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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice
6 : Investissement d'Orléans |
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Jusqu'à
quel point la ville d'Orléans avait-elle été
investie par les Anglais quand elle fut délivrée par
Jeanne d'Arc ? C'est une question qui a été soulevée
par M.Boucher de Molandon, membre de la Société archéologique
et historique de l'Orléanais, dans une brochure intitulée
: Etudes sur une bastille Anglaise du quinzième siècle
retrouvée en la commune de Fleury près d'Orléans
(1858). Les diverses chroniques qui ont parlé du siège
varient sur le nombre des bastilles élevées par les
Anglais autour d'Orléans. Le Journal du Siège
en mentionne onze ; la Chronique de la Pucelle en compte
treize et n'en désigne que huit ; la Chronique de l'établissement
de la fête du 8 mai, dit qu'il y en avait dix ou onze
et en nomme dix. Une note inscrite par le notaire Guillaume Giraut
(1) dans le registre de ses minutes
à la date du 9 mai 1429, le lendemain de la levée
du siège, en cite quatre, mais en attestant qu'il y en avait
un plus grand nombre.
Il y en a onze dont l'existence est hors de doute :
ce sont les onze qui sont énumérées dans le
Journal du Siège et dont les noms se retrouvent aussi dans
les autres documents, savoir : quatre principales, dont trois commandaient
la Loire, au-dessous, au-dessus ou en face d'Orléans :
- La bastille Saint-Laurent sur la rive droite à l'ouest
;
- La bastille Saint-Loup sur la même rive à
l'est ;
- La bastille des Tourelles à l'entrée du pont,
au sud ;
- et la bastille Saint-Pouair, dite Paris, au nord, sur la
route de Paris.
Ces quatre bastilles étaient munies de leurs boulevards,
ouvrages en terre qui leur faisaient une première ligne de
défense.
En outre sept autres bastilles ou simples boulevards
qui servaient à les relier :
- le boulevard de l'île Charlemagne, dans une île
de la Loire, en face de Saint-Laurent, et le boulevard du Champ-Privé,
sur la rive gauche, en face de l'île Charlemagne, qui achevaient
de garder la Loire vers l'ouest ;
- La bastille avec boulevard, des Augustins, en face des
Tourelles, au sud, qui formait un second ouvrage pour la défense
du pont ;
- Le boulevard de Saint-Jean-le-Blanc, poste d'observation
plutôt que de défense, qui gardait la rive gauche de
la Loire en amont ;
Et sur la rive droite entre les bastilles de Saint-Laurent
et de Saint-Pouair (Paris), le boulevard de la Croix-Boissée,
le boulevard des Douze-Pierres ou de la Grange-Cuivret ou
encore du Colombier, nommé Londres, et le boulevard du
Pressoir Ars, nommé Rouen.
Par cet ensemble de bastilles et de boulevards, la Loire
était entièrement fermée : Saint-Loup et Saint-Jean-le-Blanc
à l'Est ; les Tourelles et les Augustins au sud ; les boulevards
du Champ Saint-Privé, de l'île Charlemagne et la bastille
Saint-Laurent à l'ouest interceptaient sur tous points les
arrivages. Les principales routes de terre étaient aussi
fermées sur la rive droite : Saint-Laurent fermait la route
de Blois ; le boulevard de la Croix-Boissée, celle de Châteaudun
; la bastille de Saint-Pouair, celle de Paris, sans compter le boulevard
du Pressoir Ars, situé entre ces deux positions et qui pouvait
appuyer l'une ou l'autre. Enfin Saint-Loup, à l'est, fermait
la route de Bourgogne vers l'embranchement des routes de Pithiviers
et de Paris à Autun par Gien. Mais un espace de trois quarts
de lieue reste vide : c'est tout l'espace qui s'étend au
nord-est de la bastille Saint-Pouair à la bastille Saint-Loup,
en face du principal débouché de la forêt d'Orléans.
Une pareille lacune pouvait-elle exister, dans l'investissement
d'Orléans ? M. Boucher de Molandon ne le croit pas, et il
a découvert un peu à l'est de Fleury-aux-Choux, à
3 km 1/2 d'Orléans, les traces d'un ancien ouvrage en terre
qui lui semble propre à la combler : c'est un terre-plein
et un ensemble de fossés qui lui paraissent reproduire le
plan d'une bastille entourée de son boulevard, comme les
Anglais construisirent leurs bastilles au siège d'Orléans.
