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Chronique
de l'établissement de la fête du 8 mai
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4ème partie |
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t le mercredi, quatriesme jour de may l'an vingt
et neuf, partit la dicte Pucelle pour aller au devant
des autres vivres que nmenoit le sire de Rais, et allèrent
avec elle tous les capitaines (et là estoit monseigneur
de Dunois, La Hire, messire Florent d'Illiers,
le baron de Co[lo]nches) jusques en la forest d'Orléans,
et failloit passer au plus près de la bastille des dits
Anglois, nommée Paris. Et quant ceulx de la ville les
veirent venir, saillirent au devant pour les recepvoirà grant joye ; et eulx venus audit Orléans, prinrent
leur refection et puis vindrent en l'ostel de la ville
requerir habillemens de guerre, comme coulevrines,
arbalestes, eschelles et autres habillemens ; et partirent
pour aller à Saint-Loup. Et en iceluy jour fut
pris d'assault la bastille du dit Saint-Loup ; et là estoient
de six à sept vings Anglois combatens. Et ce
voyans les autres Anglois, c'est assavoir le dit Tallebot et les autres capitaines des Anglois, issirent de
leurs bastilles cinq à six estandars pour cuider lever le
siège dudit Saint-Loup jusques près du pavé de Fleury,
entre ledit Saint-Loup et leurs dictes bastilles, en belle
bataille ; et à celle heure, tout homme yssit hors
Orléans pour aller enclore lesdits Anglois ; mais ce
voyans, se retrairent à grant haste en leurs bastilles.
Et avoient de dix à unze bastilles, dont la première
estoient les Torelles ; les Augustins, Saint-Jehan-le-Blanc, celle du champ Saint-Privé, et celle de l'Isle
Charlemaigne, Saint-Lorent, et Londres, le Pressoer-Ars, Paris et Saint-Loup.
Item, le cinquiesme may qui estoit le jour feste de
l'Ascencion Nostre Seigneur, homme ne fist guerre,
car la dicte Pucelle ne le vouloit pas, et chacun reposa
en Dieu.
Item, le vendredi, sixiesme jour du dit may, la dicte
Pucelle passa la rivière de Loire et tous les dits seigneurs
et gens d'armes, aussi communes, et vindrent
devant le Portereau ; et voyans les seigneurs qu'il
n'estoit pas possible de les prandre, se retrairent une
partie en une isle qui est devant Saint-Jehan-le-BIanc ;
et demoura derrière la Pucelle et aussi monseigneur de Dunois, les mareschaulx de France et La Hire. Et
ce voyans les Anglois, issirent hors à bel estandart
desploié, et venoient sur noz gens frapper. Et quant
nos gens veirent ce, se retournèrent à l'encontre et
les repossèrent jusques dedans leurs bastilles et prirent
les Augustins de bel assault ; et ceux qui estoient
en l'isle retraiz, ne demandoient nulz chalans pour
venir au dit assault, car ilz passoient à gué tous armez,
estans jusques aux aisselles en l'eau, et la demourèrent toute nuyt. Et ce voyans les dits seigneurs que la dicte Pucelle estoit fort folée, la menèrent en
la ville pour soy refreschir; et fut crié que chacun
portast des vivres au dit siège, et aussi que chacun
gouvernast les paiges et chevaulx des hommes d'armes
qui estoient hors. Aussi fist-on par toute la ville.
Item, en celle nuyt, cuidèrent passer la rivière les
dits Anglois au droit de la bastille du champ Saint-Privé, et estoient en deux ou trois chalans ; mais ilz
furent si effrayés que il s'en noya beaucoup ; et qu'il
soit ainsi, depuis a on trouvé de leur harnois en la
dicte rivière.
Et quand fut le samedi, septiesme du dit may, fut
tenu conseil en la ville et fut requis de par les bourgeois à la dicte Pucelle que elle voulsist acomplir la
charge que elle avoit de par Dieu et aussi du roy, et
ad ce fut esmeue et s'en partit. Monta à cheval et dist : « En nom Dé, je le feray, et qui me aimera si me
suyve. » Les dits seigneurs allèrent avec elle, passèrent
la rivière, furent menez vivres et artillerie, et
vindrent si près que dès le matin fut donné l'assault
par elle ausdictes Torelles.
Et devers ceulx de la ville
aussi firent pons pour assaillir, car il y avoit trois
arches rompues avant que on peust joindre ausdictes
Torelles ; et fut une merveilleuse chose de faire les
pons, car ilz avoient faiz grans boloars fors et aventaigeux; mais en tout ce Dieu ouvroit, car quant ung
homme venoit pour bescigner ausdits pons, il estoit ouvrier ainsi que s'il eust acoustumé toute sa vie.
Ceulx de la ville chargèrent ung grand chalen plain de fagotz, d'os de cheval, savates, souffre et toutes
les plus puentes choses que on sceut finer, et fut
mené entre les Torelles et le boloart, et là fut boté
le feu, qui leur fist ung grand grief ; et à venir joindre,
les dits Anglois avoient des meilleurs canons du
royaulme ; mais ung homme eust aussi fort getté une bole comme la pierre povoit aller d'iceulx canons,
qui estoit un bel miracle.
