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24 novembre 2024  

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Jeanne d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 7 : Sur le nom de Jeanne d'Arc

  M. Vallet de Viriville se fondant sur ce que le nom de la Pucelle se lit Darc dans les manuscrits, et que la forme d'Arc n'apparaît pour la première fois que vers la fin du seizième siècle (1576), a proposé de revenir à l'ancienne orthographe (1), et il a été suivi par M. Michelet, Henri-Martin et plusieurs autres. Que la forme Darc se trouve seule dans les manuscrits, cela n'a rien d'étonnant. L'apostrophe n'était point connue au moyen âge, et n'était pas même d'un emploi général au seizième siècle. Mais ce signe existant, a-t-on eu tort de l'appliquer au nom de la Pucelle ? C'est une question qu'il convient de résoudre, puisqu'elle a été posée. Or, pour la résoudre, il n'y a qu'une voie, celle de l'étymologie ou du sens qu'on y attachait dans le temps même.

  La forme Darc n'a point de sens en français ; la forme d'Arc s'explique, au contraire, soit qu'on la rapporte au village d'Arc, Arc en Barrois, par exemple, soit qu'elle rappelle l'arme favorite du paysan au moyen-âge. On la repousse en disant que le père de Jeanne n'était point d'Arc, mais de Ceffonds ; et on ne dissimule même pas que, si on la repousse, c'est qu'elle parait donner une origine aristocratique à un nom tout populaire. Le caractère aristocratique de la particule est un préjugé qui existe aujourd'hui, sans doute, mais qui assurément était inconnu au temps de Jeanne d'Arc. Le mot de exprime un rapport ; appliqué à un nom de lieu, il peut marquer une origine. On est du lieu : mais à quel titre ? Est-ce comme seigneur, comme bourgeois ou comme vilain ? C'est une question que ne résout point la particule. Jacques d'Arc n'était point noble : et la preuve en est dans l'acte même de Charles VII qui anoblit sa famille, en l'honneur de la Pucelle. Jacques d'Arc n'était point d'Arc non plus personnellement ; mais un de ses aïeux, peut-être, en était ou y avait séjourné, en avait prix son nom et dès lors le lui avait transmis : la proximité d'Arc en Barrois, qu'on appelait plus justement Arc en Bassigny, rend très probable cette hypothèse.
  C'est l'étymologie la plus vraisemblable : mais il y en a une autre qui, sans exclure positivement cette origine, permettrait à la rigueur, de s'en passer : c'est celle qui rattache le nom d'Arc au mot arc ; et elle pourrait se chercher un fondement dans un acte de la famille. Au rapport de Charles du Lis, issu du plus jeune frère de Jeanne (Pierre), Jacques d'Arc, père de la Pucelle, avait pour armoiries, ou, pour nous servir d'un mot moins ambitieux, pour signet ou sceau, "un arc bandé de trois flèches." Jean du Lis, fils puiné de Pierre d'Arc, laissant à son aîné les armes que Jeanne et ses frères avaient obtenues de Charles VII, s'était contenté de retenir ces "armoiries anciennes de la famille, auquel il ajouta le timbre comme écuyer, et le chef
d'un lion passant, à cause de la province à laquelle son roi (Louis XI) l'avait habitué (l'Artois)" (2) : c'étaient celles que Charles du Lis, son arrière-petit fils, portait encore en 1612 (3), et auxquelles il obtint de Louis XIII, à l'extinction de la branche aînée de sa maison, la faveur de joindre, écartelées dans le même écusson, les armes reçues de Charles VII. La langue héraldique est figurée, et très hardie, nous le savons, dans l'emploi de ses figures : nous ne récusons aucun des exemples qu'on pourrait nous en alléguer. Mais quoi qu'il en soit du sens primitif et de l'origine même de ce blason rustique, c'était au moins l'idée que la famille, dès avant Jeanne d'Arc, avait voulu attacher à son nom ; et dès lors il est bien légitime de l'écrire selon qu'elle l'interprétait elle-même. Elle l'écrivait Darc, et on le dut écrire ainsi tant que la particule, après l'élision, s'unit à la voyelle initiale du mot suivant, sans apostrophe ; mais depuis que ce signe est devenu en usage, on a le droit de l'appliquer à ce nom comme aux autres ; ou pour être conséquent, il faudrait écrire, comme autrefois, et comme on le trouve dans les mêmes manuscrits du Procès : comte Darmagnac, duc Dalençon, roi Dangleterre, etc... (car peu importe que le mot exprime un lieu ou autre chose). On écrivait encore ainsi au seizième siècle : c'est l'orthographe conservée par Lanz dans sa publication de la Corresponclance de Charles-Quint (voy. t. I, p. 144, etc...) ; mais nul n'aura l'idée de la garder dans une histoire de Charles-Quint.

