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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 39 : Les trêves avec le Duc de Bourgogne |
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Charles VII, qui avait vu venir des députés du duc de
Bourgogne à Reims, et en avait, selon toute apparence,
reçu déjà des promesses, lui envoya comme ambassadeurs à Arras son chancelier l'archevêque de Reims, les sires
d'Harcourt, de Dampierre, de Gaucourt et deux autres.
Le duc de Savoie, qui depuis si longtemps était le médiateur
des trêves partielles conclues entre les pays de Bourgogne
proprement dits et quelques provinces françaises du
voisinage (Bourbonnais, etc.), leur prêtait encore son concours
pour une complète réconciliation. Les articles, rédigés
par ses envoyés et agréés du roi (1) furent présentés
au duc. Le roi se déclarait prêt à faire des réparations
pour le crime de Montereau, même plus qu'il ne convenait à la majesté royale, dit Monstrelet (II, 67). Il s'en
excusait sur sa jeunesse, et promettait la mise en jugement
des coupables; il consentait aux restitutions, aux
indemnités, aux abolitions réclamées; il dispensait le duc de lui faire hommage : et cette dispense semblait moins
stipulée à l'avantage du duc lui-même qu'au détriment du
roi personnellement, car si le roi mourait avant le duc,
le duc devait faire hommage à ses héritiers. Le duc soumit
ces propositions à son conseil, et elles y trouvèrent
faveur. Le plus grand nombre désirait la paix avec la
France. « Et mesmement, dit Monstrelet, ceux de moyen
et de bas estat y estoient si affectés, que dès lors ils s'empressoient
autour du chancelier pour obtenir de lui des grâces, des lettres de rémission, comme si le roi fût pleinement
en sa seigneurie. » (Ibid.)
La réponse de Philippe le Bon à peine arrivée, le duc
de Savoie dépêcha vers Charles VII, et bientôt les envoyés
du duc de Bourgogne rejoignirent eux-mêmes à Compiègne,
le 27 août, ceux du roi qui revenaient d'Arras. On convint d'une trêve de quatre mois (jusqu'à Noël), trêve à
laquelle les Anglais étaient libres d'accéder. Il fut dit que
dans cet intervalle on ouvrirait des conférences pour la
paix générale ; la ville d'Auxerre en devait être le siége :
le duc de Savoie serait invité à y venir et durant les conférences
tiendrait la ville entre ses mains. On en fixait
l'époque au 1er avril 1430. Tous ces points furent, dit-on,
arrêtés et signés en conseil ce même jour par le roi, puis
envoyés au duc de Bourgogne, acceptés de lui à Arras par
lettres patentes du 12 octobre, et du roi par lettres du 4 novembre à Issoudun. (Dom Plancher, Hist. de Bourgogne,
t. IV, p. 131-133, et Preuves, n° LXX, p. LXXVIIILXXX.)
La trêve elle-même fut, sans plus attendre, publiée
par Charles VII par lettres du 28 août Ces lettres viennent d'être éditées par M. J. Quicherat d'après un vidimus du
14 octobre, conservé aux archives de Douai. La trêve à laquelle
les Anglais ont la faculté d'accéder s'étend, sauf
quelques exceptions, aux pays situés au N. de la Seine : « C'est assavoir en tout ce qui est par deça la rivière de
Saine, depuis Nogent-sur-Saine jusques à Harefleur, sauf
et réservées les villes, places et forteresses faisans passage
sur la dicte rivière de Saine ; réservé aussi à nostre dit
cousin de Bourgoingne que, se bon luy semble, il porra,
durant ladicte abstinence, employer luy et ses gens à le
deffence de la ville de Paris et résister à ceulx qui vouldroient
faire guerre ou porter dommage à icelle; à commencier
la dicte abstinence, c'est assavoir depuis le jour
d'uy, XXVIIIe jour de ce présent mois d'aoust au regart de
nostre dit cousin de Bourgoingne, et au regard des dits
Anglois du jour que d'iceulx aurons sur ce receu leurs
lectres et consentement; et à durer jusques au jour du Noël prochain venant. » (Nouveaux documents sur Charles
VII et Jeanne d'Arc, publiés par M. Jules Quicherat,
p. 4. Paris, 1866.)
Je crains que M. Quicherat n'ait un peu exagéré les conclusions
que 'on peut tirer de cette pièce. La trêve qui y
est proclamée était connue par d'autres documents. Nous
en avions déjà pris l'indication dans un de ceux que
M. Quicherat lui-même a publiés dans son précieux recueil :
Mémoire à consulter sur Guillaume de Flavy (Procès de
Jeanne d'Arc, t. V, p. 174). « .... Auquel, par traité fait
audit Compiègne, le 28 dudit mois d'aoust (1429) avoit esté accordé trêve jusques au jour de Noël, prorogée depuis de
trois mois, pendant laquelle, la dicte ville de Compiègne
seroit mise ès mains dudit duc ou de ceulx qui seroient
pour ce par lui commis (2). » En fait, la trêve ne s'est pas étendue aux Anglais ; et pour ce qui touche Paris, il ne faut
pas oublier les engagements précédents qu'elle confirme,
et dont Jeanne nous a indiqué elle-même la clause essentielle
dans sa lettre aux habitants de Tournai : c'est que
le duc promettait au roi de lui livrer Paris. On s'explique la liberté qu'il laissa au duc de le défendre contre tout
assaillant, s'il espérait le recevoir de ses mains. Charles
VII, sur ce point, pouvait bien être dupe; mais il ne
faut pas lui prêter l'odieuse pensée de conspirer avec ses
ennemis contre la Pucelle. Tout ce qu'on peut légitimement
conclure, c'est qu'au 28 août, en signant cette trêve, il
n'avait nulle envie d'aller attaquer Paris, et que s'il y
vint, c'est qu'il y fut entraîné, en quelque sorte malgré
lui, par la Pucelle, comme nous l'avons induit d'autres
passages.
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
Notes :
1 On peut voir ces articles avec leur acceptation par le roi, portant la date
du 16 août 1429, jour où ils furent présentés, dans les Preuves de l'Histoire
de Bourgogne, de dom Plancher, t. IV, n° LXX, p. LXXVIII-LXXX.
2 Elle avait été vue et avait été mentionnée par Du Tillet : « Lettre dudit
Roy Charles de l'abstinence de guerre jusques à Noël ensuyvante, faite avec
ledit duc de Bourgogne tant pour luy que les Angloys ès païs et limites déclarés, le 28 août 1429. » Parlement, Registre des ordonnances Barbines,
feuil. 13. (Du Tillet, Recueil des traités d'entre les roys de France et l'Angleterre, t. II, p. 363 (Éd. 1606).)
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