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Livre
II - ORLEANS
III
- La délivrance d'Orléans - p. 141 à 175 |
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eanne
avait dès ce moment changé la face des choses. Les
Orléanais, d'assiégés, devenaient décidément
assiègeants. Le peuple avait repris tant de confiance, qu'autrefois
(c'est Dunois qui l'avance) deux cents Anglais eussent mis en fuite
plus de huit cents hommes de l'armée du roi, et maintenant
quatre ou cinq cents hommes d'armes osaient braver toutes les forces
anglaises (1).
Dès le lendemain matin (30 avril), les plus impatients,
et dans le nombre Florent d'Illiers, arrivé de Châteaudun
l'avant-veille avec quatre cents combattants, sortirent enseignes
déployées, chargèrent les Anglais et les refoulèrent
vers leur bastille voisine de Saint-Pouair (sur la route de Paris)
; et déjà
on ne parlait dans la ville que d'apporter de la paille et des fagots
pour y mettre le feu : mais l'attaque ne fut pas soutenue. Jeanne
n'avait rien su de l'entreprise ; et, si pressée qu'elle
fût de combattre, on peut croire qu'elle l'eût désapprouvée
: car avant d'attaquer l'ennemi, elle le voulait sommer encore.
Mais elle entendait qu'on ne différât pas davantage.
Elle ne voulait pas même attendre sa propre troupe, qui devait
passer la Loire à Blois, et se refusait à ce que Dunois
l'allât chercher, aimant mieux qu'il restât pour faire
immédiatement sommation, ou, en cas de refus, donner l'assaut
aux Anglais. Dunois ne se refusa point à lui laisser faire
telles sommations qu'il lui plairait ; mais il tint à ne
point combattre avant d'avoir reçu ses moyens d'attaque ;
et Jeanne dut céder à son tour. Elle écrivit
donc aux Anglais dans le même sens que la première
fois, réclamant le héraut qui leur avait porté
sa lettre de Blois. Ceux qu'elle envoyait d'Orléans pouvaient
bien avoir le même sort : car les Anglais ne se croyaient
point tenus du droit des gens envers cette fille qu'ils réputaient
pour le moins hérétique ; mais Dunois leur manda en
même temps que s'ils ne les renvoyaient tous, il ferait mourir
les Anglais prisonniers et ceux qu'on avait envoyés pour
traiter de la rançon des autres. Ils cédèrent
à cette menace, selon le Journal du siège.
Selon d'autres
témoignages qui trouvent ailleurs leur confirmation, des
deux messagers ils retinrent l'un, et ne renvoyèrent l'autre
que pour avoir l'occasion de publier ce que leur haine avait dès
lors résolu contre la Pucelle. lls lui mandèrent "qu'ils
la brûleroient et feroient ardoir (périr dans les flammes)
;" et, mêlant l'insulte à la menace, ils ajoutaient
"qu'elle n'étoit qu'une ribaude et comme telle s'en
retournât garder ses vaches" (2). Jeanne
fut vivement émue de ces insultes grossières ; mais,
au risque de les subir en face, elle voulait avant de commencer
l'attaque, adjurer elle-même les Anglais de l'éviter
en se retirant. Elle s'en alla donc au boulevard de la Belle-Croix,
position avancée des Orléanais sur le pont, et de
là elle somma Glasdale (Glacidas) et les soldats qui occupaient
les Tourelles de se rendre de par Dieu, ne leur assurant que la
vie sauve. On devine comment cette sommation fut accueillie. "Glacidas
et ceux de sa rote, dit le Journal, répondirent vilainement,
l'injuriant et appelant vachère, comme devant, crians moult
haut qu'ils la feroient ardoir s'ils la pouvoient tenir." La
Pucelle prit encore en patience les injures ; mais elle leur déclara
qu'ils s'en iraient bientôt, et à leur chef qu'il ne
le verrait pas. Sa parole s'accomplit : mais les Anglais n'en seront
que plus ardents à tenir leur promesse (3).
Puisque Dunois ne voulait point combattre sans les troupes
renvoyées à Blois, le plus sûr et le plus court
était peut-être encore qu'il les allât chercher.
Il partit donc le dimanche matin, 1er mai, avec Boussac, d'Aulon
et plusieurs autres, passant fièrement sous les bastilles
anglaises. La Pucelle était venue s'établir entre
ces bastilles et la ville et sa présence avait suffi pour
que l'ennemi, si fort qu'il fût, ne remuât pas (4).
Rentrée en ville, elle employa les loisirs qu'on
lui faisait pour se mettre plus intimement en rapport avec la population,
en lui communiquant, avec sa foi en Dieu, sa confiance dans la victoire,
et en la préparant à braver les Anglais dans leurs
forts, si les Anglais continuaient de rester sourds à ses
invitations.
Et d'abord elle voulut donner satisfaction à
l'empressement populaire. Les Orléanais se portaient en tel
nombre vers son hôtel, qu'ils en rompaient presque les portes.
Elle parcourut à cheval les rues de la ville, et la foule
était si grande sur son chemin qu'à grand'peine pouvait-elle
s'ouvrir un passage : car le peuple "ne se pouvoit saouler
de la voir". Tous admiraient sa bonne grâce à
cheval, sa tenue militaire ; et ils sentaient qu'elle ne se trompait
pas lorsque, tournant vers Dieu leur confiance, elle allait répétant
sans cesse : "Messire m'a envoyée pour secourir la
bonne ville d'Orléans." Puis elle renouvela auprès
des Anglais de la rive droite ses démarches si mal accueillies
à la rive gauche. Elle vint près de la croix Morin,
invitant ceux qui tenaient la bastille voisine à se rendre,
la vie sauve, et à s'en retourner en Angleterre. Mais ils
lui répondirent comme aux Tourelles par des insultes : "Voulez-vous
donc, s'écriait le Bastard de Granville, que nous nous rendions
à une femme ?" Et il jetait à la face des Français,
dont elle était suivie, des injures qui retombaient encore
sur elle (5).
Le lendemain (lundi, 2 mai), elle sort à cheval
et s'en vient par les champs examiner les bastilles et les positions
des Anglais ; et le peuple la suivait en grande foule, prenant plaisir
à la voir et à être autour d'elle, sans souci
de l'ennemi : comme si avec Jeanne nul péril ne les pût
atteindre. Et en effet les Anglais ne bougèrent pas ; et
Jeanne, après avoir inspecté leurs fortifications
tout à loisir, rentra dans la ville et vint à l'église
Sainte-Croix entendre vêpres (6).
Le mardi, jour de l'Invention de la Sainte-Croix, fête
de la cathédrale, grande procession à laquelle elle
assiste avec les capitaines, afin de tourner les cœurs, par
cette manifestation publique, vers Celui de qui elle attendait son
secours : car pour elle, elle ne mettait point en doute la défaite
des ennemis ; et si quelque sage homme lui disait : "Ma fille,
ils sont forts et bien fortifiés, et sera une grande chose
à les mettre hors", elle répondait : "Il
n'est rien d'impossible à la puissance de Dieu."
Ce jour-là, on vit arriver les garnisons de Gien,
de Château-Regnard, de Montargis, cette brave ville qui, après avoir vaillamment repoussé les Anglais
en 1427, prêtait, à la même fin, si volontiers
secours aux autres. Mais de Blois, personne encore : et cependant,
si les capitaines avaient tenu leur promesse, c'est en ce jour qu'on
les devait voir revenir. Enfin, le soir, on apprit qu'ils étaient
en marche (7).
Ce n'était pas sans raison que Dunois avait jugé
utile d'aller à leur rencontre ; car, lorsqu'il arriva, leur
départ était mis en question. On délibérait
devant le chancelier de France. Quelques-uns opinaient que chacun
retournât en sa garnison ; c'était probablement l'avis
du chancelier et de ses adhérents : car pour les capitaines,
presque tous voulaient revenir à Orléans comme ils
s'y étaient engagés. Dunois montra que si cette petite
armée, réunie avec tant de peine et déjà
réduite des deux tiers, venait à se dissoudre, c'en
était fait de la ville. Il l'emporta. On résolut de
revenir à Orléans avec des munitions nouvelles, et
d'y revenir comme on l'avait arrêté, comme Jeanne l'avait
voulu d'abord, par la Beauce (la rive droite), à travers
les principales bastilles des Anglais (8).
Jeanne n'était plus parmi ces soldats que par
la bannière commise à Pasquerel et aux prêtres.