On dit : mais si le nom Darc devait s'écrire d'Arc, on auroit dit, en latin, de Arco (ou de Arcu), comme Jean d'Estivet se dit Joannes de Estiveto. - Soit ; mais trouve-t-on dans le procès Darcus ou Darca ? Non ; le mot n'a donc pas été latinisé au temps de Jeanne, et dès lors il a gardé la particule française comme on la trouve ailleurs dans le Procès : par exemple, "Gauffridus Decrotay" (Geoffroy de Crotay (t.I, p.140) ; comme on trouve dans le Religieux de Saint-Denis, Karolum Dalebret (Charles d'Albret) (Hist. de Charles VI, XXXIV, 35, p.158), etc... En employant la forme d'Arc, on peut être assuré qu'on ne fait pas autre chose que ce qu'eût fait la famille au temps où elle prenait l'arc pour emblème, si l'apostrophe eût été alors usitée. C'est donc par une fausse fidélité à l'ancienne orthographe, que Charles du Lis écrivait ce nom comme il le trouvait dans les pièces du temps (4); et les pièces officielles ne font pas même autorité en cette matière : le nom du Lis, que cet héritier de la famille de Jeanne d'Arc écrit constamment en deux mots, selon l'étymologie, se trouve écrit Dulis dans les lettres patentes qu'il obtint de Louis XII pour réunir dans un même écusson les diverses armoiries de sa famille (5).

  En résumé, ni les manuscrits du procès, ni même les imprimés du seizième siècle (les temps qui suivent sont sans autorité), ne décident entre les deux formes Darc ou d'Arc. Mais la première est barbare ; la seconde est française, qu'elle dérive du village d'Arc ou du mot arc. Et, quelle que soit l'origine de la famille, elle-même a déterminé la vraie forme de son nom en prenant l'arc pour em
blème, soit qu'elle ait pris l'emblème à cause de son nom, soit qu'elle ait pris son nom de son emblème : absolument de la même sorte que les frères de Jeanne d'Arc s'appelèrent du Lis, laissant le nom rendu illustre à jamais par la Pucelle pour prendre un nom nouveau des fleurs de lis du blason donné à Jeanne par Charles VII, blason que Jeanne n'a jamais porté. Quoi qu'il en soit des variations du nom dans les auteurs des temps qui ont suivi, nous nous en tiendrons à l'orthographe qui est seule en rapport avec les formes régulières de la langue, à l'usage devenu justement populaire et consacré, on le peut dire, par le livre qui sera désormais la source de toute histoire de Jeanne d'Arc : l'édition des deux Procès, par M. Jules Quicherat. La forme Darc n'a de sens que dans les langues germaniques. Darc, en anglais, "sombre, ténébreux." - "fille des ténèbres". Les Anglais du temps n'auraient pas mieux trouvé. - Gardons à la Pucelle son nom français de Jeanne d'Arc (6).

  Un mot encore, non plus sur le nom, mais sur le prénom de Jeanne. M. Michelet est tenté d'y voir une prédestinalion au mysticisme : "Il semble, dit-il, annoncer dans les familles qui le donnaient à leurs enfants une sorte de tendance mystique" ; et il cite parmi les hommes célèbres qui ont porté ce nom, au moyen-âge, Jean de Parme, Jean de Fidenza (saint Bonaventure), Jean Gerson, Jean Petit, etc... (Hist. de France, t.V, p.51.) Pour le nom de Jeanne, porté par la Pucelle, on pourrait citer plus justement Jean Moreau, Jean Le Langart, Jean Rainguesson, et Jean Barrey, qui furent ses parrains; Jeanne Thiesselin, Jeanne Thévenin et Jeanne Lemaire Aubéry, qui, avec deux ou trois autres, furent ses marraines (on sait que l'usage était d'en prendre plusieurs). Quant aux parents de Jeanne, une chose diminue l'idée qu'on voudrait se faire de leur mysticité : c'est que s''ils ont choisi, avec ce patron, ces parrains et marraines pour leur fille, et nomme encore un de leurs fils Jean, le père s'appelait Jacques et le fils aîné Jacques, nonobstant "l'opposition de Jean et de Jacques" signalée par M. Michelet au tome IV de son histoire.


