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Délivrance d' Orléans

t ces choses ainsi faites, et le armée de France assemblée et preste, la dite Pucelle se parti de Chinon, tirant vers Orliens, le joedi XXIe de apvril, mil IIIIc XXIX, et ala à Blois, où elle attendi les vivres et puissance qui se debvoient mettre dedens la dite ville de Orliens, jusques an joedi ensicvant, et adont elle se parti du dit Blois, aiant son estandard de blancq satin, auquel estoit figuré Jhesu Christ séand sur les arches, monstrant ses plaies, et à caseun lez, un angel tenant une fleur de lis.
  Et estoient en sa compaignie monsr le marescal de Bousac, monsr de Gaucourt, monsr de Rays, Lahire et plusieurs aultres grands seigneurs, en nombre de tous combattans environ III mil, que de pied que de cheval. Et menèrent avec eulx parmi la Saloingne, environ LX carios de tous vivres, et IIIIC XXXV chargés de bestail. Et l'endemain, ilz vinrent à la dite ville de Orliens, emprès la rivière, où ceulx de la dite ville les vinrent quérir par navires, malgré les Englès, qui ne osèrent issir de leurs trenquis et bastilles, ne faire quelque résistence. Et la Pucelle, voiante que on le avoit mené du costé de la Saloingne, et que elle ne avait trouvé les Englés, fut très couroucée vers les capitaines, et commencha plorer. Et incontinent charga la compaignie que ilz retournassent au dit Blois querre les vivres que ilz y avoient laissiés, et que ilz les amenassent du côté de la Biausse, et que elle les adevanceroit avecques une partie de ceulx de la ville de Orliens, et bien leur dist que rien ne doutassent, et que ils ne trouveroient quelque empeiscement. Et adont entra la dite Pucelle en la ville, et ses gens retournèrent au dit Blois, en obéissant et accomplissant son dit. Et après ilz se partirent dudit Blois, aiant le sourplus de vivre et grand nombre de bestail, comme boefs, porcs et moutons, le mardi IIIe de mai. Et l'endemain, veille de l'Ascension, ilz vinrent à Orliens du dit costé de la Biausse, sans quelque empeiscement à l'aler ne au venir, par trait ne aultrement, combien que les Englès se assemblèrent environ XIIIIc combatans, pour les envaïr au retour, mais ilz ne osèrent, car la dite Pucelle, aiante grosse puissance de ceulx de ladite ville, ala au devant de eulx, et les reçupt malgré leurs anemis, et les conduisit en ladite ville.

  Et tost après que lesdits vivres furent en la ville de Orliens, la Pucelle aiante son estandart et sa puissance, ala assaillir la bastille de St-Leu, qui estoit forte et de grand deffense, une partie de ses gens de cheval ordonnez à garder que les Englès de aultre costé ne leur feissent souccours ; et la dite Pucelle, avec ceulx de sa route, venus à ladite basteille, firent tant, parmi le ayde et volunté de Dieu, que elle fut prise par vive force de assault, et y morurent environ CLX Englès sans les prisonniers qui furent environ XIIII. Et là conquirent grands vivres et plusieurs pièches de artillerie et aultres bagues, sans quelque perte des leurs, sinon II hommes. Et adont se retraiyrent, menans tout en ladite ville.

           

  Et l'endemain feste de l'Ascension de Jhesu-Crist, la dite Pucelle aiante son estandart en la main, issi de ladite ville de Orliens avec sa puissance du costé de la Saloingne, et monstra semblant assaillir leur bastille. Et par une fainte retraite que elle commanda faire, les Englès sallirent hors de icelle après eulx à grand puissance. Et adont ladite Pucelle et Lahire voiands les dits Englès estre issus retournèrent vigoreusement supz eulx, et les reboutèrent et poursievirent si asprement, que à paines se poiirent retraire en leur fort ; et là morurent XXX englès. Et fut le ung de leurs fors pris et un bolvercq et grand nombre de vitailles. Et les Englès, voiands que ainsi ils estoient reboutez, deffirèrent III bastilles qui estoient du dit costé de la Saloingne, et tous se retraiyrent on leur grande bastille du bout du pont.