Mais elle devait être là quand on passerait devant
l'ennemi. Le mercredi (4 mai), apprenant leur approche, elle vint
au-devant d'eux jusqu'à une lieue d'Orléans, son étendard
à la main, suivie de La Hire, de Florent d'Illiers
et de plusieurs autres. Et tous ensemble ils repassèrent
avec leur convoi à travers les bastilles anglaises, processionnellement,
les prêtres chantant des cantiques, sans que les Anglais,
qui avaient l'avantage de la position et du nombre, fissent rien
pour les arrêter. Cet ennemi, qui était le plus fort
et qu'on ne pouvait point soupçonner de manquer de courage,
était resté comme frappé d'impuissance devant
celle que la veille encore il outrageait.
C'était maintenant aux Anglais de se défendre
; et ce n'était pas sans une vive sollicitude qu'ils attendaient
des renforts à leur tour. La Pucelle ne les redoutait pas.
Ce jour même, après le diner, Dunois l'étant
venu trouver pour lui dire que Falstolf leur amenait des vivres
et des hommes, et qu'il était déjà à
Janville : "Bastard, Bastard, s'écria-t-elle dans
une saillie de joie, en nom Dieu, je te commande que tantôt (aussitôt) que tu sauras la venue dudit Falstolf, tu me
le fasses savoir : car s'il passe sans que je le sache, je te promets
que je te ferai ôter la tête." Dunois lui dit
sur le même ton de ne rien craindre : qu'il le lui ferait
bien savoir (9).
Ce fut pourtant sans lui rien dire que l'on commença
l'attaque. Elle s'était jetée sur un lit pour se reposer
un moment des fatigues de la journée, quand tout à
coup elle se leva, et réveillant d'Aulon, son écuyer,
qui dormait sur un autre lit : "En nom Dieu, dit-elle, mon
conseil m'a dit que j'aille contre les Anglois ; mais je ne sais
si je dois aller il leurs bastilles ou contre Falstolf qui les doit
ravitailler." Comme il l'armait, on entendit grand bruit :
on criait dans la ville que les ennemis portaient grand dommage
aux Français. Elle quitte d'Aulon, qui lui-même se
revêt de ses armes, sort précipitamment de sa chambre,
et rencontrant son page : "Ah! sanglant garçon, s'écrie-t-elle,
vous ne me disiez pas que le sang de France-fut répandu.
Allez querir mon cheval." Elle achève de s'armer
avec l'aide de la dame du logis et de sa fille ; puis, sautant sur
le cheval que le page amenait, elle l'envoie chercher son étendard,
le reçoit par la fenêtre sans lui laisser le temps
de descendre, et part, courant droit par la grande rue vers la porte
de Bourgogne,si vite que les étincelles jaillissaient du
pavé (10).
C'est de ce côté qu'était l'action
dont le bruit s'était répandu dans la ville. Après
l'entrée du convoi, ceux d'Orléans qui l'avaient escorté,
ayant pris leur repas à la hâte, étaient allés
à l'hôtel de ville, où ils se firent donner
des coulevrines, des arbalètes, des échelles, et ils
étaient partis pour attaquer Saint-Loup. Mais cette bastille, qui commandait le passage de la Loire en amont
et le chemin de la Bourgogne, avait été fortement
mise en défense par Talbot. Il y avait là trois cents
Anglais d'élite : malgré l'absence de leur capitaine,
Thomas Guerrard, ils résistaient avec vigueur aux assaillants,
et bon nombre de blessés étaient rapportés
vers la ville. Jeanne s'arrêta au premier dont elle fit la
rencontre, et sachant que c'était un Français : "Jamais,
dit-elle, je n'ai vu sang de François que les cheveux ne
me levassent en sur (sur la tête)." Elle arriva devant
la bastille: elle avait été rejointe par son écuyer,
son page, tous ses gens ; et bientôt Dunois et plusieurs autres
vinrent soutenir l'attaque si témérairement commencée.
Jeanne leur ordonna d'observer l'ennemi, et d'empêcher qu'il
ne vint des autres forts au secours de Saint-Loup. Elle-même,
debout sur le bord du fossé, son étendard à
la main, encourageait ses hommes à l'assaut. Les Anglais
tinrent trois heures, forts de leur propre résolution et
comptant sur le secours des autres. Talbot, en effet, donna l'ordre
de sortir des retranchements pour faire diversion en menaçant
la ville ; et ceux de Saint-Pouair, cette grande bastille que les
Anglais avaient nommée Paris, plus rapprochés de la
bastille attaquée, tentèrent de la dégager
en prenant à dos les assaillants. Mais par deux fois la cloche
du beffroi dénonça leur entreprise, et les Orléanais,
sous la conduite de Boussac, de Graville et de quelques autres,
sortant aussitôt de la place au nombre de six cents, se rangèrent
en bataille et les contraignirent à rétrograder. Ceux
de Saint-Loup ne se laissèrent point encore abattre, et,
disputant le terrain pied à pied, se retirèrent au
clocher de l'église ; mais, malgré leur bravoure,
ils y furent forcés et tués ou pris. Quelques gens
d'Église qui étaient parmi eux, ou de soi-disant tels,
vinrent sous l'habit ecclésiastique se présenter à
Jeanne. Elle les reçut, empêcha qu'on ne leur fît
aucun mal, et les emmena dans son hôtel. C'étaient
assez de tués en cette journée. "Elle pleurait
sur eux, dit Pasquerel, en pensant qu'ils étaient morts sans
confession." (11)
Les Français trouvèrent à Saint-Loup
grande quantité de vivres et d'autres biens qu'ils pillèrent,
et ils mirent le feu à la bastille. Quand ils furent rentrés
à Orléans, les Anglais eurent bien la pensée
de la reprendre ; mais à la vue des flammes, ils rebroussèrent
chemin, la jugeant décidément perdue pour eux (12).
Ce premier succès fut célébré
dans Orléans comme le premier acte de la délivrance.
Jeanne, qui avait mené le peuple à la victoire, lui
rappelait qui en était l'auteur. Elle répondait à
l'empressement dont elle était l'objet, en menaçant
ses hommes d'armes de les quitter s'ils ne se rapprochaient de Dieu
par la pénitence; elle les exhortait à lui rendre
grâces, et promettait que dans cinq jours le siège
serait levé et qu'il n'y aurait plus un seul Anglais devant
Orléans. Le peuple la croyait. On courait aux églises,
et le son des cloches portait comme un retentissement de cette joie
publique aux Anglais étonnés d'être vaincus. (13)
La Pucelle ne voulait point qu'on leur laissât
le temps de se raffermir. Dès le lendemain, quoique ce fût
le jour de l'Ascension, elle demandait qu'on les attaquât
au cœur même de leurs positions, à la bastille
de Saint-Laurent. Mais les capitaines se refusèrent à
ses instances, alléguant la sainteté du jour. Jeanne
céda, et sut elle-même honorer la fête et y chercher
de nouveaux moyens de succès, non-seulement en allant recevoir
dans la communion le pain des forts, mais en rappelant à
ses compagnons les vraies conditions de la victoire promise. Depuis
qu'elle était à l'armée, elle n'avait cessé
de combattre en eux le désordre et le vice, comme leur plus
dangereux ennemi et le plus grand obstacle à leur triomphe.
Elle ordonna que personne ne sortît le lendemain pour combattre
qu'il ne fût confessé, et renouvela la défense
qu'aucune femme dissolue ne les suivît, parce que Dieu pourrait
permettre qu'ils fussent battus à cause de leurs péchés. (14)
En même temps, elle voulait offrir à l'ennemi
un dernier moyen d'éviter une plus sanglante défaite.
Elle lui écrivit une nouvelle lettre, que Pasquerel, son
fidèle compagnon en toutes ces journées, reproduit
en ces termes :
"A vous, hommes d'Angleterre, qui n'avez aucun droit en
ce royaume de France, le Roi du ciel ordonne et mande par moi que
vous laissiez vos bastilles et vous en alliez en votre pays, ou
sinon je vous ferai un tél hahu (ou hahaye) qu'il en sera
perpétuelle mémoire. Voilà ce que je vous écris
pour la troisième et dernière fois, et je ne vous
écrirai pas davantage.
JHESUS MARIA, Jeanne la Pucelle."
Elle ajoutait après avoir signé:
"Je vous aurois envoyé mes lettres plus
honorablement, mais vous me retenez mes hérauts. Vous m'avez
retenu mon héraut Guyenne. Renvoyez-le-moi et je vous renverrai
quelques-uns de vos gens pris dans la bastille Saint-Loup ; car
ils ne sont pas tous morts."
