléans, les Anglois ne leurs
alliez n'eurent force ne vertu. Par ainsi le restaurement
de France et recouvrement a esté moult merveilleux.
Et sache ung chacun que Dieu a monstré et
monstre ung chacun jour qu'il a aimé et aime le
royaulme de France, et l'a especialement esleu pour
son propre héritage, et pour, par le moyen de lui, entretenir
la saincte foy catholique et la remettre du tout
sus : et par ce, Dieu ne le veut pas laisser perdre. Mais sur tous les signes d'amour que Dieu a envoyez au
royaume de France, il n'y en a point eu de si grant ne
de si merveilleux comme de ceste Pucelle.
Ladite Pucelle était de Lorraine, du lieu de Vaucouleurs; elle fut
amenée à Monseigneur le Dauphin par le châtelain dudit lieu, habillée
comme un homme. Elle avait les cheveux courts et un chapeau de laine
sur la tête; elle portait des chausses (1) comme les hommes, de bien simple
manière.
Elle parlait peu, sinon quand on parlait à elle; son serment était: Au
nom de Dieu. Elle appelait mondit seigneur le Dauphin ; « le gentil Dauphin »; et ainsi elle l'appela jusqu'à ce qu'il fut couronné. Quelquefois
elle l'appelait « l'auriflambe ». Elle disait qu'elle était envoyée de par
Dieu pour déchasser les Anglais, et que, pour ce faire, il la fallait
armer; dont chacun fut ébahi de celles nouvelles et de prime face chacun
disait que c'était une trufferie ; et à nulle chose qu'elle dît l'on n'ajoutait
point de foi.
Clercs et autres gens d'entendement pensèrent sur cette matière, et
entre les autres écritures fut trouvée une prophétie de Merlin, parlant
en cette manière :
Descendet virgo dorsum sagittarii,
et flores virgineos obscurabit.
« Une vierge marchera sur le dos des archers, et les lis (2)...)
Sur ces vers (?)
furent faits d'autres vers dont la teneur s'ensuit :
Virgo puellares artus induta virili....
« Une vierge aux membres délicats, revêtue d'un vêtement guerrier,
s'apprête sur l'ordre de Dieu à relever de la ruine le roi des lis, à anéantir
ses maudits ennemis, surtout ceux qui, maintenant, sous les murs
d'Orléans, étreignent cette cité dans un siège désespéré. Guerriers, si
vous avez le coeur de la suivre au combat, de suivre la bannière guerrière
qu'elle est en train de préparer, les perfides Anglais, croyez-le,
seront anéantis ; conduits par ce capitaine enfant les Français les feront
tomber sous leurs coups. Et dès lors plus de guerre ; dès lors se renoueront
les anciens traités, la concorde, la piété, et tous les autres liens sociaux.
Les guerriers seront animés d'émulation pour la paix, et le coeur de tous sera incliné vers le roi. Le roi distribuera impartialement la justice à
tous, en les faisant tous jouir des douceurs de la paix. Plus de léopard
anglais qui se dresse en ennemi ; plus d'Anglais qui ose se dire roi des
Français ! »
Avant que Monseigneur le Dauphin voulut mettre ou ajouter foi à la
Pucelle, en prince sage, il mit cette affaire en conseil ; les clercs furent
réunis, lesquels, après plusieurs disputations, furent de l'opinion qui
s'ensuit :
« Premièrement que mondit seigneur le Dauphin, attendu la nécessité
de lui et du royaume, et considéré les continuelles prières du pauvre
peuple envers Dieu et tous les autres amants de la paix et de la justice,
ne devait point rejeter ni mettre en arrière ladite Pucelle, nonobstant
que les promesses et les paroles de ladite Pucelle soient par-dessus oeuvres
humaines (3). Aussi mondit seigneur ne doit pas ajouter foi et légèrement
croire en elle; mais, en suivant la Sainte Écriture, il doit la faire éprouver
par deux manières, c'est à savoir par prudence humaine, en enquérant
de sa vie, de ses moeurs, de son intention, comme dit saint Paul : Probate
spiritus si ex Deo sint. — La seconde manière : par dévote oraison requérirà Dieu signe de quelque oeuvre ou espérance divine, par quoi on puisse
juger que ladite Pucelle est venue de par la volonté de Dieu. Ainsi dit
Dieu à Achaz, qu'il demandât signe, quand il plairait à Dieu qu'il eût
victoire, en lui disant: Pete tibi signum à Domino Deo tuo; ainsi Gédéon
demanda signe, et plusieurs autres. »
Mondit seigneur le Dauphin, en suivant ladite délibération, fit éprouver
la Pucelle de sa naissance, de sa vie, de ses moeurs et de son intention,
et n'y trouva-t-on que tout bien. Puis il la fit garder bien et honnêtement
par l'espace de six semaines en la toujours examinant; elle fut montrée à
clercs, à gens d'Eglise, à gens de grande prudence et dévotion, à gens
d'armes, à femmes honnêtes, veuves et autres, publiquement et secrètement.
