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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice
7 : Sur le nom de Jeanne d'Arc |
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M.
Vallet de Viriville se fondant sur ce que le nom de la Pucelle se
lit Darc dans les manuscrits, et que la forme d'Arc n'apparaît
pour la première fois que vers la fin du seizième
siècle (1576), a proposé de revenir à l'ancienne
orthographe (1), et il a été
suivi par M. Michelet, Henri-Martin et plusieurs autres. Que la
forme Darc se trouve seule dans les manuscrits, cela n'a rien d'étonnant.
L'apostrophe n'était point connue au moyen âge, et
n'était pas même d'un emploi général
au seizième siècle. Mais ce signe existant, a-t-on
eu tort de l'appliquer au nom de la Pucelle ? C'est une question
qu'il convient de résoudre, puisqu'elle a été
posée. Or, pour la résoudre, il n'y a qu'une voie,
celle de l'étymologie ou du sens qu'on y attachait dans le
temps même.
La forme Darc n'a point de sens en français
; la forme d'Arc s'explique, au contraire, soit qu'on la
rapporte au village d'Arc, Arc en Barrois, par exemple, soit qu'elle
rappelle l'arme favorite du paysan au moyen-âge. On la repousse
en disant que le père de Jeanne n'était point d'Arc,
mais de Ceffonds ; et on ne dissimule même pas que, si on
la repousse, c'est qu'elle parait donner une origine aristocratique
à un nom tout populaire. Le caractère aristocratique
de la particule est un préjugé qui existe aujourd'hui,
sans doute, mais qui assurément était inconnu au temps
de Jeanne d'Arc. Le mot de exprime un rapport ; appliqué
à un nom de lieu, il peut marquer une origine. On est du
lieu : mais à quel titre ? Est-ce comme seigneur,
comme bourgeois ou comme vilain ? C'est une question
que ne résout point la particule. Jacques d'Arc n'était
point noble : et la preuve en est dans l'acte même de Charles
VII qui anoblit sa famille, en l'honneur de la Pucelle. Jacques
d'Arc n'était point d'Arc non plus personnellement ; mais
un de ses aïeux, peut-être, en était ou y avait
séjourné, en avait prix son nom et dès lors
le lui avait transmis : la proximité d'Arc en Barrois, qu'on
appelait plus justement Arc en Bassigny, rend très probable
cette hypothèse.
C'est l'étymologie la plus vraisemblable : mais
il y en a une autre qui, sans exclure positivement cette origine,
permettrait à la rigueur, de s'en passer : c'est celle qui
rattache le nom d'Arc au mot arc ; et elle pourrait se chercher
un fondement dans un acte de la famille. Au rapport de Charles du
Lis, issu du plus jeune frère de Jeanne (Pierre), Jacques
d'Arc, père de la Pucelle, avait pour armoiries, ou, pour
nous servir d'un mot moins ambitieux, pour signet ou sceau, "un
arc bandé de trois flèches." Jean du Lis,
fils puiné de Pierre d'Arc, laissant à son aîné
les armes que Jeanne et ses frères avaient obtenues de Charles
VII, s'était contenté de retenir ces "armoiries
anciennes de la famille, auquel il ajouta le timbre comme écuyer,
et le chef
d'un lion passant, à cause de la province à laquelle
son roi (Louis XI) l'avait habitué (l'Artois)" (2)
: c'étaient celles que Charles du Lis, son arrière-petit
fils, portait encore en 1612 (3), et
auxquelles il obtint de Louis XIII, à l'extinction de la
branche aînée de sa maison, la faveur de joindre, écartelées
dans le même écusson, les armes reçues de Charles
VII. La langue héraldique est figurée, et très
hardie, nous le savons, dans l'emploi de ses figures : nous ne récusons
aucun des exemples qu'on pourrait nous en alléguer. Mais
quoi qu'il en soit du sens primitif et de l'origine même de
ce blason rustique, c'était au moins l'idée que la
famille, dès avant Jeanne d'Arc, avait voulu attacher à
son nom ; et dès lors il est bien légitime de l'écrire
selon qu'elle l'interprétait elle-même. Elle l'écrivait
Darc, et on le dut écrire ainsi tant que la particule, après
l'élision, s'unit à la voyelle initiale du mot suivant,
sans apostrophe ; mais depuis que ce signe est devenu en usage,
on a le droit de l'appliquer à ce nom comme aux autres ;
ou pour être conséquent, il faudrait écrire,
comme autrefois, et comme on le trouve dans les mêmes manuscrits
du Procès : comte Darmagnac, duc Dalençon, roi Dangleterre,
etc... (car peu importe que le mot exprime un lieu ou autre chose).