Elle prit alors une flèche, y attacha la lettre,
et la fit lancer aux Anglais avec ce cri : "Lisez, ce sont
nouvelles." Les Anglais la relevèrent, et l'ayant
lue se mirent à crier: "Voilà des nouvelles de
la p... des Armagnacs." Jeanne, à ces mots, soupira
et répandit d'abondantes larmes, appelant à son aide
le Roi du ciel. Et le Seigneur la consola. (15)
Pendant que Jeanne cherchait tout à la fois à
rendre la lutte décisive, ou à la prévenir,
s'il se pouvait encore, les chefs, dans un conseil tenu chez le
chancelier du duc d'Orléans (16),
délibéraient à part sur la manière de
la conduire. Jeanne avait proposé d'aller droit à
la grande bastille des Anglais. Ils convinrent d'adopter son plan,
mais seulement en apparence : ils voulaient, par une fausse attaque
sur la rive droite, y attirer ceux de la rive gauche, et profiter
de la diversion pour enlever les bastilles de cette rive, dégarnies
de leurs défenseurs. De cette sorte, ils devenaient maîtres
du pont ; ils rendaient toute liberté à leurs communications
avec la Sologne, et se ménageaient les moyens d'introduire
dans la place de quoi soutenir un long siège : car ils n'avaient
point d'autre ambition que de lasser l'ennemi.
Jeanne n'était pas de ce conseil ; et plusieurs
même voulurent qu'on ne lui dît rien de l'attaque projetée
contre les bastilles de la Sologne, c'est-à-dire du véritable
but de la journée, de peur qu'elle n'en parlât. En
effet, quand on l'appela, on ne lui fit part que du projet d'attaquer
la grande bastille de la Beauce ; et l'on croyait la tromper d'autant
mieux, que ce projet répondait à ses vues. Quand le
chancelier du duc d'Orléans lui eut fait l'exposition concertée,
elle répondit, indignée de ces subterfuges :
"Dites ce que tous avez conclu et appointé.
Je cèlerois bien plus grande chose."
Et elle allait et venait par la salle, marchant à
grands pas.
"Jeanne", lui
dit Dunois, voulant réparer l'effet de cette injurieuse maladresse,
"ne vous courroucez pas, on ne peut pas tout dire à
une fois. Ce que le chancelier vous a dit a été résolu
; mais si ceux de l'autre côté se départent
pour venir aider la grande bastille de par deçà, nous
avons résolu de passer la rivière, pour y besogner
ce que nous pourrons. Et nous semble que cette conclusion est bonne
et profitable."
Jeanne se calma, et répondit qu'elle était
contente et que la conclusion lui semblait bonne, pourvu qu'elle
fût ainsi exécutée. De quelque côté
que portât le coup, elle sentait qu'il serait décisif
; mais sa défiance n'était que trop légitime
: ils ne firent rien de ce qu'ils avaient résolu (17).
On se décida à se porter directement sur la rive gauche.
Les Anglais occupaient, on l'a vu, la tête du
pont ou la bastille des Tourelles, et, un peu en deçà
des Tourelles, la bastille des Augustins, l'une et l'autre couvertes
par leur boulevard. Ils avaient de plus, en aval du fleuve, le boulevard
de Saint-Privé, qui était relié à la
grande bastille de Saint-Laurent (rive droite) par un boulevard,
élevé dans l'île Charlemagne ; et, en amont,
la bastille de Saint-Jean le Blanc, qui était moins une forteresse
qu'un poste fortifié, ou, selon l'expression du Journal,
"un guet pour garder ce passage :" poste abandonné
une première fois à l'approche de Jeanne, et occupé
de nouveau après son entrée dans la ville.
Ce fut par ce côté que la Pucelle et les
capitaines allaient commencer leur attaque.
Il y avait la une petite île appelée depuis
île aux Toiles et alors île Saint-Aignan, séparée
de la rive par un étroit canal. Rien ne convenait mieux pour
disposer à loisir une attaque dirigée d'Orléans
contre les positions des Anglais sur la rive gauche ; et les Orléanais
en avaient usé plusieurs fois. Ils y passèrent cette
fois encore. Deux bateaux, amarés entre l'île et la
rive gauche, furent
comme un pont qui mena de l'une à l'autre. Mais quand ils
vinrent à Saint-Jean le Blanc, ils le trouvèrent encore
abandonné. Glasdale, menacé d'une attaque sérieuse,
avait jugé plus sûr d'en rappeler ses soldats dans
les bastilles qui défendaient le pont (18).
La Pucelle vint les y attaquer aussitôt, sans
même attendre que tout son monde eût passé de
l'île à la rive opposée, et elle planta son
étendard sur le rebord du boulevard des Augustins. Mais ses
compagnons ne soutinrent pas son audace. Une terreur panique les
saisit tout à coup. Le bruit se répand que les Anglais
viennent en grande force du côté de Saint-Privé.
On fuit, on cherche à regagner le pont de bateaux, afin de
se mettre en sûreté dans l'île de la Loire ;
et les Anglais, sortant de leurs bastilles, poursuivent à
grands cris les fuyards, insultant de leurs grossiers propos la
Pucelle qui cherchait à couvrir leur retraite. Elle se retourne
alors, et leur faisant tête, si peu de gens qu'elle eût
autour de soi, elle marche à eux, sa bannière déployée.
Les Anglais s'effrayent, et sans l'attendre, fuient à leur
tour jusque dans leur bastille des Augustins ; mais Jeanne les presse,
et plantant de nouveau sa bannière sur le fossé du
boulevard, elle rallie alentour les Français ramenés
par son exemple.
A la vue des Anglais sortant de leurs bastilles, on
pouvait croire que ceux de la rive droite, comme les Français,
avaient passé la Loire, et venaient, par Saint-Privé,
au secours des places attaquées ; et, dans ce cas, la prudence
commandait peut-être de rentrer dans la ville. Mais la Pucelle,
en changeant l'aspect des choses, avait changé les résolutions
des capitaines. Ils arrivaient, et ne songeaient plus qu'à
forcer avec elle l'ennemi dans son refuge. Deux chevaliers qui,
dans ces alternatives de retraite et d'attaque, s'étaient
défiés à qui ferait le mieux son devoir, étaient
déjà au pied des palissades mais un Anglais, grand,
puissant et fort, occupant à lui seul tout le passage, les
tenait en échec. D'Aulon le signala au fameux canonnier Jean
le Lorrain, qui l'abattit d'un coup de sa couleuvrine ; et les deux
chevaliers, entrant dans la place, y furent suivis d'une foule d'assaillants.
Tous les Anglais périrent ou cherchèrent un abri derrière
le boulevard des Tourelles. La forteresse contenait des vivres et
du butin en abondance ; pour ôter aux vainqueurs la tentation
du pillage et leur en éviter les périls, la Pucelle
fit mettre le feu à la bastille, et tout fut brûlé
(19). Restaient les Tourelles : on les
investit immédiatement, mais on remit l'attaque au lendemain,
et la Pucelle rentra le même soir avec les principaux chefs
dans la ville (20).
Ce ne fut pas sans appréhension pourtant et sans
regret qu'elle laissait une partie de ses gens devant l'ennemi sans
y être avec eux ; et si elle les quittait, elle ne le faisait
point parce qu'elle s'était blessée aux chausses-trapes,
ni parce qu'elle ne manquait jamais d'aller passer la nuit parmi
les femmes, quand cela n'était pas impossible. Une cause
plus décisive la rappelait dans Orléans : c'est que
le succès du jour avait besoin d'être affermi, et celui
du lendemain préparé ; or, il y fallait sa présence (21).
Les capitaines, tout en acceptant son concours, ne voulaient
pas avoir l'air de suivre sa direction ; et plus on allait, plus
ils semblaient craindre de lui laisser l'honneur de la victoire.
Mais chaque fois leur opposition avait tourné contre eux-mêmes.
La Pucelle avait toujours voulu porter le coup au cœur de la
puissance anglaise. C'est contrairement à son avis qu'ils
l'avaient amenée à Orléans par la Sologne;
et elle leur avait bien prouvé que son avis était
le meilleur, lorsque, trois jours après, elle y fit entrer
un autre convoi, trois fois moins escorté, par cette route
de la Beauce, à travers ces mêmes bastilles anglaises
qu'ils avaient craint d'affronter d'abord. C'est contrairement
à son avis, et, autant qu'il avait été en eux,
à son insu, qu'ils avaient résolu d'attaquer les bastilles
de la rive gauche; et c'était elle qui avait fait réussir
leur attaque au moment même qu'ils se décidaient à
l'abandonner. Après cet éclatant succès qui
promettait le dégagement du pont pour le lendemain, ils voulurent
s'arrêter encore. Le soir, quand Jeanne eut pris un peu de
nourriture (contre son habitude, dit Pasquerel, elle n'avait point
jeûné ce vendredi-là, parce qu'elle était
trop fatiguée), un des notables chevaliers lui vint dire
que les capitaines avaient tenu conseil. Il leur avait semblé,
ajoutait-il, qu'ils étaient bien peu, vu le nombre des Anglais,
et que Dieu leur avait déjà fait une grande grâce
en leur accordant ce qu'ils avaient obtenu ; que la ville étant
pleine de vivres, il leur serait facile de la bien garder en attendant
le secours du roi ; et que par suite il ne paraissait pas opportun
au conseil de faire sortir le lendemain les gens de guerre. Jeanne
lui répondit : "Vous avez été en votre
conseil, et j'ai été au mien, et croyez que le conseil
de Dieu s'accomplira et tiendra ferme, et que cet autre conseil
périra ;" et se tournant vers son confesseur, qui
le raconte : "Levez-vous demain de grand matin, dit-elle, et
vous ferez plus qu'aujourd'hui. Tenez-vous toujours auprès
de moi; car demain j'aurai beaucoup à faire, et plus que
je n'ai jamais eu : demain le sang coulera de mon corps au-dessus
du sein (22)."