La Pucelle a conversé avec toutes manières de gens; mais en elle
on n'a trouvé que tout bien, comme humilité, virginité, dévotion, honnêteté
en toutes choses, et simplesse. De sa naissance, de sa vie, plusieurs choses merveilleuses ont été dites comme vraies.
Quant à la seconde manière de probation, mondit seigneur le Dauphin
lui demanda et pria qu'elle fit quelque signe, pour quoi on devait ajouter foi à elle qu'elle fût envoyée de Dieu. Elle répondit que devant la ville
d'Orléans, elle le montrerait, et non pas avant ni en aucun autre lieu ; car
ainsi lui avait été ordonné de par Dieu.
Les choses dessus dites étant faites, il fut conclu, attendu ladite probation
faite par Monseigneur le Dauphin en tant qu'à lui il a été possible,
et (attendu) que nul mal n'a été trouvé en ladite Pucelle, et considérée
sa réponse qui est de montrer un signe devant Orléans, vu sa constance et
sa persévérance en son propos et ses instantes requêtes de l'armer et
d'aller devant Orléans pour y montrer signe de divin secours, [il fut
conclu] que Monseigneur le Dauphin ne la devait point empêcher d'aller à Orléans avec ses gens d'armes, qu'il la devait faire conduire honnêtement,
en ayant bonne espérance en Dieu; car la rebouter ou délaisser
sans apparence de mal, ce serait répugner au Saint-Esprit, et se rendre
indigne de la grâce et aide de Dieu, comme dit Gamaliel au conseil
des Juifs contre les Apôtres.
Vue et considérée la conclusion, mondit seigneur le Dauphin fit armer
et équiper la Pucelle.
J'ai ouï dire à ceux qui l'ont vue armée qu'il la faisait très bon voir; et
qu'elle s'y contenait aussi bien qu'eût fait un homme d'armes. Et quand
elle était sur le fait des armes, elle était hardie et courageuse, et parlait
hautement du fait des guerres. Et quand elle était sans harnais, elle était
moult simple et peu parlante.
Avant qu'elle voulût aller contre les Anglais, elle dit qu'il fallait qu'elle
les sommât et les requît de par Dieu d'avoir à vider le royaume de France.
Elle fit écrire des lettres qu'elle-même dicta, en gros et lourd langage et
mal ordonné. J'en ai lu les copies dont la teneur s'ensuit. Et au-dessus
desdites lettres il y avait écrit : « Entendez les merveilles de Dieu et de la
Pucelle (4) ».
« Roi d'Angleterre, faites raison au roi du Ciel de son sang royal. Rendez à la Pucelle les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées en
France. Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang royal. Elle
est toute prête de faire paix, si vous voulez faire raison, par ainsi que
rendez France (5), et payez de ce que vous
l'avez tenue. Et si ainsi vous ne le faites, je suis chef de guerre; en
quelque lieu que j'atteindrai vos gens en France, s'ils ne veulent obéir,
je les en ferai issir (sortir), veuillent ou non; et s'ils veulent obéir, je les
prendrai à merci. Elle (la Pucelle) vient de par le roi du Ciel, corps pour
corps, vous bouter hors de France. Et vous promet et vous certifie la
Pucelle, qu'elle fera si grand hahay (6), qu'il y a mille ans qu'il n'en fut si grand en France. Si vous ne lui faites raison,
croyez fermement que le roi du Ciel lui enverra plus de force que vous ne
sauriez lui mener d'assauts à elle et à ses bonnes gens. »
LETTRE AUX GENS D'ARMES. — « Entre vous autres, archers, compagnons
d'armes, gentils et vilains (7), qui êtes dans Orléans, allez en votre pays de
par Dieu. Et si ainsi ne le faites, donnez vous garde de la Pucelle; et de
vos dommages vous souvienne (il vous souviendra) bientôt. Ne persévérez
pas dans vos sentiments; car vous ne tiendrez point la France qui est au
roi du Ciel, le fils de sainte Marie; mais la tiendra le roi Charles. Si vous
ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que nous
vous trouverons, nous frapperons dedans (dans vos rangs), à grands
horions, et nous verrons lesquels auront meilleur droit de Dieu ou de
vous. »
LETTRE AUX CAPITAINES DES ANGLAIS. — « Guillaume La Poule, comte de
Suffolk, Jean, sire de Talbot, et vous, Thomas, sire de Scales, lieutenants
du duc de Bedford, soi-disant régent de France de par le roi d'Angleterre,
faites réponse si vous voulez faire paix à la cité d'Orléans, et si ainsi ne
le faites, de vos dommages vous souvienne. »
AUTRE LETTRE. — « Duc de Bedford qui vous dites régent de France de
par le roi d'Angleterre, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne
vous fassiez pas détruire. Si vous ne faites raison, de vos yeux vous
pourrez voir qu'en sa compagnie les Français feront le plus haut fait qui
oncques fut fait en la chrétienté. »
Ces lettres furent portées et remises ; on n'en tint pas grand compte ; et
pour cela la Pucelle se mit en devoir de tirer outre à ce pourquoi elle était
venue. Elle arbora un étendard dedans lequel était...(8). Elle monta sur
un grand cheval, bien armée et équipée; et avec les gens d'armes que
Monseigneur le Dauphin lui donna, elle alla à Orléans où les Anglais
avaient mis un siège très fort, et, selon le cours de nature, inexpugnable.