Item, quant vint environ quatre heures après midi,
aucuns chevaliers veirent ung colon blanc voler par
sus l'estandart de la dicte Pucelle, et incontinent elle
dist : « Dedans, enffens, en nom Dé, ilz sont nostres !» Et oncques on ne veit grouée d'oisillons eulx
parquer sur ung buisson comme chacun monta contre
le dit boloart. Et ce voyant, ledit Clacidas, qui
estoit chef, avec luy de vingt à trente hommes, cheurent
de dessus le pont dedans la rivière, car ils avoient
copé le dit pont pour cuider tromper noz gens ; et là
fut accompli la prophétie que on avoit [faict] au dit
Clacidas, c'est assavoir la Pucelle, qu'il mourroit sans
seigner ; aussi fist-il, car il se noya et plusieurs autres ;
et furent prises les dites Torelles, et plusieurs seigneurs, comme le sire de Poains, le sire de Molins ;
et estoient léans de cinq à six cens combatans et gens
d'élitte, car ilz estoïent si obstinez qu'ilz ne creignoient
pour quinze jours toute la puissance de France
ne d'Angleterre. Et si la dicte Pucelle faisoit son devoir,
ceulx de la ville le faisoient de devers la ville,
tant par terre que par eaux. Et les amena on au dit
Orléans deux à deux tous prisonniers, ceulx qui ne
furent tuez.
Item, quant vint le dimenche, huitiesme dudit may, les autres bastilles tindrent conseil et se partirent au
plus matin ; et là estoit ledit Tallebot ; et se misdrent
sus les champs. Et ce voyans ceulx de la ville, yssirent
hors à toute puissance avec ladicte Pucelle pour leur
courir sus ; mais elle dist que on les laissast aller, et non
pour tant que chacun estoit en bataille tant d'un costé
comme d'autre ; et prist on entre les deux batailles
leurs bombardes et artillerie ; mais ladicte Pucelle
avec les seigneurs feirent retraire tous leurs gens, et
là fut faicte une haulte et grande louenge à Dieu en
criant Noel. Et en la compaignie avoit plusieurs prestres
et gens d'église qui chantoient belles ympnes ; et
dist ladicte Pucelle que chacun allast oyr messe. Et
ne doubtez pas se audit Orléans chacun faisoit grant
joye, tant ès églises, comme en appert, pour le grant
don que Dieu leur avoit fait.
Le mercredi quatrième jour de mai l'an vingt-et neuf, la Pucelle partit
pour aller au-devant des autres vivres qu'amenait le sire de Rais. Allèrent avec elle jusqu'à la forêt d'Orléans tous les capitaines, parmi lesquels
Mgr de Dunois, La Hire, Messire Florent d'Illiers, le baron de Collonches,
et il fallait passer au plus près de la bastille des Anglais nommé Paris.
Et quand ceux de la ville les virent venir, ils sortirent au-devant pour les
recevoir à grande joie. Arrivés à Orléans, ils prirent leur réfection, et puis
vinrent en l'hôtel de la ville requérir des machines de guerre comme
coulevrines, arbalètes, échelles, et autres armements ; et ils partirent pour
aller à Saint-Loup ; et en ce jour fut prise d'assaut la bastille de Saint-Loup, et là étaient de six à sept-vingts combattants anglais.
Les autres Anglais, c'est à savoir ledit Talbot et les autres Anglais de
son parti, ce voyant, sortirent de leurs bastilles en belle bataille, à cinq
ou six étendards, jusque près du pavé de Fleury, entre Saint-Loup et
leurs bastilles, dans le but de faire lever le siège dudit Saint-Loup ; et à
cette heure tout homme sortit d'Orléans pour aller enclore lesdits
Anglais; mais, en ce voyant, ils se retirèrent en grande hâte dans leurs
bastilles. Ils avaient de dix à onze bastilles, dont la première était les
Tourelles, et les autres les Augustins, Saint-Jean-le-Blanc, celle du
champ Saint-Privé, celle de l'Ile-Charlemagne, Saint-Laurent, Londres,
le Pressoir-Ars, Paris et Saint-Loup.
Le cinquième jour de mai, qui était le jour de la fête de l'Ascension
de Notre-Seigneur, pas homme ne fit la guerre ; la Pucelle ne le voulait
pas, et chacun reposa en Dieu.