Ce qui peut expliquer jusqu'à un certain point,
sinon excuser entièrement, l'étrange résolution
des capitaines, c'est que les Anglais, après la prise des
Augustins et l'investissement des Tourelles, avaient rappelé
sur la rive droite, dans leur bastille de Saint-Laurent, les hommes,
qui occupaient, sur l'autre rive, le boulevard de Saint-Privé.
Ils renonçaient donc à aller directement au secours
des Tourelles : mais ne se réservaient-ils point de tenter
une forte attaque contre la ville elle-même ? et dans ce cas
n'était-il pas prudent de les observer et d'attendre ? La
Pucelle ne le crut point, non plus que les habitants de la ville.
Jeanne pensait à ces braves gens qu'elle avait laissés
devant les Tourelles exposés sans elle aux sorties des Anglais
; quant aux habitants d'Orléans, ils passèrent cette
nuit à leur envoyer des vivres et des munitions, et à
préparer tous les engins qui pouvaient servir à désarmer
le boulevard ennemi de ses défenses et à en rendre
l'accès plus praticable aux assaillants (23).
Le lendemain, de grand matin, Pasquerel dit la messe,
et Jeanne partit pour l'assaut. Au moment du départ, son
hôte la voulait retenir pour manger d'une alose qu'on venait
de lui apporter. "Gardez-la jusqu'au soir, dit-elle dans
une saillie de bonne humeur, et je vous amènerai un godon
(on reconnaît le sobriquet populaire) qui en mangera sa part
;" et elle promettait de repasser par-dessus le pont. Mais
les capitaines persistaient dans leur opposition à
l'entreprise, et ils avaient donné ordre au gouverneur d'Orléans,
Gaucourt, de garder les portes pour empêcher qu'on ne sortît.
Jeanne le trouvant devant elle comme elle voulait passer : "Vous
êtes un méchant homme, dit-elle ; et qu'il vous plaise
ou non, les gens d'armes viendront et gagneront comme ils ont gagné."
Gaucourt , aurait vainement essayé de résister à
ceux qui suivaient Jeanne, et il ne s'était déjà
que trop mis en péril. Jeanne fit ouvrir la porte de Bourgogne
et une petite porte, près de la grosse tour, qui donnait
directement sur la Loire, et, passant le fleuve, elle alla rejoindre
avec ces nouveaux combattants ceux qu'elle avait laissés
devant le fort ennemi (24).
Les capitaines, même ceux qui l'avaient voulu
arrêter, la suivirent : jaloux de vaincre sans elle, ils ne
se souciaient guère qu'elle triomphât sans eux. Avec
Dunois et La Hire, qui paraissent toujours plus prêts à
la seconder, on compta bientôt devant les Tourelles, Rais,
Graville, Poton de Xaintrailles, Thibaut d'Armagnac, seigneur de
Termes, Louis de Culan et Gaucourt lui-même. La lutte s'engagea
dès six ou sept heures du matin. Anglais et Français
rivalisaient d'ardeur. Ceux d'Orléans voyaient dans la victoire
le gage de leur délivrance ; ceux de la bastille combattaient
pour leur vie et pour leur liberté ; car ils n'avaient point
de refuge. Les Français descendaient dans les fossés
du boulevard, et sous le feu des canons ou les traits des arbalètes,
ils cherchaient à gravir l'escarpement "avec une telle
vaillance, qu'il sembloit à leur hardi maintien qu'ils cuidassent
être immortels ;" mais lorsqu'ils touchaient au sommet,
ils trouvaient l'ennemi armé de haches, de lances et de maillets de plomb ; ils ne cédaient qu'accablés
par le nombre dans des combats corps à corps. Ces assauts,
toujours repoussés, recommençaient toujours ; la Pucelle
était là, soutenant les courages et disant : «
Ne vous doubtez (ne craignez pas), la place est vôtre."
L'attaque se prolongeait sans résultat, lorsque, vers une
heure après midi, elle descendit dans le fossé et
dressa une échelle contre le parapet : au même instant,
elle fut atteinte entre l'épaule et la gorge d'un trait d'arbalète
qui la perça de part en part. Se sentant blessée,
elle eut peur et pleura. Que craignait-elle, et pourquoi pleurer
? N'était-elle plus sûre de la victoire, ou craignait-elle
de mourir ? Non, car elle avait prédit qu'elle serait blessée
et qu'elle en guérirait. Ce fait, tout merveilleux qu'il
est, se trouve établi par les témoignages les plus
irrécusables. Ce n'est pas seulement Jeanne dans le procès
de Rouen, ce ne sont pas seulement les témoins du procès
de réhabilitation qui le constatent : c'est une lettre qui
a date authentique, lettre écrite de Lyon à Bruxelles,
après qu'elle eut prédit sa blessure et avant qu'elle
l'eût reçue. Cet accident confirmait donc sa parole;
mais la femme demeurait dans l'héroïne et dans la sainte
: elle eut peur et pleura. Cependant elle fut consolée, comme
elle disait. Elle arracha le fer de la plaie, et comme plusieurs
hommes de guerre lui proposaient de charmer la blessure, elle s'y
refusa, disant : "J'aimerais mieux mourir que de rien faire
que je susse être péché ou contre la volonté
de Dieu; " mais elle ne refusait pas qu'on entreprît
de la guérir, si l'on y pouvait appliquer quelque remède
permis. On lui mit une compresse d'huile d'olive; après quoi
elle se confessa, versant des larmes (25).
Cette longue résistance des Anglais et l'accident
de Jeanne avaient découragé les assaillants. Les chefs
la vinrent trouver, et tout en lui exprimant leur peine de la voir
blessée, ils lui dirent qu'il valait mieux laisser l'assaut
jusqu'au lendemain. Elle ne répondit à ces ouvertures
que par les plus nobles paroles, les exhortant à ne pas faiblir
; mais fort peu touchés de ce langage, ils ordonnèrent
de suspendre l'assaut, et se retirèrent à distance,
songeant à ramener dans Orléans et leurs troupes et
leur artillerie : car elles n'eussent plus été fort
en sûreté, même pour une nuit, de ce côté
de la Loire, après un échec avoué. Jeanne,
malgré ses souffrances, vint alors elle-même trouver
Dunois, et le supplia d'attendre un peu encore : "En nom
Dieu, disait-elle, vous entrerez bien brief (bientôt) dedans,
n'ayez doute, et les Anglois n'auront plus de force sur vous. C'est
pourquoi reposez-vous un peu, buvez et mangez." Ils le
firent, car sa parole avait un accent qui les subjuguait ; et alors:
"Maintenant, dit-elle, retournez de par Dieu à l'assaut
de rechef : car sans nulle faute, les Anglois n'auront plus la force
de se défendre, et seront prises leurs Tournelles et leurs
boulevards."
L''attaque recommença, ou plutôt reprit
avec une ardeur nouvelle, car elle n'avait jamais été
entièrement suspendue. Jeanne demanda son cheval, et laissant
son étendard à d'Aulon, son écuyer, s'en vint
à l'écart dans une vigne voisine, pour faire à
Dieu son oraison : mais elle reparut bientôt, et prenant elle-même
son drapeau, elle dit à un gentilhomme qui était auprès
d'elle : "Donnez-vous garde (regardez) quand la queue de mon
étendard touchera contre le boulevard." Un peu après
il lui dit : "Jeanne, la queue y touche !" Elle s'écria:
"Tout est vôtre et y entrez (26)."
A sa voix, ils reviennent à l'assaut. «Et
oncques, dit un contemporain, on ne vit grouée d'oisillons
eux parquer sur un buisson comme chacun monta contre ledit
boulevard. » En même temps ceux d'Orléans venaient,
du boulevard de la Belle-Croix, attaquer, par le pont, les Tourelles.