  Et ceste nuite, tint la dite Pucelle et les siens les champs, jusques au cler jour, dudit costé de la Saloingne. Et le dit jour commenchié esclarchir, et la Pucelle et ses gens appointés et ordonnez, se efforchièrent envaïr ladite grande bastille du bout du pont, qui estoit moult forte et comme imprenable, et où estoit grand nombre d'Englès et belle ordonnance de deffense de bombardes, canons et aultre trait à poure.
  Laquele bastille fut telement défendue par lesdits Englès, que, par tout le jour, Franchois rien ne y conquirent. Et ceste envaïe se continuant jusques assez tart du vespre, la Pucelle, comme il pleut à Dieu, fut bléchée par trait lui entrant environ ung pole en la poitrine, deseure la dextre mamelle ; de laquelle bléchure elle se monstra plus estre lie que tourblée, et demandante un peu de ole d'olive, avec coton tira elle meismes le trait de sa poitrine et mist le dit ole dessups et dict : « Maintenant ne ont les Englès comme rien de puissance, car ceste bléchure est le signe de leur confusion et misêre, révélé à moi de par Dieu, et de moi non déclaré jusques à présent. » Et incontinent, elle appointée et armée, se tirante à part et appoiante sups sa lance, tenans icelle de la main, fist semblant faire oration à Dieu, la face eslevée vers le ciel. Et, ce fait, elle retourna aux gens d'armes et leur monstra ung lieu de ladite bastille, leur commandant que ilz le envaïssent par là et entrent en icelle, lesquelz obéissans, tous de ung commun accord avec elle la première, assaillirent icelle et telement le oppressèrent, que, Dieu aidant, promptement fut prise de force. Et eulx dedens entrez, y eubt, que pris que mors, environ Vc Englès des principaulx de leur ost. Et lesdits Englès voiands la dite bastille estre prise et eulx cuidans retraire dedens la tour du pont, ledit pont fondi et chéi en le eaue, dessupz lequel estoit Classedas, ung de leurs ciefs souverains, et aultres grands seigneurs avec lui, jusques environ XXX, qui tous furent noiez. Et ceste chose fut tenue comme miraculeuse. Et, en ceste conqueste, gaignièrent les Franchois grand habondance de vivres et de artilleries, comme bombardes, canons, serpentines, veuglaires et aultres engiens et bagages. Et, le meisme jour assez tart, entra la dite Pucelle avec ses gens, en la ville de Orliens, en grand joie de coer et rendant grâces à Dieu de la dite victoire, et menans leurs prisonniers devant eulx : et leurs gens reveus, après la dite conqueste et assaut, ne trouvèrent que V hommes moins et peu de bléchiés. Et de ceste journée dirent aulcuns et affermèrent que durant ledit assault, furent véus deux blancs oiseaulx sups les espaulles de ladite Pucelle. Et les Englès prisonniers dirent et congneurent que il leur sembloit que les Franchois se monstroient être trois fois plus que ilz ne estoient, et que par ce avoient été si espoventez, que ilz ne avoient quelque puissance de eulx deffendre.

  Et, le dimence après et endemain de la dite victoire et conqueste, au point du jour, les aultres englès des Bastilles, du côté de la Biausse voiands leur male adventure et doubtans la puissance de la dite Pucelle, habandonnèrent leurs places et bastilles, et s'enfuyrent tous ensemble, qui bien estoient nombres XXVe. combatants, que de pied que de cheval. Et ceulx de la ville de Orliens, avec ladite Pucelle, voiands la fuite desdits Englès, issirent de la dite ville, en nombre de environ Vc chevaulcheurs, et férirent en la queue, et en occirent et prirent aulcuns, sans ce que ilz se retournassent ne monstrassent quelque défense. Et la Pucelle, ce voiands, fit retraire ses gens, sans souffrir que plus les poursievissent, disans que, puisque ilz se partoient, on ne les dedvoit trop aggresser, et mesmement ce que il estoit dimence, jour et feste du sabbat de Dieu, et aussi pour ce que elle leur avoit donné jour de eulx en aller jusques au lundi. Et eulx retrais en la dite ville et reposez la nuitée se partirent de icelle, l'endemain matin, et alèrent ès bastilles que les dits Englès avaient délaissé, ès esquels ilz trouvèrent pluiseurs vitailles, artilleries et aultres habillements de guerre, vaillables grand somme de argent.