Il n'y avait espérance quelconque d'avoir secours, ni aide de la part des
hommes, car Mgr le Dauphin avait très peu de gens pour faire tel exploit.
Il était quasi du tout au bas, tellement que, quand la Pucelle vint, on
avait mis en délibération ce que l'on devait faire, si Orléans était pris.
L'avis de la plus grande part fut que si cette ville était prise, il ne fallait
pas tenir compte du demeurant du royaume, vu l'état dans lequel il se
trouvait et qu'il n'y avait pas de remède, si ce n'est que Mgr le Dauphin
se retirât dans ce présent pays du Dauphiné, et que là il le gardât en
attendant la grâce de Dieu. Les autres disaient qu'il était plus convenable d'attendre ladite grâce au royaume, et qui autrement ferait donnerait
trop grand courage aux ennemis; ce serait tout perdre sans aucun
recours; que c'était meilleur que de tenir toute autre voie, car l'autre
parti était comme une voie de désespérance, ce qui moult déplaît à
Dieu.
Monseigneur le Dauphin étant en cet état, arriva la Pucelle; et par son
moyen, et moyennant la grâce de Dieu, par un miracle évident, furent
très vaillamment assaillies et prises les très fortes et inexpugnables bastilles
que les Anglais avaient faites, et le siège fut de tout point levé au
très grand dommage et à la très grande confusion des Anglais. Alors, par
la Pucelle et par les gens de Monseigneur le Dauphin, furent accomplis
des faits de guerre merveilleux et ainsi comme impossibles. De là en après
la Pucelle fit une très grande poursuite contre les Anglais, en recouvrant
villes et châteaux; elle y fit plusieurs faits merveilleux; car depuis la
prise d'Orléans les Anglais et leurs alliés n'eurent ni force ni vertu. Par
ainsi le restaurement de France et son recouvrement a été fort merveilleux.
Et sache un chacun que Dieu a montré et montre un chaque jour qu'il
a aimé et aime le royaume de France. Il l'a spécialement élu pour son propre
héritage, et pour, par le moyen de lui, entretenir la sainte foi catholique
et la remettre du tout sus, et pour ce Dieu ne le veut pas laisser perdre.
Mais sur tous les signes d'amour que Dieu a envoyés au royaume de France,
il n'y en a point eu de si grand, ni de si merveilleux comme celui de cette
Pucelle.
Sources : Procès de condamnation et de réhabilitation - J. Quicherat - t.IV, p.303 à 313.
Mise en français modernisé et ajouts de parties non mentionnées par Quicherat : J.B.J Ayroles - "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III p.254 à 267.
Notes (Quicherat & Ayroles) :
1 Voir le dossier : les vêtements de Jeanne. (ndlr). Ayroles se trompe dans la mise en français modernisé.
2 Une vierge foulera le dos de l'archer. Les archers faisaient la force de l'armée
anglaise. Le sens de ce premier membre de phrase est clair; mais il n'en est pas de
même du second. Les lis sont la fleur virginale; loin de les obscurcir, la Pucelle leur
a donné un nouvel éclat. Obscurabit est certainement une faute : l'on ne sait ce qu'il
faut y substituer.
3 Un autre texte fait dire aux docteurs, non obstant que ces promesses soyent seules
humaines. Quicherat l'a préféré au point de voir un contresens dans celui de Thomassin
(Procès, t. IV, p. 306, note). Il est manifeste que le célèbre érudit se trompe. Le
sens donné par Thomassin est celui de la chronique de Tournay ; il est plus naturel ;
et en adoptant dans notre premier volume le sentiment de l'éditeur du Double Procès,
nous avons trop accordé à son autorité.
4 Thomassin divise en plusieurs lettres le document, au fond identique, qui, ailleurs,
est présenté comme ne formant qu'une seule et même pièce.
5 Pourvu que vous rendiez France.
6 Bruit, remue-ménage.
7 Très lisiblement, et non pas « vaillants », comme l'écrit Quicherat.
8 Lacune dans le texte.
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