De ce côté, les Anglais étaient séparés
des assaillants par plusieurs arches qu'ils avaient rompues ; mais
les Orléanais, apportant avec eux des échelles, de
vieilles gouttières de bois, se mirent en devoir de les jeter
d'un pilier à l'autre ; et comme la plus longue de ces gouttières
était encore trop courte de trois pieds, ils la rajustèrent,
l'étayèrent comme ils purent. C'est sur ce pont de
nouvelle sorte qu'un chevalier de Rhodes, le commandeur Nicole de
Giresme, s'aventura le premier tout armé. Les Anglais étaient
donc assaillis des deux côtés à la fois ; mais
ce qui les terrifiait, c'était de voir, présidant
à l'assaut sur la rive gauche, cette femme qu'ils se flattaient
d'avoir tuée. L'étonnement paralysa leurs forces :
comme Jeanne l'avait annoncé, ils ne firent presque plus
de résistance. Ils cherchaient à fuir du boulevard
dans les Tourelles, par le pont jeté entre les deux places
; mais, là aussi, ils se trouvaient prévenus par l'intrépide
activité de ceux d'Orléans. Pendant que l'attaque
se poussait sur les deux côtés, contre la bastille
et contre le boulevard, un bateau chargé de matières
combustibles fut amarré sous le pont qui joignait l'un à
l'autre ; et quand les Anglais, forcés dans le boulevard,
voulurent se retrancher dans les Tourelles, le pont, attaqué
par les flammes, céda, et presque tous furent précipités
dans les flots. La Pucelle eût voulu les sauver : "Glacidas
! Glacidas ! criait-elle à leur chef, rends-ti, rends-ti
(rends-toi) au Roi du ciel. Tu m'as appelée p.... ; j'ai
grand'pitié de vos âmes !" Mais Glasdale fut
entraîné avec les autres, et la Pucelle ne put voir
sans verser des larmes cette fin misérable de tant de braves
gens. Il ne resta sur la rive gauche aucun Anglais qui ne fût
tué ou pris (27).
Il était soir quand les Tourelles furent occupées.
La Pucelle y demeura une partie de la nuit, afin de voir si les
Anglais de Saint-Laurent ne tenteraient rien pour venger leurs compagnons
et regagner la position perdue ; "mais ils n'en avoient nul
vouloir. » La Pucelle rentra donc dans Orléans. En
moins de trois heures, les Orléanais avaient su rendre le
pont praticable, si bien que Jeanne put, comme elle l'avait dit,
le repasser pour rentrer dans la ville. "Et Dieu sait, dit
Perceval de Cagny, à quelle joie elle et ses gens y furent
reçus." On la débarrassa de ses armes, on mit
un nouvel appareil sur sa blessure. Elle prit un peu de pain trempé
dans du vin mélangé d'eau, et alla se reposer (28).
Tandis que les cloches d'Orléans saluaient cette
nouvelle victoire, les Anglais, qui, pendant ces deux jours, n'avaient
rien fait pour la prévenir, ne songeaient plus qu'à
la rendre définitive en se retirant. C'était bien
se déclarer vaincus par celle qu'ils avaient accueillie de
tant d'outrages. La terreur seule qu'elle avait inspirée
peut expliquer cette impuissance et cette résolution parmi
des hommes qui, depuis si longtemps, avaient pris l'habitude de
vaincre les Français. Le dimanche donc, de grand matin, ils
sortirent de leurs bastilles ; mais en capitaine consommé,
Talbot comprit que, s'il laissait voir de la peur, sa retraite deviendrait
une déroute. Bien loin de fuir, il rangea son armée
devant la ville, comme pour offrir la bataille aux Français.
Les Français sortirent aussitôt et se disposèrent
en ordonnance de combat, sous les bannières de leurs capitaines.
La Pucelle était sortie avec les autres, revêtue d'une
simple cotte de mailles. Mais cette fois les Français, impatients
de combattre, attendirent vainement qu'elle leur en donnât
le signal. C'était dimanche. Elle défendit de commencer
la bataille, disant que c'était la volonté de Dieu
qu'on les laissât s'ils s'en voulaient aller ; mais que, s'ils
attaquaient, on aurait la victoire. En attendant, elle voulut d'abord
qu'on dît la messe ; elle fit dresser un autel, et deux messes
furent célébrées en présence de l'armée.
La cérémonie achevée : « Or, regardez,
dit-elle, si les Anglois ont le visage tourné devers vous
ou le dos. » On lui répondit qu'ils se tournaient vers
Meun : « En nom Dieu, reprit-elle, ils s'en vont, laissez-les
aller ; il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte
aujourd'hui: vous les aurez une autre fois." (29)
Les Anglais, après être restés en
ligne une heure entière, s'étaient retirés
en bon ordre, brûlant leurs bastilles et emmenant leurs prisonniers
: mais ils ne se retiraient point si librement qu'ils ne dussent
laisser derrière eux une partie de leur artillerie et de
leurs approvisionnements, et même, selon la Chronique, leurs
malades ; et les hommes d'armes n'obéirent point si complètement
à la Pucelle, qu'ils ne s'en allassent avec La Hire faire
quelques escarmouches et gagner du butin sur les derrières
de l'ennemi (30).
Parmi les prisonniers que les Anglais voulaient emmener
avec eux était un Français, nommé Le Bourg
du Bar, pris comme il voulait aller d'Orléans rejoindre Dunois
près du comte de Clermont, la veille de la bataille de Rouvray.
Talbot tenait beaucoup à son captif. Il le gardait «
enferré par les pieds d'une paire de fers si pesants »
qu'il pouvait marcher à peine ; et il avait commis la charge
de le voir et de lui donner de la nourriture à un augustin
anglais, son propre confesseur. C'est aussi à lui qu'il avait
laissé le soin de l'emmener dans la retraite. Le chevalier
s'en allait ainsi au bras du moine, marchant le pas et demeurant
fort en arrière des autres, en raison des fers qu'il avait
aux pieds. Quant il les vit à une distance suffisante, il
s'arrêta et dit au moine qu'il n'irait pas plus avant. Il
fît plus : il le contraignit, enferré comme il était,
de le ramener à Orléans sur ses épaules, et
il fit ainsi son entrée dans la ville, se libérant
de sa rançon par la complicité forcée du moine
son conducteur (31).
Pendant que les Anglais se retiraient vers Meun et Baugency,
les habitants d'Orléans couraient aux bastilles qui depuis
si longtemps les tenaient emprisonnés : ils les démolirent
et en rapportèrent en triomphe les canons, bombardes et approvisionnements
de toute sorte que l'assiègeant y avait dû laisser.
Puis, guidés encore par Jeanne d'Arc, ils allèrent
d'église en église rendre grâces à Celui
qui leur avait donné la victoire, improvisant dans la joie
du triomphe cette procession dont l'évêque d'Orléans
institua peu après la solennité, et qui s'est perpétuée
d'âge en âge sous l'invocation de la Pucelle : témoignage
durable de la vénération de la France pour la sainte
fille qui, en un jour de péril, sauva la patrie (32).
Mais la Pucelle n'était encore qu'aux débuts
de sa mission. Elle avait hâte de la mener à son terme.
Le lendemain donc elle se déroba à l'enthousiasme
des Orléanais et aux fêtes de la victoire pour se rendre
à la cour de Charles VII, où elle allait avoir d'autres
ennemis à vaincre, d'autres obstacles à surmonter (33).
Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Ilustrations :
- La Belle-Croix sur le pont d'Orléans.
- Vue générale
d'Orléans (Musée d'Orléans).
- Cathédrale Ste Croix à Orléans vers 1910
("La grande histoire illustrée de Jeanne d'Arc"
- H.Debout - 4° éd.1922).
- Portrait de Dunois (XV° siècle)
- Chapelle St-Loup ("Au pays de Jeanne d'Arc" - J. de
Metz - 1910)
- Armes blanhes du siège d'Orléans ("La grande
histoire illustrée de Jeanne d'Arc" - H.Debout - 4°
éd.1922).
- Statue de Jeanne d'Arc à Orléans par Le Veel ("La
grande histoire illustrée de Jeanne d'Arc" - H.Debout
- 4° éd.1922).
- Eglise Ste Euverte vers 1910 ("La grande histoire illustrée
de Jeanne d'Arc" - H.Debout - 4° éd.1922).
- Grosse bombarde (Musée des Invalides)
- Fondations des Tourelles du pont d'Orléans ("Au
pays de Jeanne d'Arc" - J. de Metz - 1910)
- Plan des Augustins et Tourelles par Fleury (1676)
- Les Tourelles à l'époque du siège (Vergnaud-Romagnési)
- Croix érigée à l'emplacement de la blessure
de Jeanne vers 1910 ("Au pays de Jeanne d'Arc" - J.
de Metz - 1910)
- Jeanne aux Tourelles (tableau de Leneupveu au Panthéon)
- Vue générale d'Orléans de M. Lisch ("Jeanne
d'Arc" - H.Wallon, éd.illustrée de 1892).