Ajoutez que cet endroit était désigné il y
a deux siècles par un savant orléanais, Daniel Polluche,
sous le nom de Camp des Anglais.
Disons d'abord, contrairement à l'opinion de
M. Boucher de Molandon, que si ces traces d'ouvrages militaires
n'étaient pas là, réclamant une explication,
on n'éprouverait pas le besoin de les y chercher. Cette position
est à une trop grande distance de la ligne de circonvallation
que les Anglais étaient occupés à former autour
d'Orléans ; et si cette ligne s'arrête à la
bastille de Saint-Pouair, il ne faut pas en être surpris.
Les Anglais devaient surtout s'attacher à enlever la Loire
aux Orléanais : ils la tenaient. Ils devaient ensuite principalement
se défendre du côté de la rive gauche d'où
pouvaient venir les secours à Orléans.
Ils n'avaient qu'une bastille à l'est : Saint-Loup
; ils avaient leurs deux plus fortes bastilles et trois boulevards
à l'ouest, car c'est sur la basse Loire que le roi Charles
VII s'était réfugié ; c'est de là que
pouvaient arriver les armées de secours. Aussi de ce côté
ils ne se contentaient pas de fermer les routes par des bastilles
et des boulevards : ils avaient relié ces bastilles et boulevards
entre eux par des fossés : "ils avoient fait, dit
Guillaume Giraut, plusieurs forteresses et bastilles et toutes ces
forteresses et bastilles closes à deux paires de fossés
et d'une forteresse à l'autre."
Peut-on entendre qu'ils avaient relié de la même
sorte Saint-Pouair à Saint-Loup ? évidemment non.
On peut admettre néanmoins qu'ils auraient voulu continuer
leurs travaux de ce côté : c'est en ce sens que j'entendrais
volontiers le témoignage de J. Chartier : "et y avoit
grande espace de la grande bastille (Saint-Pouair) à celle
de Saint-Loup ; combien que chaque jour travailloient iceulx anglois
à faire fossés doubles pour empescher icelle entrée"
; mais le temps leur a manqué. Le boulevard du Pressoir Ars
ou Rouen et la grande bastille de Saint-Pouair ou Paris, elle-même
n'ont été achevés que les 9
et 15 avril (Journal du
siège) quand Jeanne avait déja écrit sa lettre
à Bedford, quand on l'attendait d'un jour à l'autre
sous les murs d'Orléans où elle entra le 29.
Il n'y a donc rien à reprocher à leur
tactique. Ils poursuivaient régulièrement leur œuvre
; le temps seul leur a fait défaut.
Cela étant et lorsqu'ils avaient tant à
faire encore pour continuer leur ligne d'investissement autour de
la ville, peut-on admettre qu'ils soient allés établir
une bastille si loin en arrière ? M. Boucher de Molandon
cite à l'appui de l'existence d'une bastille anglaise près
de Fleury ce passage du Journal du siège : "Le lendemain
(16 avril) venoient de Bloys à Orléans par le chemin
de Fleury-aux-Choux, aucun nombre de bestial que les Angloys cuidèrent
destrousser, et leur alèrent au devant, mais trop tard, car
la cloche du beffroy sonna pour secourir les vivres, ce qui fut
fait et tellement qu ils arrivèrent sauvement dedans la ville".
Ces Anglais pouvaient venir tout aussi bien de Saint-Pouair ; et
ce qui fait même croire qu'ils venaient plutôt de Saint-Pouair,
c'est que l'attaque eut lieu assez près de la ville pour
que les Orléanais, avertis par la cloche, arrivassent à
temps et les fissent entrer en sûreté.