                                                


Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879

Notes :
1 Journal de l'Insitut historique et Nouvelles recherches sur la famille et le nom de Jeanne d'Arc.

2 Traité sommaire, tant du nom des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans (1613 et 1628), p.37. "Dès le quatorzième siècle, des familles ou des individus plus ou moins considérables, quoique non nobles, telle que pouvait l'être à cette époque la famille Darc, se servaient, pour leurs signets ou sceaux, etc..., de marques ou insignes personnels ou distincts. Ces marques se groupaient et se figuraient exactement comme des armoiries, à la seule exception du timbre on heaume, lequel étant essentiellement militaire, faisait le complément caractéristique du blason." (Vallet de Viriville, Nouvelles Recherches, p.34.)

3 "D'azur à l'arc d'or, mis en fasce, chargé de trois flèches entrecroisées, les pointes en haut férues, deux d'or, ferrées et plumetées d'argent ; et une d'argent, ferrée et plumetée d'or, et le chef d'argent au lion passant de gueules".
(Lettres patentes de Louis XIII, Procès t.V, p.228)

4 Charles du Lis, qui écrit Darc, défendant ce nom contre la forme Day qu'on lisait quelque part, dit : "II est bien certain que son père s'appelait Jacques Darc, comme il se voit par plusieurs titres de ses ancêtres et de ses frères, oncles de ladite Pucelle, et par le procès qui lui fut fait à Rouen et par celui de sa justification où il y a grand nombre de témoins qui en déposent pertinemment, et par les armoiries mêmes de parents et autres descendants dudit Jacques Darc qui portaient un arc, bandé de trois flèches, qui se sont conservés jusques à préasnt, comme il se verra cy après (Traité sommaire, p. 6)

5 Voir Procès, t. V, p.
225, et Godefroi, Hist, de Charles VlI. p. 899.

6 Nous ne connaissians pas, lorsque nous avons écrit cette page, la note publiée par M. Renard contra l'innovation proposée par M.Vallet de Viriville (1854). On y trouvera avec plus d'étendue les mêmes raisons que nous donnons ici. Si cette note avait été plus connue, on aurait le droit d'être plus surpris que tant d'écrivains se soient laissé aller à déformer le nom de la Pucelle sous cette forme barbare de Darc.




Jeanne d'Arc
Henri Wallon - 5°éd. 1879

Index

Avertissement
Préface

Introduction :

- La guerre de cent ans
- Charles VII et Henri VI
- Le siège d'Orléans

Livre IDomrémy et V...
I - L'enfance de J. d'Arc
II- Le départ

Livre II : Orléans
I - L'épreuve
II - Entrée à Orléans
III - La délivrance d'Orléans

Livre.III : Reims
I - La campagne de la Loire
II - Le sacre
III - La Pucelle

Livre.IV : Paris
I - La mission de J. d'Arc
II - La campagne de Paris
III - L'attaque de Paris

Livre.V :
Compiègne
I - Le séjour sur la Loire
II - Le siège de Compiègne

Livre.VI : Rouen - Les juges
I - Le marché
II - Le tribunal
III - Les procès-verbaux

Livre.VII : L'instruction
I - Les interrog. publics
II - Les interrog. de la prison
III - Les témoins

Livre.VIII : Le jugement
I - L'accusation
II - Les douze articles
III - Les consultations...
IV - La réponse de...

Livre.IX : L'abjuration
I - Le cimetière de St-Ouen
II - La relapse

Livre.X : Le supplice
I - La visite à la prison
II - La pl. du Vieux-marché

Livre.XI : La réhabilitation
I - La mémoire de Jeanne...
II - Le second procès...

Livre.XII : L'histoire

I - Les contemporains...
II - L'inspiration de J.d'Arc




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