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Chronique de Jean de Wavrin du Forestel - index
Livre IV - Chap. XII .

es capittaines anglois dessus nommez estans à Jenville, furent advertis que nouvellement les Fran-chois à grant puissance d'armes avoient prins d'assault la ville de Ghergeauz, ainsi comme il a esté dit ou chapittre precedent, et mis en leur obeissance la ville de Meun, tenant tousjours leur siege devant Baugensy. Lesqueles nouvelles leur furent en moult grant desplaisance, mais amender ne le peurent quant au present. Si se misrent en conseil pour avoir advis tous ensamble sur ce qu'ilz avoient à faire. Et ainsi comme ilz estoient en ce conseil, entra en la ville le seigneur de Thalboth, atout environ quarante lanches et deux cens archiers ; de la venue duquel furent les Anglois moult joyeulz. Ce fut raison, car on le tenoit, pour ce tempz, estre le plus sage et vaillant chevallier du royaulme d'Engleterre.
  Quant le dit seigneur de Thalbot fut descendu en son hostel, messire Jehan Fastre, messire Thomas Rameston et les autres seigneurs Anglois l'allerent bienviengnier et reverender, luy demandant de ses nouvelles; lequel leur en dist ce qu'il en estoit, puis s'en allerent disner tous ensamble. Et quant les tables furent ostees, ilz entrerent en une chambre à conseil, où maintes choses furent ataintes et debatues; car messire Jehan Fastre, que l'on tenoit moult sage et vaillant chevallier, fist maintes remonstrances au seigneur de Thalbot et auz autres, disant comment ilz scavoient bien la perte de leurs gens de devant Orliens, de Ghergeauz et autres lieux; pour lesqueles choses estoient ceulz de leur parti moult amatis et effraez, et leurs annemis, au contraire, moult fort s'en esjouissoient, exaltoient et résviguoroient ; pour-quoy il conseilloit de non aller plus avant et laissier faire auz assegiés de Baugensy, en prendant le meilleur traitié qu'ilz pourroient avoir auz François ; si se tyrassent entreulz es villes, chasteaulz et forteresses tenans leur party, et qu'ilz ne combatissent point leurs annemys si en haste jusques à ce que ilz feussent plus asseurez, et aussi que leurs gens feussent à eulz venus, que le duc de Bethfort, regent, leur debvoit envoier. Lesqueles remonstrances faites en ycelluy conseil par ledit messire Jehan Fastre, ne furent pas bien agreables à aulcuns des aultres capittaines; en especial au seigneur de Thalbot, lequel dist que s'il n'avoit que sa gent et ceulz qui le volroient ensievir, si les yroit il combatre à l'ayde de Dieu et de monseigneur Saint George.
  Lors messire Jehan Fastre, voyant que nulle excusation ou remonstrances n'y valloit, ne ses parolles n'y avoient lieu, il se leva du conseil. Aussi firent tous les autres, et s'en allerent chascun en son logis. Si fut commandé auz capittaines et chiefz d'escadres que lendemain au matin, feussent tous pretz pour eulz mettre sur les champz, et aller où leurs souverains leur ordonneroient. Et ainsi se passa ceste nuit; puis, au matin, issirent tous de la porte, et se misrent auz plains champs estandars, penons et guidons. Et lors, aprez que tous furent en ordonnance issus de la ditte ville, tous les capittaines se tyrerent de rechief ensamble en ung tropel emmy le champ, et illec parla ancores à eulz messire Jehan Fastre, disant et remonstrant pluiseurs raisons tendans à fin de non passer plus avant; mettant au devant de leurs entendemens tous les doubtes des dangereux perilz qu'ilz povoient bien encourre, selon son ymagination; et aussi ilz n'estoient que une poignié de gens au regard des Francois, certiffiant que, se la fortune tournoit maul-vaise sur eulz, tout ce que le feu roy Henry avoit concquis en France, à grant labeur et long terme, seroit en voye de perdition : pourquoy il voulroit mieulz un peu soy reffraindre, et atendre leur puissance estre renforcee.
  Ces remonstrances ne furent pas ancores agreables au seigneur de Thalbot, ne aussi à aulcuns autres chiefz de la dite armee. Pourquoy messire Jehan Fastre, voiant que nulle quelconcque remonstrance qu'il sceust faire, ne povoit prouffiter à ses dis compaignons retraire de leur emprinse volloir parsievir, il commanda auz estandars qu'ilz prensissent le droit chemin vers Meun. Si veissiés de toutes pars parmy celle Beausse, qui est ample et large, les Anglois chevaulchier en tres belle ordonnance; puis, quant ilz parvindrent ainsi comme à une lieue prez de Meun, et assez pres de Baugensi, les François, advertis de leurs venue, eulz environ VIm combatans, dont estoient les chiefz Jehanne la Pucelle, le duc d'Alenchon, le bastard d'Orlyens (1), le marissal de la Fayette, la Hyre, Pothon et autres capitaines, se rengerent et misrent en battaille sur une petite montaignette, pour mieulz veoir, et veritablement la contenance des Anglois. Les-quelz, plainement parchevans que Franchois estoient rengiés par maniere de battaille, cuidans que de fait les deussent venir combattre, prestement fut fait commandement expres, de par le roy Henry d'Engleterre, que chascun se meist à pié, et que tous archiers eussent leurs peuchons estoquiez (2) devant eulz, ainsi comme ilz ont coustume de faire quant ilz cuident estre combatus. Puis envoierent deux heraulz devers lesdis Francois, quant ilz veyrent qu'ilz ne se mouvoient de leurs lieux, disans qu'ils estoient trois chevalliers quy les combatroient se ilz avoient hardement de descendre le mont et venir vers eulz. Ausquelz responce fut faite de par les gens de la Pucelle : « Allez vous logier pour maishuy, car il est assez tard ; mais demain, au plaisir de Dieu et de Nostre Dame, nous vous verrons de plus prez. »
  Alors les seigneurs anglois, voians qu'ilz ne serroient point combatus, se partirent de celle place, et chevaulcherent vers Meun, où ils se logerent celle nuit, car ilz ne trouverent nulle resistence en la ville, fors tant seullement que le pont se tenoit pour les Francois. Si fut conclu illec par les capittaines anglois qu'ilz feroient celle nuit battre ledit pont par leurs engiens, canons et veuguelaires, adfin d'avoir passage de l'autre costé de la riviere. Et ainsi le firent les Anglois qu'ilz l'avoient proposé ceste nuit, laquele ilz geurent à Meun jusques à lendemain.
Or, retournerons auz Francois quy estoient devant Baugensy; et dirons des Anglois quant lieu et tempz sera.