Notes :
1 Confiance des Orléanais, t.III, p.8 (Dunois) t.IV,
p.221 (Chronique), et Mystère du siège d'Orléans,
v.12332 :
Ung de nous en vant mieux
que cent
Soubs l'estendart de la Pucelle.
2 Journée du samedi 30 avril, Florent d'Illiers
: t.IV, p.150 et 154 (Journal)
- Empressement de Jeanne à combattre : t.III, p.7 (Dunois),
et p.68 (L. de Coutes). Plusieurs des historiens de Jeanne d'Arc
font intervenir dans le conseil de guerre un sire de Gamaches,
qui traite la Pucelle de haut, et qui paraitra encore comme l'homme
important dans plusieurs épisodes du siège.
M. Jules Quicherat a débarassé la scène de
ce personnage, en montrant que son histoire, écrite à
la plus grande gloire des Gamaches, datait du siècle dernier,
et devait avoir pour auteur l'éditeur (t.IV, p.358).
- Les hérauts de Jeanne, voir l'appendice
n° 19.
3 Sommations et réponses ; t.IV, p.155 (Journal)
; t.V, p.293 (Chron. de la fête du 8 mai) ; t.IV, p.463
(Bourgeois de Paris).
L'auteur du Mystère d'Orléans s'inspire heureusement,
pour la sommation de la Pucelle au boulevard de la Belle-Croix,
des messages que l'on a d'elle :
Saichez que je suis cy venue
De par Dieu, qui est tout puissant,
Vous dire que nulle tenue
Ne faciez plus ne tant ne quant.
Levez le siege incontinant
Sans plus y commectre de guerre,
Et vous en allez de present
En vostre pays d'Angleterre.
En France, vous n'avez nul droit
Ne vous compete nullement;
C'est au daulphin, qui a le droit,
A avoir le gouvernement.
Par droit et par vray jugement
Luy appartient la fleur de liz.
Si vous en allez vistement
Et delessez tout son pays.
Et se ainsi ne voulez faire,
Je suis celle pour vous combatre,
Et morez tous de mort amere.
Ne pensez point en riens rabattre,
Que je suis seulle contre quatre,
Et ung seul en combatra dix.
Ne vous lessez donc point batre,
Et entendez bien mes dis.
(Mystère
du siège d'Orléans, v.11887-11910)
4 Dunois à Blois : t.III, p.78 (Beaucroix);
p.211 (d'Aulon) ; t.IV, p.158 (Journal)
5 Empressement du peuple vers Jeanne : Journal,
ibid.
- Sa mission : t.III, p.124 (Colette, femme de P.Milet)
- Nouvelle sommation : Journal, ibid., et t.III,
p.68 (L. de Coutes)...: vocando Gallicos cum eadem Johanna existentes
m... mescréans.
6 Lundi 2 mai : Journal, l.l.
7 La procession : "Pour ceulx qui portèrent
les torches de la ville à la procession ou 3° de may
derrenier, présens Jehanne la Pucelle et autres chiefs
de guerre, pour implorer Nostre Seigneur pour la délivrance
de ladicte ville d'Orléans ; pour ce 2 s.p." t.IV
p.259 (extrait des comptes), et Mantellier, Le 426° anniversaire
du siège d'Orléans, p.63
- Les paroles de Jeanne : t.V, p.291 (Chron. de
la fête de 8 mai)
- Les garnisons de Montargis, etc...: t.IV, p.222
(Chron. de la Pucelle)
8 L'armée de Blois : t.IV, p.221 (Chron.)
et p.55, 56 (J.Chartier). Voyez
sur l'entrée du second convoi, l'appendice
n°20.
9 Jeanne et Dunois : t.III, p.212 (d'Aulon)
10 Réveil de Jeanne : t.III, p.212 (d'Aulon)
; p.68 (L.de Coutes) "Subito evigilavit se et dixit : En
nom Dé, nos gens ont bien à besogner" ; ibid.
p.127 (P.Milet). Cf. p.124 (Colette) ; p.79 (Beaucroix) ; t.IV,
p.223 (Chron.) "Elle alla aussi droit comme si elle avoit
su le chemin paravant".
11 Attaque de S.-Loup ; t.V, p.291 (Fête du
8 mai), t.IV, p.223 (Chron.) ; p.7 (Cagny) ; t.III, p.213 (d'Aulon)
; t.IV, p.42 (Berri); p.57 (J. Chartier) ; p.157 (Journal); p.
223 (Chron.) : "et depuis sa venue audit lieu ne fut Anglois
qui peust illec blesser François." — "Et
tenoit cette dilte bastille ung capitaine anglois nommé
Thomas Guerrard, lequel estoit à Monstereau dont il estoit
capitaine pour lesdits Anglois," t.IV, p.43 (Berri).
Tentatives de secours : t.IV, p.157 (Journai) ;
p.57 (Chartier). Charles VII en parle dans sa lettre aux habitants
de Narbonne, datée du 10 mai 1429 : "Nos gens... ont
assailli l'une des plus fortes bastides desdits ennemis, c'est
à savoir celle de Saint-Loup ; laquelle, Dieu aydant, ilz
ont prinse et gaignée par puissance et de bel assaut, qui
dura plus de quatre ou cinq heures. Et y ont été
mors et tués tous les Anglois qui dedens estoient, sans
ce qu'il y soit mort des nostres que deux seules personnes, et
combien que les Anglois des autres bastides fussent alors yssus
en bataille, faisant mine de vouloir combattre, toutes voiz, quand
ils virent nos dites gens à rencontre d'euls, ils s'en
retournèrent hastement, sans les oser attendre. »
T.V, p.101-102.
Les ecclésiastiques : t. III, p. 69 (L. de
Coutes); t. IV, p. 224 (Chvon.) —Compassion de Jeanne pour
tes morts; ibid., p. 105 (Pasquerel). Cagny (t. IV, p.
7), dit qu'à l'arrivée de Jeanne d'Arc, "Ceux
de la place se vouldrent rendre à elle. Elle ne voult recevoir
à rançon et dist qu'elle les prendroit maulgré
eux, et fist renforcier son assault. Et incontinent fut la place
prinse et presque tous mis à mort." Ce fait est trop
en désaccord, non pas seulement avec ce que dit Pasquerel,
mais avec tout ce que l'on sait de la manière d'agir de
Jeanne à cette époque, pour qu'on le puisse admettre.
Le héraut Berri compte 60 morts et 22 prisonniers ; le
Journal, 114 tués et 40 prisonniers; la Chronique, 160
tués. Le notaire Guillaume Giraut, dans une note inscrite sur son registre de minutes, le lendemain de la levée
du siège, compte 120 pris ou tués (ibid.,
p. 282, et M. Boucher de Molandon, extrait du t.Ier des Mémoires
de la Société archéologique de l'Orléanais.
Orléans, 1858).
12 Les Anglais renoncent à reprendre Saint-Loup
: t.IV, p.42 (Berri)
13 Suites de la prise de Saint-Loup : t.III, p.106
(Pasquerel). — "A son de cloches que Anglois pouvoient
bien ouyr ; lesquels furent fort abaissés de puissance
par ceste partye, et aussi de courage, » t.IV, p.224 (Chron.).
14 Le jour de l'Ascension. - C'est la Chronique
(t.IV, p.224), qui prête à Jeanne l'intention de
combattre le jour de l'Ascension. Pasquerel dit, au contraire,
que la veille au soir elle lui dit qu'où ne combattrait
point à cause de la sainteté du jour, et que ce
jour-là, elle voulait se confesser et communier (t.III,
p.107).
- Défense des blasphèmes, etc., t.III,
p.126 (P. Milet).
15 Nouvelle lettre de Jeanne : t.III, p.107 (Pasquerel).
Cf. p.126 (P. Milet).
- Insulte des Anglais : "Ex quibus verbis ipsa
Johanna incœpit suspirare et flere cum abundantia lacrymarum,
invocando Regem cœlorum in suo juvamine. Et postmodum fuit
consolata, ut dicebat, quia habuerat nova a Domino suo. "
T.III, p.108 (Pasquerel).
16 Guillaume Cousinot, auteur de la Geste
des Nobles. Voy. Vallet de Viriville, Chron.
de la Pucelle, p.20.
