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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 50 : Lettres de Jeanne aux Hussites |
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« Entre les deux lettres que nous venons de donner se
place, par la date, une lettre de Jeanne aux hussites, publiée,
en allemand, par M. de Hormayr, en 1834, et reproduite
par M. J. Quicherat, Procès, t. V, p. 156. « Cette
lettre, disais-je dans ma première édition, par le style comme
par tout le reste, n'a aucun des caractères de celles que
l'on a de Jeanne. Ce n'est pas Jeanne qui aurait dit, par
exemple, aux hussites: « Si je n'apprends bientôt votre amendement, je laisserai peut-être les Anglais et me tournerai contre vous pour vous arracher l'hérésie ou la vie. » La réputation de Jeanne en Allemagne était grande : il est possible qu'on y ait fabriqué cette lettre en son nom.
L'allusion qu'y fait Jean Nider (Procès, t. IV, p. 503) peut
se rapporter à une pièce fausse, tout aussi bien qu'à une
pièce authentique. Jeanne songea à une grande entreprise
en dehors de la guerre des Anglais, mais cela même se
rattachait à sa mission : c'est la croisade où elle les invitait
dans sa première lettre, avant de les combattre, afin d'offrir
une autre carrière à leur ambition et de transformer
la rivalité des deux peuples en une rivalité de gloire au
profit de la Chrétienté tout entière. Les Anglais refusant,
elle n'eut plus qu'une pensée et un but, ce fut de les chasser
de France. »
Le texte latin de ce document, retrouvé aux archives de
Vienne dans les registres de la chancellerie de l'empereur
Sigismond, par M. Sickel, conservateur des archives,
I. et R. d'Autriche, doit me faire modifier sur un point
mon opinion. Cette lettre n'a pas été fabriquée en Allemagne; elle a été écrite en France, et, on le peut croire
au su de la Pucelle, puisqu'elle est signée du nom de Pasquerel,
son aumônier. Mais cela même achève de prouver
que la pièce, bien qu'elle porte en tête le nom de Jeanne,
n'est pas d'elle : toutes ses lettres, en effet, sont de la main
d'un secrétaire, puisqu'elle ne savait pas écrire, et il n'y
en a pas une qui soit signée autrement que de son nom.
On ne doit donc lui attribuer aucune part directe à la composition
de celle dont il s'agit; sur cela, comme sur les
points accessoires, M. Sickel est d'accord avec moi : « Comme M. Wallon l'a très-justement remarqué, dit-il, Jeanne d'Arc n'a jamais porté ses vues au delà de la France.
Aussi n'ai-je pas la pensée d'attribuer à la Pucelle, ni
même à ses confidents, la première idée de la lettre aux
hussites. Cette démarche a dû être provoquée, soit par un Bohémien qui voyageait alors en France, soit par une personne étrangère à la Bohême, qui aura pensé que le prestige
du nom de Jeanne serait assez puissant pour opérer la
conversion des hérétiques. On aura fait entrevoir à Jeanne
la possibilité de ramener dans le sein de l'Église une nation égarée par l'erreur. Ce motif n'était-il pas suffisant pour la
décider à charger son aumônier d'écrire en son nom
aux hussites ? Elle n'aura point d'ailleurs pris part à la
rédaction de la lettre, de sorte qu'il n'y faut pas chercher
les mêmes caractères que dans les lettres dictées par
l'héroïne elle-même. Tel est le genre d'authenticité que je
crois pouvoir attribuer à la lettre dont je viens de publier
le texte original. A mes yeux, ce document ne prouve pas
que Jeanne d'Arc se soit spontanément occupée des affaires
d'un peuple étranger. D'accord avec M. Wallon, je ne crois
pas qu'elle ait jamais songé à d'autres entreprises qu'à la
guerre contre les Anglais. Selon moi, la lettre aux hussites
ne peut être citée que pour montrer combien la Pucelle était respectée de son vivant dans les pays les plus éloignés. A ce titre, il importait de montrer, sous son véritable
jour, une pièce dont la source n'avait pas été indiquée,
et qu'on n'avait encore jugée que d'après une traduction
imparfaite. »
Voici le texte latin tel que M. Sickel l'a donné dans la
Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, septembre-octobre 1860,
3e série, t. II, p. 82 :
« Jesus, Maria.
Jam dudum michi Johanne puelle rumor ipse famaque
pertulit quod, ex veris christianis heretici et sarraceni[s]
similes facti, veram religionem atque cultum sustulistis,
assumpsistisque superstitionem fedam ac nefariam, quam
dum tueri et augere studetis, nulla est turpitudo neque crudelitas quam non audeatis : sacramenta ecclesie labefactatis,
articulos fidei laniatis, templa diruitis, simulacra,
que memorie causa sunt confecta, perfringitis ac succenditis,
Kristianos quod vestram (1) teneant fidem trucidatis.
Quis hic vester furor est, aut que vos insania et rabies
agitat ? Quam Deus omnipotens, quam Filius, quam Spiritus
Sanctus excitavit, instituit, extulit et mille modis, mille miraculis illustravit, eam vos fidem persequimini,
eam evertere, eam exterminare cogitatis. Vos vos cæci estis et non qui visu et oculis carent. Numquid creditis impunes
abituros, aut ignoratis ideo Deum non impedire vestros
nefarios conatus permittereque in tenebris vos et errore
versari, ut quanto magis in scelere eritis et sacrilegiis
debachati, tanto majorem vobis penam atque supplicia paret ? Ego vero, ut quod verum est fateor, nisi in bellis
Anglicis essem occupata, jam pridem visitatum vos venyssem
: verumtamen nisi emendatos vos intelligam, dimittam
forte Anglicos adversusque vos proficiscar, ut ferro, si alio
modo non possum, hanc vanam vestram et obscenam
superstitionem exterminem, vosque vel heresi privem vel
vita. Sed si ad katholicam fidem et pristinam lucem reddire
mavultis, vestros ad me ambasiatores mittatis, ipsis dicam
quid illud sit quod facere vos oporteat; sin autem minime,
et obstinate vultis contra stimulum calcitrare, mementote
que dampna sitis et facinora perpetrati, meque (2) expectetis
summis cum viribus humanis et divinis, parem omnibus
vicem relaturam.
Datum Suliaci XXIIIa Martii Bohemis hereti(ci)s.
PASQUEREL. »
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
Notes :
1 Je lirais volontiers « quoad vestram ».
2 Dans le manuscrit neque
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