    

                                                         

  Les capitaines anglais dessus nombrés étant à Janville furent avertis que nouvellement les Français avaient par grande puissance d'armes pris d'assaut la ville de Jargeau, ainsi qu'il a été dit au chapitre précédent, qu'ils avaient la ville de Meung en leur obéissance, et qu'ils tenaient toujours leur siège devant Baugency. Ces nouvelles leur furent en moult grande déplaisance, mais y amender ne purent quant au présent. Ils se réunirent tous en conseil pour délibérer ensemble sur ce qu'ils avaient à faire. Et ainsi, comme ils étaient en conseil, le seigneur Talbot entra en la ville avec environ quarante lances et deux cents archers. Les Anglais furent moult joyeux de sa venue, et c'était raison, car en ce temps on le tenait pour le plus sage et le plus vaillant capitaine du royaume d'Angleterre.
  Quand ledit seigneur de Talbot fut descendu en son hôtel, Messire Jean Fastolf, Messire Thomas Rampston et les autres seigneurs anglais allèrent lui souhaiter la bienvenue et lui faire révérence, lui demandant de ses nouvelles ; il leur dit ce qui en était, et ils allèrent dîner tous ensemble. Quand les tables furent enlevées, ils entrèrent en une chambre pour tenir conseil. Maintes choses furent touchées et débattues, car Messire Fastolf, que l'on tenait moult sage et vaillant chevalier, fit maintes remontrances au seigneur de Talbot et aux autres, disant comment ils savaient bien la perte de leurs gens devant Orléans, Jargeau et autres lieux; pour lesquelles choses ceux de leur parti étaient moult abattus et effrayés, tandis que, au contraire, leurs ennemis s'en réjouissaient très fort, en tressaillaient et se revigoraient; c'est pourquoi il conseillait de ne pas aller plus avant, de laisser les assiégés de Baugency prendre avec les Français le meilleur traité qu'ils pourraient avoir, et pour eux de se retirer ès villes, châteaux et forteresses tenant leur parti, de ne point combattre leurs ennemis en si grande hâte, d'attendre jusqu'à ce que leurs gens fussent plus rassurés, et qu'à eux fussent venus se joindre ceux que le régent duc de Bedford devait leur envoyer. Ces remontrances faites en plein conseil par Messire Jean Fastolf ne furent pas agréables à plusieurs des autres capitaines, et spécialement au seigneur de Talbot, qui dit qu'alors qu'il n'aurait que ses gens et ceux qui le voudraient suivre, il irait combattre à l'aide de Dieu et de Monseigneur saint Georges.
  Messire Jean Fastolf, voyant alors que nulle observation ou remontrance ne valait pas plus que s'il n'avait rien dit, se leva du conseil. Ainsi
firent tous les autres, et chacun s'en alla à son logis. Il fut commandé aux capitaines et aux chefs de compagnies d'être prêts le lendemain au matin pour se mettre aux champs et aller là où leurs souverains l'ordonneraient. Ainsi se passa cette nuit. Puis au matin ils sortirent tous hors de la porte, et se mirent en pleins champs, étendards, pennons et guidons au vent. Après que tous furent hors de la ville en bonne ordonnance, tous les chefs s'assemblèrent de nouveau en groupe au milieu d'un champ, et Messire Jean Fastolf parla encore, déduisant et remontrant plusieurs raisons pour ne pas passer plus avant, mettant devant les entendements toutes les craintes de dangers et de périls que, selon son imagination, ils pouvaient bien encourir, et aussi qu'ils n'étaient qu'une poignée de gens, eu égard au nombre des Français ; que si la fortune leur était contraire, tout ce que le roi Henri avait conquis par grand labeur et long temps serait en voie de perdition ; c'est pourquoi il vaudrait mieux se refréner un peu et attendre que leur armée fût renforcée.