17 Conseil : J. Chartier, t.IV, p.57-59. Le Journal
du siège (ibid., p.158) ne parle que d'un conseil
tenu ce jour-là avec la Pucelle, où l'on résolut
ce qui s'exécuta le lendemain. En ce jour, 5 mai, on avait
préparé pour l'attaque du fort des Tourelles : "98
livres 1/2 d'huile d'olive ; 89 livres 1 \2 de poix noire ; 32
livres de soufre ; 10 livres de poudre à canon ; 15 livres
de résine et oing, pour jeter sur les taudis de fagots
et pour engraisser les drapiaux à mettre le feu aux Tourelles."
(Vergnaud-Romagnési, Siège d'Orléans en 1429,
p.10 du tirage à part.).
18 Passage de la Loire : t. III, p.213 (d'Aulon).
- Saint-Jean-le-Blanc évacué. Louis
de Coutes dit simplement qu'on le prit (t.III, p.69), comme aussi
le Journal du siège (t.IV, p.159) ; mais d'Aulon,
Beaucroix et la Chronique, disent expressément que la position
fut abandonnée (t.III, p.214 et 79, et t.IV, p.225), et
c'est ce qui est rapporté aussi dans la Lettre des agents
d'une ville ou d'un prince d'Allemagne, écrite en juin
1429 (t.V, p.348).
19 Attaque des Augustins : Voyez surtout d'Aulon
(t.III, p.214), la Chronique de la Pucelle (t.IV, p.226),
et celle de la Fête du 8 mai (t.V, p.292). On ne
peut pas croire que les capitaines aient cru la journée
finie par l'occupation de la forteresse abandonnée de Saint-Jean-le-Blanc.
C'est la crainte que les Anglais ne vinssent de l'autre rive par
Saint-Privé, qui put seule leur donner un instant la pensée
de la retraite. "L'attaque des alentours du fort des Tourelles
fut faite par 3000 hommes. On fit plus de 600 prisonniers et on
tua plus de 1000 Anglais ; enfin, on délivra plus de 200
prisonniers français. Pour les troupes qui restèrent
à observer, ès alentours du fort des Tourelles,
on leur donna VII douzaines de pains grands et petits ; V tonneaux
de vin (10 poinceaux) ; VIII pourceaux ; IV douzaines de tasses
de Beauvais. » (Vergnaud-Romagnési, (l.1, p.10).
- Sur la prise des Augustins, Cf. Cagny (t.IV, p.7),
J. Chartier (p. 56), le Journal du siège (p.159),
la déposition de Pasquerel (t.III, p.107), et la Chron.
des Pays-Bas (Coll. des chron. belges, t.III, p.411).
II paraît qu'il ne resta rien des Augustins : c'est l'opinion
de l'abbé Dubois, cité par Jollois (Siège
d'Orléans, p.82). Il se fonde sur ce qu'il n'a trouvé
dans les comptes de la ville rien qui décelât qu'on
en eût vendu la moindre chose. Il en fut autrement de la
bastille de Saint-Loup et du fort des Tourelles.
20 Voy. l'appendice n°21.
21 Retour de Jeanne à Orléans. Le
Journal du siège (t.IV, p.159) se borne à constater,
ce qui n'est pas douteux, qu'après la prise des Augustins
on resta la nuit devant les Tourelles. Cf. t.III, p.79 (Beaucroix)
: "Quod tamen facere nolebat, dicendo : Amittemus nos gentes
nostras ?"
22 Jeanne et le conseil des capitaines ; t. III,
p. 109 (Pasquerel.) — Ce témoignage; d'accord d'ailleurs
avec ce que dit L. de Coutes (t. III, p. 70,) et la Chronique
(t. IV, p. 227 : voy. ci-après;) nous paraît préférable
au témoignage de la Chronique de la Fête du 8 mai,
qui parle d'un conseil tenu le 8, à la suite duquel Jeanne,
requise de tenir sa promesse et d'accomplir sa charge, monta à
cheval et dit : « En nom Dé, je le feray, et qui
me aimera, si me suive. » (T. V, p. 293.) Les paroles sont
dignes d'elle; mais on peut croire qu'elle n'eut pas besoin d'y
être provoquée.
23 Évacuation du boulevard de St-Privé,
t. IV, p. 229 (Chr.), et t. V,
p. 293 (Fête du 8 mai) : plusieurs se noyèrent au
passage. Voy. aussi Jollois, Siège d'Orléans, p.
83.
- Sollicitude de la Pucelle et des Orléanais pour
ceux gui étaient restés devant les Tourelles,
t. IV, p. 227 (Chron.); p. 159 (Journal du siège) et Extraits
des comptes de la ville d'Orléans, cités par Jollois,
l. l.
24 L'alose et le godon : t. III, p. 124 (Colette);
t. IV, p. 227 (Chron.).
- La rentrée par le pont prédite :
ibid. et t. III, p. 217 (d'Aulon).
- Opposition de Gaucourt à la sortie : Simon
Charles, qui en parle d'après Gaucourt lui-même,
la rapporte au jour où fut prise la bastille des Augustins
(t. III, p. 117.) Mais on peut croire qu'il a confondu, et qu'il
devait dire la bastille des Tourelles, si on rapproche son témoignage
de celui de Louis de Coutes : "Die autem postmodum immédiate
sequente (après la prise des Augustins), ipsa Johanna,
contradicentibus pluribus dominis, quibus videbatur quod ipsa
volebat ponere gentes regis in magno periculo, fecit aperiri portam
Burgundiæ, et quamdam parvam portam existentem juxta grossam
turrim, et passavit aquam cum aliis gentibus armatis ad invadendum
bastildam seu fortalitium pontis" (t. III, p. 70.) La Chronique
de la Pucelle dit aussi que "contre l'opinion et volonté
de tous les chefs et capitaines qui estoient là de par
le roi, la Pucelle se partit à tout son effort et passa
la Loire" (t. IV, p. 227.)
25 Attaque des Tourelles : Voy. Cagny, Berri, J.
Chartier, le Journal, la Chronique de la Pucelle, la Chronique
de la Fête du 8 mai et les témoins de l'événement,
Dunois, L. de Coutes. d'Aulon, Pasquerel, etc., aux endroit cités.
- Blessure de Jeanne : « Fuit læsa de
una sagitta seu viritone in collo, » t. I, p. 70 (Jeanne)
« es una sagitta quæ penetravit carnem suam inter
collum et spa-tulas de quantitate dimidii pedis, » t. III,
p. 8 (Dunois.) « Supra mammam taliter quod traclus apparebat
ex utroque latere, » t. III, p. 109 et 111 (Pasquerel);
cf. ibid., p. 70 (L. de Coutes), t. IV, p. 61 (J. Chartier); p.
160 (Journal du siège) : "entre l'espaule et la gorge,
si avant qu'il passoit oultre ;" p. 228 (Chron.) : "par
l'espaule tout oultre;" — "ein wenig unter der
rechten Brust," p. 494 (Lettre des envoyés allemands)
; — "fut bléchée par trait lui entrant
environ un polc (pouce) en la poitrine deseure la dextre mamelle
(Chron. des Pays-Bas.) L'auteur lui fait dire à cette occasion
: "Maintenant ne ont les Englez comme rien de puissance.
Car ceste blessure est le signe de leur confusion et misère
révélé à moi de par Dieu et de moi
non déclaré jusques à présent."
(Coll. des Chron. belges, t. III, p. 411.)
- La blessure de Jeanne prédite par elle-même.
« Sicut prædixe-rat, » t. III, p. 109 (Pasquerel)
; cf. p. 127 (Aignan Viole) ; t. IV, p. 231 (Chron.), p. 494 (les
envoyés allemands), et la lettre écrite de Lyon
à Bruxelles le 22 avril 1429, quinze jours avant l'événe-ment,
et relatée dans un registre de la chambre des comptes de
Bruxelles, parle greffier de la cour : "Scripsit ulterius
ex ejusdem militis relatione quod qusedam Puella, oriunda ex Lotharingia,
ætatis xviii annorum vel circiter, est penes praedictum
regem; quæ sibi dixit quod Aurelianenses salvabit, et Anglicos
ab obsidione effugabit, et quod ipsa ante Aureliam in contlictu
telo vulnerabitur, sed inde non morietur. » (T. IV, p. 426.)
Voy. Lebrun des Charmettes, Hist, de Jeanne d'Arc, t. I, p. 223.
- "Et dum sensit se vulneratam, timuit et flevit, et fuit
consolata, utdicebat; et aliqui armati, videntes eam taliter læsam,
voluerunt eam charmare, gallice, charmer; sed ipsa noluit, dicendo,
etc." T. III, p. 109 et 111 (Pasquerel).