                                                         

  Ces choses ainsi faites, l'armée de France assemblée, les préparatifs achevés, la Pucelle partit de Chinon (de Tours), se dirigeant vers Orléans, le jeudi XXI avril mil IIIIC XXIX. Elle alla à Blois, où elle attendit jusqu'au jeudi suivant les vivres et les renforts, qui devaient être introduits dans Orléans. Elle partit donc de Blois, ayant son étendard de satin blanc, où était représenté Jésus-Christ assis sur les nues, montrant ses plaies, ayant à chacun des côtés un ange tenant une fleur de lis.
  Étaient en sa compagnie, M. le maréchal de Boussac, M. de Gaucourt, M. de Rais, La Hire, et plusieurs autres grands seigneurs ; le nombre des combattants, tant à pied qu'à cheval, s'élevait à environ trois mille. Ils menaient par le côté de la Sologne soixante chariots pleins de toute sorte de vivres, et quatre cent trente-cinq bêtes de somme chargées. Le lendemain ils arrivèrent à Orléans, près de la rivière, où ceux de la ville vinrent les chercher en bateau, malgré les Anglais qui n'osèrent pas sortir de leurs tranchées et de leurs bastilles, ni opposer quelque empêchement. La Pucelle voyant qu'on l'avait menée du côté de la Sologne, et qu'elle n'avait pas trouvé les Anglais, fut très courroucée contre les chefs, et se mit à pleurer. Incontinent elle donna ordre aux hommes de sa compagnie de retourner à Blois pour quérir les vivres qu'ils y avaient laissés. Elle leur prescrivit de les amener par la Beauce, leur promettant d'aller à leur rencontre avec une partie des combattants d'Orléans, leur affirmant avec assurance de n'avoir pas de crainte, qu'ils ne trouveraient aucun empêchement. La Pucelle entra donc à Orléans, et ses gens, obéissants et exécutant son ordre, retournèrent à Blois. Ils en repartirent le mardi 3e de mai avec le surplus des vivres et une grande quantité de bétail, tels que boeufs, porcs et moutons. Le lendemain, veille de l'Ascension, ils arrivèrentà Orléans, par le côté de la Beauce, sans aucun empêchement ni à l'aller ni au retour, sans qu'on lançât un trait contre eux, ni qu'on les molestât en aucune manière. Les Anglais cependant se rassemblèrent au nombre d'environ quatorze cents combattants pour les attaquer au retour, mais ils n'osèrent, car la Pucelle, avec un gros renfort de ceux de la ville, alla au-devant d'eux, les joignit malgré les ennemis, et les conduisit dans la cité.

  Sitôt que les vivres furent introduits, la Pucelle, son étendard en main, et disposant de ses forces, alla assaillir la bastille Saint-Loup qui était forte et bien défendue. Elle ordonna qu'une partie de ses gens à cheval garderaient que les Anglais des autres bastilles ne vinssent au secours de Saint-Loup; elle-même et ceux de sa troupe, arrivés à Saint-Loup, firent tant par l'aide et la volonté de Dieu, que la bastille fut prise d'assaut par vive force. Cent soixante Anglais environ y furent tués, et quatorze faits prisonniers. On y conquit beaucoup de vivres, plusieurs pièces d'artillerie, et d'autre butin. Les vainqueurs se retirèrent, en amenant le tout en ville.

  Le lendemain de la fête de l'Ascension de Jesus-Christ, la Pucelle, sonétendard en main, sortit de la ville avec ses combattants, et passa du côté de la Sologne; elle fit semblant de vouloir assaillir les bastilles. A la suite d'une feinte retraite qu'elle commanda, les Anglais en saillirent avec de grandes forces pour courir après les fuyards. Alors la Pucelle et La Hire, les voyant hors de leurs forts, retournèrent vigoureusement sur eux, et les poursuivirent si âprement qu'ils purent à peine se retirer dans leur bastille; trente Anglais furent tués, un de leurs forts et un de leurs fossés furent pris, ainsi que grande quantité de victuailles. Les Anglais, se voyant ainsi repoussés, défirent trois de leurs bastilles du côté de la Sologne, et se retirèrent tous en leur grande bastille du bout du pont.