On écrivait encore ainsi au seizième siècle
: c'est l'orthographe conservée par Lanz dans sa publication
de la Corresponclance de Charles-Quint (voy. t. I, p. 144, etc...)
; mais nul n'aura l'idée de la garder dans une histoire de
Charles-Quint.
On dit : mais si le nom Darc devait s'écrire d'Arc, on auroit
dit, en latin, de Arco (ou de Arcu), comme Jean d'Estivet se dit
Joannes de Estiveto. - Soit ; mais trouve-t-on dans le procès
Darcus ou Darca ? Non ; le mot n'a donc pas été
latinisé au temps de Jeanne, et dès lors il a gardé
la particule française comme on la trouve ailleurs dans le
Procès : par exemple, "Gauffridus Decrotay"
(Geoffroy de Crotay (t.I, p.140) ; comme on trouve dans le Religieux
de Saint-Denis, Karolum Dalebret (Charles d'Albret) (Hist.
de Charles VI, XXXIV, 35, p.158), etc... En employant la forme d'Arc,
on peut être assuré qu'on ne fait pas autre chose que
ce qu'eût fait la famille au temps où elle prenait
l'arc pour emblème, si l'apostrophe eût été
alors usitée. C'est donc par une fausse fidélité
à l'ancienne orthographe, que Charles du Lis écrivait
ce nom comme il le trouvait dans les pièces du temps (4);
et les pièces officielles ne font pas même autorité
en cette matière : le nom du Lis, que cet héritier
de la famille de Jeanne d'Arc écrit constamment en deux mots,
selon l'étymologie, se trouve écrit Dulis dans les
lettres patentes qu'il obtint de Louis XII pour réunir dans
un même écusson les diverses armoiries de sa famille
(5).
En résumé, ni les manuscrits du procès,
ni même les imprimés du seizième siècle
(les temps qui suivent sont sans autorité), ne décident
entre les deux formes Darc ou d'Arc. Mais la première est
barbare ; la seconde est française, qu'elle dérive
du village d'Arc ou du mot arc. Et, quelle que soit l'origine de
la famille, elle-même a déterminé la vraie forme
de son nom en prenant l'arc pour emblème,
soit qu'elle ait pris l'emblème à cause de son nom,
soit qu'elle ait pris son nom de son emblème : absolument
de la même sorte que les frères de Jeanne d'Arc s'appelèrent
du Lis, laissant le nom rendu illustre à jamais par la Pucelle
pour prendre un nom nouveau des fleurs de lis du blason donné
à Jeanne par Charles VII, blason que Jeanne n'a jamais porté.
Quoi qu'il en soit des variations du nom dans les auteurs des temps
qui ont suivi, nous nous en tiendrons à l'orthographe qui
est seule en rapport avec les formes régulières de
la langue, à l'usage devenu justement populaire et consacré,
on le peut dire, par le livre qui sera désormais la source
de toute histoire de Jeanne d'Arc : l'édition des deux Procès,
par M. Jules Quicherat. La forme Darc n'a de sens que dans les langues
germaniques. Darc, en anglais, "sombre, ténébreux."