26 L'assaut suspendu et repris : t. IV, p. 160 (Journal);
cf. p. 228 (Chron.), p. 9 (Cagny). - "Propter quod dictus
dominus deponens satagebat et volebat quod exercitus retraheretur
ad civi-tatem. Et tunc dicta Puella venit ad eum et requisivit
quod adhuc paulisper exspectaret; ipsaque ex illa hora ascendit
equum, et sola recessit in unam vineam, satis longe a turba hominum
; in qua vinea fuit in oratione quasi per spatium dimidii quarti
horæ; ipsa autem regressa ab ilto loco, statim cepit suum
vexillum in manibus suis, posuitque se supra bordum fossati,"
etc. t. III, p. 8 (Dunois) Cf. t. III, p. 70 (L. de Coutes) :
"Quod quando perci-perent quod ventus perduceret vexilla
versus fortalitium, quod haberent illud." - Beaucroix rapporte
le succès à l'étendard plus qu'à Jeanne
: "Dictum fuit quod afferretur vexillum Johannæ et
allatum astitit, et inceperunt invadere dictum forta-litium etc."
(t. III, p. 80.) D'Aulon raconte une assez longue histoire où
il semble s'attribuer un peu trop complaisamment l'honneur du
dernier assaut. Voyant la retraite décidée, comme
il tenait l'étendard, en l'absence de la Pucelle, il a
l'idée de se porter au pied du boulevard pour y ramener
les soldats : il le remet à un Basque qui le doit suivre
et saute dans le fossé. Mais la Pucelle arrive, et, voyant
son étendard aux mains d'un inconnu, elle le saisit pour
le reprendre. Le Basque résiste, tire à lui l'étendard
et va rejoindre d'Aulon. Les gens d'armes qui, au mouvement de
la bannière ont cru voir un signal, se rallient et emportent
la place (t. III, p. 216).
27 L'assaut du boulevard : t. V, p. 294 (Chron.
de la Fête du 8 mai) ; cf. t. III, p. 80 (Beaucroix); p.
71 (L. de Coutes), t. IV, p. 230 (Chron.)
- L'attaque par le pont : t. IV, p. 161 (Journal);
p. 229 (Chron.). Les comptes de forteresses pour l'an 1429, art.
57, en gardent la trace : « Payé quarante sous pour
une grosse pièce de bois prinse chez Jean Bazin quand on
gagna les Tourelles, contre les Anglois, pour mettre au travers
d'une des arches du pont qui fut rompue. - Baillé à
Champeaux et aux autres charpentiers seize sous, pour aller boire
le jour que les Tourelles furent gaignées. » Voy.
Jollois, Hist. du siège, p. 84.
- Terreur des Anglais à la vue de Jeanne :
« Et instanti, ipsa ibi existente, Anglici fremuerunt et
effecti sunt pavidi, » t. III, p. 8 (Dunois) ; cf. p. 71
(L. de Coutes). La Chronique de la Fête du
8 mai dit que leurs boulets n'avaient pas plus de force qu'une
boule jetée par un homme : "Et à venir joindre,
lesdits Anglois avoient les meilleurs canons du royaulme; mais
ung homme eut aussi fort getté une bole, comme la pierre
povoit aller d'iceulx canons, qui estoit bel miracle. »
T. V, p. 294. On peut croire que l'épuisement des munitions
y était pour quelque chose.
- Rupture du pont entre le boulevard et les Tourelles : « Ceulx de la ville chargèrent ung grand chalen
plein de fagots, d'os de cheval, savattes, soufre et toutes les
plus puantes choses que on sceut finer, et fut mené entre
les Torelles et le boloart, et là, fut boté le feu
qui leur fist un grand grief." T. V, p. 294 (Chron. du 8
mai). Le registre des comptes d'Orléans, rappelle ce fait
en constatant que l'on paya huit sous à Jehan Poitevin,
pêcheur, "pour avoir mis à terre sèche
ung challan, qui fut mis sous le pont des Tourelles pour les ardre
quand elles furent prinses (art. 19) : "opération
nécessaire pour le radouber, dit Jollois; "neuf sous
à Boudou pour deux esses, pesant quatre livres et demie,
mises au challan qui fut ars sous le pont des Tourelles"
(art. 9,) etc. Voy. Jollois, siège d'Orléans, p.
84. Beaucroix attribuait la rupture du pont à une bombarde
dirigée par d'Aulon, t. III, p. 80.
- Pitié de Jeanne pour Glasdale: t. III,
p. 110 (Pasquerel). Berri (t. IV, p. 44) compte quatre ou cinq
cents Anglais tués, noyés ou pris ; Jean Chartier
(ibid., p. 62,) quatre cents morts ; la Chronique (ibid..,
p. 230,) trois cents morts et deux cents prisonniers ; le Journal
du siège (ibid., p. 162,) quatre ou cinq cents tués
ou noyés, "exceptez aucuns peu qu'on retint prisonniers
;" et il déplore "e grant dommage des vaillants
Françoys, qui pour leur rançon eussent peu avoir
grant finance." Le notaire Guillaume Giraut, sur son registre
des minutes, porte aussi le nombre des Anglais pris ou morts à
quatre cents (ibid., p. 283) ; et M. Boucher de Molandon,
Extrait du t. I des Mémoires de la Société
archéologique de l'Orléanais, p. 5).
28 Les ponts rétablis : t. IV, p. 9 (Cagny).
— Rentrée de Jeanne: t. IV, p. 163 (Journal) ; p.
231 (Chron.); t. III, p. 9 (Dunois).
29 Retraite des Anglais : t. IV, p. 10 (Cagny) ;
p. 44 (Berri) ; p. 63 (J. Chartier), etc. - Jeanne défend
d'attaquer : t. III, p. 9 (Dunois); p. 25 (Luillier) ; p. 126
(A. Viole) ; t. IV, p. 164 (Journal), t. V, p. 295 (Chron. de
la Fête du 8 mai).
- Les deux messes, etc., ibid., p. 232 (Chron.);
t. III, p. 29 (Champeaux).
30 L'extrait des comptes de Hémon Raguier, trésorier
des guerres de Charles VII, que l'on trouve dans le Ms. de Gaignières,
déjà cité (n° 772, f° 550-556) donne
les noms d'un grand nombre de seigneurs et de capitaines qui ont
pris part à la défense d'Orléans. Il y a
là six ou sept pages d'une bien humble origine mais qui
figureraient avec honneur au livre d'or de la noblesse française.
— Sur les Forces engagées de part et d'autre dans
l'attaque et dans la défense et sur les Frais du siège
d'Orléans, pour les deux nations, voy. l'appendice
n° 22 et 23.
31 Le Bourg du Bar : t. IV, p. 63 (J. Chartier) ; p. 165 (Journal).
Voici comme Martial d'Auvergne rime l'anecdote) t. V, p. 56 :
Comme Talbot si s'en alloit,
Un augustin son confesseur
Ung François prisonnier vouloit
Amener après son seigneur
;
Mais ledit François enferré,
Par l'augustin, devant les gens,
Se fist porter, bon gré,
mau gré,
Sur son col dedans Orléans.
32 Prise d'une partie des munitions : t. IV, p.
44 (Berri) ; p. 63 (J. Chartier); p. 164 (Journal); p. 231 (Chron.
des Pays-Bas, Coll. des Chron. belges, t. III, p. 412), et la
fin de la lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne, 10
mai 1429 : « S'en sauvèrent et deslogèrent
si hastement qu'ils laissèrent leurs bombardes, canons,
artillerie et la plupart de leurs vivres et bagages. » (Procès,
t. V, p. 103.) Voy. encore l'appendice n° XXIV.
33 Départ de Jeanne : t. IV, p. 166 (Journal);
t. III, p. 110 (Pas-querel). - Florent d'Illiers était
reparti la veille avec sa troupe pour Châteaudun, t. IV,
p. 165 (Journal). On y établit, en l'honneur de la Pucelle,
une fête annuelle où figuraient les jeunes filles.
(Go-defroy, Vie de Ch. VII, p. 852.) La nouvelle de la levée
du siège arriva à Paris le 10 mai, Fauquemberque,
greffier du Parlement, en tient note à cette date dans
son registre, ajoutant en latin : « Quis eventus fuerit
novit Deus bellorum » (Procès, t. IV, p. 451.) En
marge il a tracé une demi-figure de femme vue de profil,
tenant une épée et une bannière (f° 12.)
On n'y peut pas plus voir le portrait de la Pucelle, que dans
la tête informe, à demi-griffonnée à
la marge du f° 27, où il rapporte, sous la date du
25 mai 1430, la nouvelle qu'elle est prise. Le greffier du Parlement
de Paris n'avait pas vu Jeanne, et quand il l'aurait vue, on peut
être sûr, à la manière dont sont faits
ces croquis, qu'il n'aurait guère été plus
capable de nous reproduire ses traits. (Voy. Registres du Parlement,
t. XV, aux Archives nationales.)
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