  Ces remontrances ne furent pas encore agréables au seigneur de Talbot, ni aussi aux chefs de l'armée. C'est pourquoi Messire Jean Fastolf, voyant que, quelque observation qu'il sût faire, il ne pouvait rien pour empêcher ses compagnons de vouloir poursuivre leur entreprise, il commanda aux étendards de prendre le chemin de Meung. Vous eussiez vu par cette Beauce qui est ample et large les Anglais chevaucher en très belle ordonnance, et puis quand ils furent parvenus à une lieue près de Meung et assez près de Baugency, les Français avertis de leur venue, au nombre d'environ six mille combattants, ayant pour chefs Jeanne la Pucelle, le duc d'Alençon, le bâtard d'Orléans, le maréchal de La Fayette, La Hire, Poton et d'autres capitaines, se rangèrent et se mirent en bataille sur une petite montagnette, pour mieux voir, et s'assurer de la contenance des Anglais. Ceux-ci s'apercevant clairement que les Français étaient rangés en ordre de bataille, et pensant qu'ils allaient venir les combattre, commandement exprès fut fait immédiatement de par le roi Henri d'Angleterre, que chacun se mît à pied, et que tous les archers eussent leurs pieux en arrêt devant eux, ainsi qu'ils ont coutume de le faire quand ils pensent devoir être combattus. Quand ils virent que les Français ne se mouvaient pas de leurs positions, ils envoyèrent vers eux deux hérauts, disant qu'ils étaient trois chevaliers qui les combattraient s'ils avaient la hardiesse de descendre de leur élévation et de venir vers eux. Il fut répondu de par les gens de la Pucelle : « Allez vous loger pour aujourd'hui, car il est trop tard ; mais demain, au plaisir de Dieu et de Notre-Dame, nous nous verrons de plus près. »
  Alors, les seigneurs anglais, voyant alors qu'ils ne seraient pas combattus, quittèrent leur campement, et chevauchèrent vers Meung, où ils prirent leurs logis pour cette nuit ; car ils ne trouvèrent nulle résistance dans la ville, le pont seul tenant pour les Français. Il fut conclu par les capitaines anglais que cette nuit ils feraient battre ledit pont par leurs engins, canons et veuglaires, afin d'avoir passage de l'autre côté de la rivière. Ils le firent ainsi qu'ils se l'étaient proposé durant cette nuit qu'ils passèrent à Meung jusqu'au lendemain.
  Or, retournons aux Français qui étaient devant Baugency, et nous parlerons ensuite des Anglais en lieu et temps.

                                                 


Source : "Anciennes chroniques d'Angleterre" de Jehan de Wavrin par Mlle Dupont, t.I, p.283-287.
Mise en Français modernisé, J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.497-499.

Notes :
1 Jean d'Orléans, comte de Dunois, fils naturel de Louis de France et de Mariette d'Enghien, femme d'Aubert le Flamenc, seigneur de Cany.
Mort le 24 novembre 1468 (Anselme, I, 212).

2 C'est-à-dire leurs pieux en arrêt, présentant la pointe à l'ennemi. (Quicherat)



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