  Cette nuit, la Pucelle et les siens tinrent les champs du côté de la Sologne jusqu'au clair jour. Quand le jour eut commencé à s'éclaircir, et que la Pucelle eut mis ses gens en état et les eut ordonnés, ils s'efforcèrent d'envahir cette grande bastille du bout du pont. Elle était très forte et comme imprenable, renfermait nu grand nombre d'Anglais, était bien disposée pour la défense, et pourvue de bombardes, de canons, et d'autres machines à explosion.
  La bastille fut si bien défendue par les Anglais que, pendant tout le jour, les Français n'y purent rien gagner. L'attaque se prolongeant jusques assez tard vers la fin du jour, il plut à Dieu que la Pucelle fût blessée d'un trait qui lui entra d'environ un pouce dans la poitrine, au-dessus de la mamelle droite. Elle s'en montra plus joyeuse que troublée; et demandant un peu d'huile d'olive avec « estou » (étoupe ?), elle tira le trait de la poitrine, versa l'huile par dessus la plaie, et dit : « Maintenant les Anglais n'ont plus de puissance; cette blessure est le signe de leur confusion et de leur malheur, signe que Dieu m'a révélé, et que je n'ai pas fait connaître jusqu'à présent ». Incontinent, pansée et armée, elle se tira à part, et s'appuyant sur sa lance qu'elle tenait dans sa main, elle se mit dans l'attitude d'une personne qui fait son oraison à Dieu, le visage levé au ciel. Cela fait, elle retourna vers les gens d'armes, leur montra un endroit de la bastille, et leur dit d'envahir la forteresse par là, et d'y entrer. Ils lui obéirent : tous d'un commun accord, elle-même en tête, assaillirent la bastille avec tant de vigueur que, Dieu aidant, elle fut promptement prise de force, et qu'ils y entrèrent. Environ cinq cents Anglais, appartenant à l'élite de l'armée, furent tués, ou faits prisonniers. En voyant la prise de leur bastille, les Anglais voulurent se retirer dans la tour du pont ; mais le pont fondit sous leurs pas et tomba dans l'eau, avec ceux qui étaient dessus, avec Glacidas, un de leurs généraux en chef, et avec d'autres grands seigneurs, au nombre de trente environ. Tous furent noyés. L'événement fut regardé comme miraculeux. En cette conquête les Français gagnèrent grande abondance de vivres, et beaucoup d'artillerie, bombardes, canons, serpentines, veuglaires et autres engins de guerre, et conquirent aussi du mobilier. Le même jour, assez tard, la Pucelle et ses gens, rentrèrent à Orléans, avec grande joie au coeur, rendant grâces à Dieu de la victoire, et menant leurs prisonniers devant eux. A la revue des gens de la Pucelle, faite après la victoire et l'assaut, il ne se trouva que cinq hommes de moins, et quelques blessés. Quelques-uns affirmèrent que durant l'assaut deux oiseaux blancs furent vus sur les épaules de la Pucelle. Les Anglais prisonniers dirent et attestèrent que les Français leur avaient paru trois fois plus nombreux qu'ils n'étaient, et que, par suite, ils avaient été si épouvantés qu'ils en avaient perdu la force de se défendre.

  Le dimanche suivant, lendemain de cette victoire et de cette conquête, au point du jour, les autres Anglais des bastilles du côté de la Beauce, voyant leur male aventure et redoutant la puissance de la Pucelle, abandonnèrent leurs places et bastilles, s'enfuirent tous ensemble, au nombre de deux mille cinq cents combattants, tant à pied qu'à cheval. Ceux de la ville et la Pucelle, voyant cette fuite, sortirent d'Orléans au nombre d'environ cinq cents chevaucheurs ; ils tombèrent sur la queue des fuyards, en tuèrent et prirent quelques-uns, sans qu'ils se retournassent, ou fissent quelque démonstration de se défendre (1). Ce que voyant, la Pucelle fit retirer ses gens et cesser la poursuite, disant que puisqu'ils partaient, l'on ne devait pas trop les harceler ; que d'ailleurs c'était dimanche, jour et fête du repos de Dieu, et qu'elle leur avait donné jour pour se retirer jusqu'au lundi. L'on rentra dans la ville, et, la nuit accordée au repos, le lendemain ceux d'Orléans sortirent, et allèrent aux bastilles délaissées par les Anglais. Ils y trouvèrent des vivres, de l'artillerie et d'autres armements de guerre, pour une grande somme d'argent.

                                       
          


Source : "La vraie Jeanne d'Arc - t.III : La libératrice" - J.-B.-J. Ayroles - 1897.
Mise en Français plus moderne : ibid. p. 214 à 229.

Notes (Ayroles) :
1
Le chroniqueur attribue ici à la Pucelle ce qui fut le fait de La Hire, après des incidents racontés par d'autres historiens.




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