Le second texte du même Journal allégué
par notre auteur n'est pas plus concluant. Il y est dit : "Le
lendemain (20 avril) environ quatre heures du matin se partist d'Orléans
un capitaine nommé Amade et seize hommes d'armes à
cheval avec lui qui alèrent courir environ Fleury-aux-Choux,
où s'estoient logés les Angloys qui avoient amené
les vivres derreniers et firent tant qu'ils en emmenèrent
six Angloys prisonniez qu'ils prindrent et plusieurs chevaulx avec
trousses et autres habillements de guerre". Ce capitaine
avec ses seize hommes d'armes et les compagnons ordinaires de l'homme
d'arme, page et coutillier, c'est à dire, quarante-huit cavaliers,
allant courir environ Fleury-aux-Choux, n'allait pas évidemment,
dans la pensée de l'auteur du Journal, et n'avait pas l'intention
d'aller attaquer une bastille ; et les Anglais logés à
Fleury-aux-Choux ne donnent pas non plus l'idée d'une garnison
établie dans une place d'arme comme paraît l'admettre
le rapport publié sur le mémoire de M.Boucher de Molandon
(2). Ce rapport a même le tort
d'omettre, en parlant d'eux, cette qualification : "qui
avoient amené les vivres derreniers." C'étaient
les Anglais qui avaient escorté le dernier convoi : on comprend
pourquoi ils étaient logés dans ce village et comment
le capitaine orléanais avec ses hommes d'armes en put faire
six prisonniers.
Le troisième texte est relatif à une sortie
des Orléanais qui, le 27
avril, le jour où Jeanne d'Arc partit de Blois, allèrent
en belle ordonnance jusqu'à la croix de Fleury, à
mi-chemin entre Fleury et Orléans, pour protéger des
marchands venant de Blois, sur la nouvelle qu'ils avaient empêchement
: quand ils y arrivèrent, les marchands avaient été
détroussés, mais rien ne dit d'où venaient
les Anglais qui les détroussèrent.
On ne peut pas admettre davantage que si les capitaines
qui accompagnèrent Jeanne d'Arc à Orléans prirent,
contre son gré, le chemin par la Sologne au lieu de passer
par la Beauce, ce fut par crainte de la bastille établie
de l'autre côté de Fleury. Cette bastille eût-elle
été sur leur chemin n'était pas de nature à
les arrêter. C'est bien plutôt celle de Saint-Pouair
(Paris) et les boulevards échelonnés de cette bastille
à celle de Saint-Laurent, avec les fossés qui les
reliaient entre eux, qu'ils voulaient éviter.
En résumé, l'investissement d'Orléans
n'était pas achevé quand arriva Jeanne d'Arc et l'on
peut dire que s'il ne le fut pas, c'est qu'elle n'en laissa pas
le temps aux assiégeants. Les Anglais qui travaillaient à
relier et à étendre leur ligne d'attaque de l'ouest
au nord et n'étaient arrivés à finir la plus
septentrionale de leurs bastilles, Saint-Pouair, qu'au 15 avril,
s'étaient-ils détachés de ce travail pour aller
établir une bastille aussi loin en arrière que Fleury-aux-Choux
? Nul texte ne le fait croire, et il ne serait pas venu à
l'esprit de le supposer s'il n'y avait pas là un ouvrage
qui demande une explication. Mais cet ouvrage est-il une bastille
anglaise ? La forme régulièrement carrée de
ses retranchements accuse, selon l'opinion d'un archéologue
fort versé en ces matières, M. Jules Quicherat, une
origine toute romaine : origine qui est hors de doute, s'il est
vrai qu'on ait trouvé des débris de briques romaines
en ces lieux.
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Notes :
1 Note de Guil. Giraut,
notaire au châtelet d'Orléans, sur la levée
du siège d'Orléans, inscrite de sa main sur son
registre de minutes le 9 mai 1429, avec fac-similé et notice
par M. Boucher de Molandon (extrait du t.IV des Mémoires
de la société archéologique d'Orléans,
p.5). M.Boucher de Molandon avait lu à 2 parties ou en
partie de fossés (je dois à M.Delisle la lecture
à II paires de fossés qui donne un sens très
net.
- Sur les tranchées que les Anglais joignaient à
leurs bastilles de l'ouest, voir encore le Journal du siège,
3 mars et 9
avril.
2 Le journal du siége déclarant le 20 avril que
les Anglais s'étaient logés aux environs de Fleury
(le journal que nous avons cité entend bien dire à
Fleury), établit implicitement l'existence d'ouvrages propres
à intercepter l'entrée des convois dans la ville
ou la sortie des assiégés avant cette époque.
Etudes sur une bastille anglaise, p.55).
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