- "fille des ténèbres". Les Anglais
du temps n'auraient pas mieux trouvé. - Gardons à
la Pucelle son nom français de Jeanne d'Arc (6).
Un mot encore, non plus sur le nom, mais sur le prénom
de Jeanne. M. Michelet est tenté d'y voir une prédestinalion
au mysticisme : "Il semble, dit-il, annoncer dans les familles
qui le donnaient à leurs enfants une sorte de tendance mystique"
; et il cite parmi les hommes célèbres qui ont porté
ce nom, au moyen-âge, Jean de Parme, Jean de Fidenza (saint
Bonaventure), Jean Gerson, Jean Petit, etc... (Hist. de France,
t.V, p.51.) Pour le nom de Jeanne, porté par la Pucelle,
on pourrait citer plus justement Jean Moreau, Jean Le Langart, Jean
Rainguesson, et Jean Barrey, qui furent ses parrains; Jeanne Thiesselin,
Jeanne Thévenin et Jeanne Lemaire Aubéry, qui, avec
deux ou trois autres, furent ses marraines (on sait que l'usage
était d'en prendre plusieurs). Quant aux parents de Jeanne,
une chose diminue l'idée qu'on voudrait se faire de leur
mysticité : c'est que s''ils ont choisi, avec ce patron,
ces parrains et marraines pour leur fille, et nomme encore un de
leurs fils Jean, le père s'appelait Jacques et le fils aîné
Jacques, nonobstant "l'opposition de Jean et de Jacques"
signalée par M. Michelet au tome IV de son histoire.
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Notes :
1 Journal de l'Insitut historique et Nouvelles recherches sur
la famille et le nom de Jeanne d'Arc.
2 Traité sommaire, tant du nom des armes
que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans
(1613 et 1628), p.37. "Dès le quatorzième
siècle, des familles ou des individus plus ou moins considérables,
quoique non nobles, telle que pouvait l'être à cette
époque la famille Darc, se servaient, pour leurs signets
ou sceaux, etc..., de marques ou insignes personnels ou distincts.
Ces marques se groupaient et se figuraient exactement comme des
armoiries, à la seule exception du timbre on heaume, lequel
étant essentiellement militaire, faisait le complément
caractéristique du blason." (Vallet de Viriville,
Nouvelles Recherches, p.34.)
3 "D'azur à l'arc d'or, mis en fasce, chargé
de trois flèches entrecroisées, les pointes en haut
férues, deux d'or, ferrées et plumetées d'argent
; et une d'argent, ferrée et plumetée d'or, et le
chef d'argent au lion passant de gueules".
(Lettres patentes de Louis XIII, Procès t.V, p.228)
4 Charles du Lis, qui écrit Darc, défendant ce nom
contre la forme Day qu'on lisait quelque part, dit : "II
est bien certain que son père s'appelait Jacques Darc,
comme il se voit par plusieurs titres de ses ancêtres et
de ses frères, oncles de ladite Pucelle, et par le procès
qui lui fut fait à Rouen et par celui de sa justification
où il y a grand nombre de témoins qui en déposent
pertinemment, et par les armoiries mêmes de parents et autres
descendants dudit Jacques Darc qui portaient un arc, bandé
de trois flèches, qui se sont conservés jusques
à préasnt, comme il se verra cy après (Traité
sommaire, p. 6)
5 Voir Procès, t. V, p.225,
et Godefroi, Hist, de Charles VlI. p. 899.
6 Nous ne connaissians pas, lorsque nous avons écrit cette
page, la note publiée par M. Renard contra l'innovation
proposée par M.Vallet de Viriville (1854). On y trouvera
avec plus d'étendue les mêmes raisons que nous donnons
ici. Si cette note avait été plus connue, on aurait
le droit d'être plus surpris que tant d'écrivains
se soient laissé aller à déformer le nom
de la Pucelle sous cette forme barbare de Darc.
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