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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice II-24 : Les ennemis et les compagnons de la Pucelle |
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On peut être curieux de retrouver dans un même tableau
ce que devinrent les principaux personnages mêlés à l'histoire de Jeanne d'Arc. Nous avons dit la fin de
Pierre Cauchon, devenu évêque de Lisieux, mort subitement pendant qu'on lui faisait la barbe (18 oct. 1442) ; —
celle de Bedford, qui mourut à la veille du traité d'Arras,
désespéré de ne l'avoir pu empêcher (14 septembre 1435) (1) ; — Warwick, nommé régent de France après lui, mourut
en 1439 sans pouvoir rétablir la fortune des Anglais ; le
cardinal de Winchester, qui couronna le jeune Henri VI à
Notre-Dame de Paris, était dans le conseil quand Henri
fit la trêve de 1444 et épousa Marguerite d'Anjou. Il mourut
en 1447, suivant de près son neveu, le duc de Glocester, qu'on l'accusa sans fondement d'avoir fait périr. —
William de la Pole, comte de Suffolk, qui, après avoir joué
un rôle considérable dans la guerre, avait eu la part principale
au rapprochement de l'Angleterre avec la France et au mariage de Henri VI avec Marguerite d'Anjou, devint,
aux yeux de l'opinion publique, responsable des revers de
sa nation. Élevé par la faveur du roi et de la reine au titre de duc de Suffolk, il n'en fut que plus exposé à la haine publique. Mis en accusation comme son aïeul, le ministre
de Richard II, il ne trouva pas comme lui son salut dans
l'exil. Poursuivi et arrêté en mer, il fut décapité, sans
autre forme de procès, par les marins qui l'avaient pris (3 mai 1450). — Talbot, son compagnon au siége d'Orléans,
ne survécut pas non plus aux événements qui expulsèrent
les Anglais de France. Mais il périt en soldat, tué à la bataille
de Castillon (17 juillet 1453), la dernière grande
journée de la guerre de Cent ans.
On est tenté de ranger au nombre des ennemis plutôt
que des amis de la Pucelle les principaux conseillers de
Charles VII, La Trémouille et Regnault de Chartres. La
Trémouille, en 1431, s'était fait donner des lettres de rémission : en quoi il se montrait beaucoup moins soucieux
de sa réputation que de sa sûreté, car il s'y ayouait coupable
d'une multitude de crimes : meurtres, pillages ou
concussions, ne craignant pas de s'en accuser pour s'en
faire absoudre (2). Cela n'empêcha pas qu'il ne fût surpris à
Chinon auprès du roi, enlevé et séquestré par un coup de
main concerté avec la reine Yolande, Raoul de Gaucourt et
le connétable (1433). Il fut relâché, moyennant rançon,
mais à la condition de ne plus approcher du roi, et Charles VII ne s'en inquiéta pas davantage. Il garda sa
charge, mais il perdit son importance; il mourut en 1446. — Regnault de Chartres, nommé encore administrateur du
diocèse d'Agde en 1435 et du diocèse d'Orléans en 1439, reçut cette même année le chapeau de cardinal : il mourut
subitement peu de jours avant la signature de la trêve
de 1444 dont il était un des négociateurs. — Raoul de
Gaucourt, que nous avons quelquefois rencontré parmi les
opposants à la Pucelle, avait au moins combattu avec elle,
et il était plus soldat que politique. Il vécut assez pour rendre hommage à sa mémoire au procès de réhabilitation. Il
ne mourut que dans les premières années du règne de
Louis XI.
Parmi ceux que l'on peut vraiment nommer les compagnons
de la Pucelle, il y eut des fortunes bien diverses.
Le duc d'Alençon, qui avait tenu le premier rang auprès
d'elle et le méritait alors par sa valeur et son dévouement à la cause de la France, finit par conspirer sourdement
avec l'étranger qu'il avait aidé à chasser du pays. Arrêté
et condamné sous Charles VII (1456-1458) à la peine de
mort, qui fut commuée en emprisonnement, gracié par
Louis XI, et condamné plus tard pour de nouveaux complots
(1472-1474), on lui fit encore grâce de la vie, mais
il ne sortit de prison en 1476 que pour mourir peu après. — Le bâtard d'Orléans, investi en 1439 par le duc d'Orléans,
son frère, du comté de Dunois, eut une gloire plus
pure. Il prit part à la Praguerie sous Charles VII et à la
guerre du Bien public sous Louis XI, mais il ne pactisa
jamais avec l'ennemi de la France. Rétabli par le traité de
Conflans dans les dignités dont Louis XI l'avait dépouillé, il mourut le 26 novembre 1468. — Le comte de Richemont,
tenu si longtemps en échec par La Trémouille,
finit, on l'a vu, par en avoir raison, fallût-il recourir au
guet-apens. Il succéda, dans le duché de Bretagne, à son
neveu Pierre, en 1456, et mourut l'année suivante. — Le maréchal de Rais, un autre Breton, eut une fin plus tragique.
Après qu'il eut vendu seigneuries et châteaux, et
dissipé tout son bien en folies, il se trouva que la prodigalitéétait le moindre de ses vices. Arrêté sur le cri public, il fut convaincu d'avoir, pendant huit ans, sacrifié une
multitude d'enfants à ses cruautés et à ses débauches; condamné à mourir de mort infamante, il fut pendu et brûlé
dans un champ voisin de Nantes le 25 octobre 1440. — Le maréchal de Lafayette continua de prendre part à tous les
actes importants du règne de Charles VII : paix avec le duc
de Bourgogne (Arras, 1435), réforme de l'armée, campagne
de Normandie pour en expulser les Anglais (1449). Il mourut en 1452. — Le maréchal de Boussac était mort en 1433; l'amiral Louis de Culan et Ambroise de Loré ne vécurent
guère au delà de la trêve de 1444 : le premier mourut
en 1445, le deuxième en 1446, après avoir rempli l'emploi
de « juge et général réformateur sur les malfaiteurs du royaume. » — Florent d'Illiers, le brave capitaine de
Châteaudun, prit glorieusement sa part à la conquête de
la Normandie et vécut jusqu'en 1475. — La Hire et Poton
de Xaintrailles, les plus brillants de ces capitaines, soutinrent leur réputation jusqu'à la fin. La Hire, qui de
Louviers tenait Rouen en échec pendant le procès de
la Pucelle, pris, comme nous l'avons dit, en voulant
aller chercher du secours au dehors, fut remis en liberté au printemps de 1432, et recommença avec Poton de
Xaintrailles la guerre de partisans, battant les Anglais
(à Gerberoy, en 1435), portant le ravage jusqu'aux portes
d'Arras pendant qu'on y négociait la paix. Pris encore et remis en liberté en 1437, La Hire accompagna Charles VII
entrant à Paris, mais il ne vit pas l'entière expulsion des
Anglais : après divers autres faits d'armes, il mourut à Montauban
en 1442. — Poton de Xaintrailles vécut assez pour
faire la campagne de Guyenne en 1450. Après la conquête,
il fut fait sénéchal du Bordelais et, en 1454, maréchal de
France. Il mourut à Bordeaux en 1461.
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
Notes :
1 M. l'abbé Cochet, en 1866, a retrouvé ses restes dans la cathédrale de
Rouen. Voy. Revue de la Normandie, 30 novembre 1867.
2 Et avec l'absolution il se faisait accorder de nouvelles grâces. Vallet
de Viriville, Hist. de Charles VII, t. II, p. 298 ; et Du Fresne de Beaucourt,
Charles VII, son caractère, p. 73.
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