Le vendredi, sixième jour du même mois, la Pucelle passa la rivière
de la Loire, et avec elle tous lesdits seigneurs et gens d'armes, et aussi ceux des communes, et ils vinrent devant le Portereau. Les seigneurs,
voyant qu'il n'était pas possible de prendre ces bastilles, se retirèrent une
partie en une île qui est devant Saint-Jean-le-Blanc. La Pucelle demeura
derrière et aussi Mgr de Dunois, les maréchaux de France et La Hire. Les
Anglais, ce voyant, sortirent dehors à bel étendard, et ils venaient frapper
sur nos gens. Quand nos gens virent cela, ils se retournèrent à l'encontre
et les repoussèrent jusque dedans leurs bastilles, et ils prirent les Augustins
de bel assaut ; et ceux qui étaient retirés en l'île ne demandaient nuls
chalands pour venir audit assaut ; ils passaient à gué tout armés, étant en
l'eau jusqu'aux aisselles, et ils demeurèrent là toute la nuit. Les seigneurs,
voyant que la Pucelle était fort fatiguée, la menèrent en la ville pour s'y
reposer; et il fut crié que chacun portât des vivres aux assiégeants, et
aussi que chacun gouvernât les pages et les chevaux des hommes d'armes
qui étaient en dehors. Ainsi fit-on par toute la ville.
Durant cette nuit, les Anglais essayèrent de passer la rivière en face de la bastille du champ Saint-Privé ; ils étaient en deux ou trois chalands,
mais ils furent si effrayés qu'il s'en noya beaucoup ; et, qu'il en soit ainsi,
on le vit depuis par leurs harnois trouvés en la rivière.
Quand arriva le samedi, septième de mai, un conseil fut tenu en la ville, et les bourgeois requirent la Pucelle qu'elle voulut accomplir la charge qu'elle avait de par Dieu et aussi de par le roi; et à ce faire elle
fut émue ; elle partit, et, montant à cheval, elle dit: « En nom Dieu, je le
ferai, et qui m'aimera, qu'il me suive ! » Les seigneurs allèrent avec elle et
passèrent la rivière ; des vivres et de l'artillerie furent amenés ; et ils
vinrent si près que, dès le matin, la Pucelle donna l'assaut auxdites
Tourelles.
Devers la ville, ceux qui y étaient firent des ponts pour donner l'assaut
; car il y avait trois arches rompues avant que l'on pût joindre les
Tourelles. Ce fut une merveilleuse chose de faire les ponts, car les
Anglais avaient fait de grands boulevards, forts et avantageux ; mais en
tout cela Dieu ouvrait, car lorsqu'un homme venait pour travailler
auxdits ponts, il était ouvrier, ainsi que s'il eût accoutumé pareil travail
toute sa vie. Ceux de la ville chargèrent un grand chaland plein de fagots,
d'os de cheval, de savates, de soufre, et des plus puantes choses que l'on
sût trouver ; il fut mené entre les Tourelles et le boulevard, et là le feu
y fut mis, qui leur fit un grand dommage. Et, pour tirer, les Anglais
avaient les meilleurs canons du royaume; mais un homme eût jeté une
boule aussi loin que pouvait aller la pierre d'iceulx canons ; ce qui était
un beau miracle.
Item. Quand vint environ quatre heures après midi, quelques chevaliers virent un colombeau blanc voler par-dessus l'étendard de la Pucelle, et incontinent, elle dit : « Dedans, enfants! en nom Dieu, ils sont nôtres. » Et jamais on ne vit volée d'oisillons se parquer sur un buisson,
comme chacun monta sur ledit boulevard. Et, ce voyant, Glacidas, qui était
le chef, et avec lui de vingt à trente hommes, tombèrent dans la rivière,
car ils avaient coupé le pont dans la pensée de tromper nos gens. Et
là fut accomplie la prophétie faite audit Glacidas par la Pucelle qu'il
mourrait sans saigner ; ainsi fit-il, car il se noya avec plusieurs autres. Les Tourelles furent prises, ainsi que plusieurs seigneurs comme le sire de Ponyngs, le sire de Molyns. Il y avait là de cinq à six cents combattants, si résolus qu'ils ne craignaient pas, durant quinze jours, toute la puissance de France et d'Angleterre. Tandis que la Pucelle faisait son devoir, ceux de la ville le faisaient du côté de la ville tant par terre que
par eau. Quant à ceux qui ne furent pas tués, la Pucelle les amena deux à deux, prisonniers, à Orléans.
Item. Quand vint le dimanche, huitième dudit mai, les gens des autres
bastilles tinrent conseil, et partirent au plus matin; là était Talbot, et ils
se mirent aux champs. Ce que voyant ceux de la ville, ils sortirent avec
toutes leurs forces, la Pucelle avec eux, pour leur courir sus ; mais elle
dit qu'on les laissât aller, encore que chacun fût en ordre de bataille, tant
d'un côté que de l'autre ; et l'on prit entre les deux armées leurs bombardes
et leur artillerie ; mais la Pucelle avec les seigneurs firent retirer
tous leurs gens ; là fut faite une haute et grande louange à Dieu en criant
Noël. Il y avait en la compagnie plusieurs prêtres et gens d'Eglise qui
chantaient de belles hymnes ; et la Pucelle dit que chacun allât ouïr la
messe. Et ne demandez pas si à Orléans chacun faisait grande joie, tant
aux églises comme en plein air, pour le grand don que Dieu leur avait
fait.
Sources : Texte original : Jules Quicherat - t.V, p.285 à 299.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.296 à 309.
Notes :
1 Le manuscrit de Saint-Pétersbourg porte simplement : Vinrent nouvelles de ladite Jeanne la Pucelle.
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