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L'abréviateur du procès
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p. 23 à 27 du ms. |
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ES VICTOIRES DESSUSDICTES FAICTES, et lesdictes villes et places prinses
par le conseil et industrie de ladicte Pucelle, [24] comme dit est, elle s'en
alla devers le roy, et luy dist :
« Tres cher syre, vous voyez comme a l'aide de Dieu et de voz bons
serviteurs, voz affaires ont esté bien conduictes jusquez icy ; dont vous luy
en debvez bien rendre graces. Or, fault maintenant que vous vous preparez
pour faire vostre voyage a Rains, pour estre enoingt et sacré, ainsy que par
cy devant ont esté voz predecesseurs roys de France. Car le temps en est
venu. Et plaist a Dieu que ainsy soit faict. Laquelle chose sera grand advantaige
pour vous. Car, apprez vostre consecration, vostre nom sera en plus
grand veneracion et honneur envers le peuple de France ; et en auront les
ennemys plus grand craincte et formidacion. Et ne ayez point de paour, pour
ce que les ennemys tiennent toutes les villes, chasteaux et places du pays
de Champaigne, par lequel il vous fault passer. Car, a l'ayde de Dieu et de
voz bons cappitaines et gens d'armes, nous vous ferons voye, en maniere
que vous passerez seurement. Assemblez vos gens d'armes, affin que nous
executons le vouloir de Dieu. »
Apprez lesquelles parolles, combien que ceste entreprinse semblast tres difficille au roy et a toute sa compaignie, pour ce que, comme dit est, le pays de Champaigne estoit tout entierement occuppé et possedé par les Angloys, toutesfoys la confidence qu'ilz avoyent en ladicte Pucelle leur donna grande esperance de parvenir a ce qu'elle avoit dit, tant pour ce que elle estoit venue a chef de toutes ses entreprinses, que pour la saincte et honneste vie qu'elle demenoit. Ilz veoyent qu'elle se confessoit tres souvent, et recepvoit luy veoient faire aulcune oeuvre de femme.
[25] Apprez les remonstrances faictes par ladicte Pucelle, ainsy que dit
est, le roy s'en alla a Gyen sur Loyre, et manda ceulx qui luy pourroyent
ayder en son voyage. Auquel lieu s'assemblerent quelque bon nombre de
gens pour l'accompaigner a aller a Rains. Et incontinent les choses preparees,
il ordonna que aulcuns cappitaines, avec les gens d'armes, marcheroyent
devant avecq la Pucelle, pour veoir se les ennemys feroyent quelque entreprise
pour luy venir a rencontre. Ce qui fut faict. Et prindrent lesdits cappitaines et leur compaignie le chemin tout droict a Auxerre. Lesquels le roy et sa compaignie suivit.
Quand ceulx de la ville de Auxerre sceurent la venue dudit seigneur, ilz firent tant par le moyen d'aulcuns qui estoyent prez de luy, que luy ne aulcun de sa compaignie ne entrerent dedens ladicte ville. Mais seullement baillerent des vivres aux gens d'armes, en les payant. Le roy passa oultre et s'en alla a Sainct Fleurentin, ou il fut receu benignement. Et luy firent les habitans le serment de fidelité. Cela faict toute la compaignie partit dudit lieu et s'en alla a Troyes. Laquelle ilz assiegirent. Et apprez que le roy et ses gens eurent demeurés six jours devant, les vivres faillirent en l'ost, et n'en povoit on recouvrer. Pourquoy ilz se trouverent en si grande neccessité de vivres que la plus grande partye des gens d'armes n'avoyent a menger que des febves et des espys de bled.
Le roy, voyant la famine qui estoit en son ost, assembla les seigneurs et cappitaines, sans y assembler la Pucelle, pour savoir qu'ilz debvoit faire. Tous lesquelz furent d'oppinion qu'il s'en debvoit retourner et remener son ost, tant pour ce que ils n'avoyent point de vivres, que ce pour ce que ledit seigneur [26] n'avoit que tres peu d'argent pour souldoyer ses gens. Et de tous ceulx qui furent appeliez a ce conseil n'y en eust pas ung qui ne fust de cest advis, fors ung nommé Robert Le Machon, qui dist que l'oppinion de ceulx qui en avoyent parlé luy sembloit assez bonne, mais qu'il vouldroit bien oyr parler la Pucelle, qui avoit esté cause de ceste entreprinse. Laquelle le roy fist presentement venir. Et luy fist remonstrer la neccessité de vivre qui estoit en son ost, et que on n'en povoit recouvrer, la neccessité en quoy estoyent ses gens, et mesmes la force de la ville ; et luy pria qu'elle le conseillast ce qu'il avoit a faire.
A quoy elle respondit : « Syre, si je vous dys chose que je sçays de certain,
me croirez vous ? » Et pour ce que ledit seigneur ne luy respondit pas promptement, elle luy demanda encoires une aultre foys. Adoncq luy dist le roy : « Jhenne, si vous me dictes chose qui me soit proffitable, je vous croiray voluntiers. » — « Et je vous asseure, dit elle, sire, que devant qu'il soit deux jours, ceulx de Troyes se rendront a vous et vous rendront la ville. » — Lesquelles paroles oyes, le roy fut conseillé actendre encorres deux jours. Et commanda que homme du monde ne partist du siege. Et incontinent apprez ledit commandement, ladicte Pucelle print ses armes et monta a cheval ; et fist crier par tout l'ost que tous les gens d'armes et aultres apportassent eschelles, fagostz, bourrés et aultres choses neccessaires pour assaillir ladicte ville. Et fist le tout metre dedens les fossez, et drecer lesdictes eschelles contre la muraille. Laquelle chose voyant, ceulx de la ville incontinent envoyerent leur evesque et aulcun nombre des citoyens et des gens d'armes qui estoyent dedens, devers le roy. Auquel ilz offrirent rendre la ville, [27] se ilz vouloyent permettre que les Angloys qui estoyent dedens s'en allassent, leurs bagues saulves. Ce que le roy leur accorda. Et fut appoincté que le lendemain au mattin il entreroit dedens ladicte ville.
Source
: Édition de "La minute française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle".1952 - Paul Doncoeur.
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