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La chronique du héraut d'armes Berri - index
II

'an mil IIIIc et vingt neuf fut levé le siège d'Orléans le XIIe jour de may. Et en ce temps se partit ladicte Pucelle du chastel de Chinon et print congié du roy, et chevaucha tant par ses journées qu'elle arriva dedans la bonne cité d'Orléans malgré les Anglois, et leur envoia lettres par ung hérault publiquement devant tout le monde, qu'ilz s'en alassent et que Dieu le vouloit, ou si non il leur mescherroit, et que Dieu se courouceroit à eulx s'ilz faisoient le contraire. Lesditz Anglois prindrent ledit hérault et jugèrent qu'il seroit ars et firent faire l'atache pour le ardoir. Et toutes voies, avant qu'ilz eussent l'oppinion et conseil de l'université de Paris et de ceulx tenus de ce faire, ilz furent levés, mors et desconfiz et partirent si hastivement qu'ilz laissèrent ledit hérault en leurs logis, tout enferré, et s'enfouirent.
  Ladicte Pucelle visita les bastilles qu'ilz avoient emparrées; et estoient avec elle le sire de Rieux, mareschal de France ; le bastard d'Orléans et messire Loys de Cullant, admiral, et plusieurs aultres chevaliers et escuyers dessus nommez. Et l'endemain se partit laditte Pucelle d'Orléans et vint à Blois (1) pour avoir gens et vivres. Et ce fait vint audit lieu d'Orléans atout une grosse puissance de gens d'armes.
  Et si tost qu'elle fut entrée en la dicte ville, le peuple s'enpartit d'Orléans du grant voulloir qu'ilz avoient d'estre hors de la servitute desdis Anglois. Et assaillirent la bastide de Saint Lo que les François (2) avoient prinse. Mais quant ilz furent myvoie ilz apperceurent que le feu estoit dedans et qu'elle estoit perdue pour eulx.
  Et y estoient allés monseigneur le bastard d'Orléans, le sire de Rieux et plusieurs autres, quant ilz sceurent que le peuple estoit esmeu de y aller. Et fut le commencement du siege levé; et là furent mors et ars LX Anglois, et XXII prisonniers qui furent à monseigneur le bastard d'Orléans. Et tenoit celle ditte bastille ung capitaine anglois nommé Thomas Guerrard, lequel estoit à Monstereau dont il estoit cappitaine pour lesdis Anglois.
  Et ce soir passèrent les François en bateaulx la rivière de Loire et allèrent assaillir les bastilles du costé de Beausse (3) et celle des Augustins devant la porte du pont, et les prindrent. Et ce soir se retrahirent lesdits François en la ditte ville et la ditte Pucelle avec eulx et une partie des gens d'armes demourèrent au champ toute la nuyt.
  Et l'endemain au matin qui estoit jour de samedi, lesditz François passèrent de rechief ladicte rivière pour assaillir la bastille du pont. Et là furent le sire de Rieux, le bastard d'Orléans, le sire de Gaucourt, le seigneur de Graville, le sire de Guitry (4), le sire de Courraze (5), le sire de Villars (6), messire Denis de Chailly, l'admiral messire Loys de Cullant, La Hire, Poton, le commandeur de Giresme, messire Florant d'Illiers, Le Bourg de Masquaren, Thibault de Tarmes et plusieurs aultres; lesquelz donnèrent l'assault de toutes pars à laditte bastille du pont, depuis le midi jusques au soleil couchant, et tant que par force d'armes ladicte bastille fut prinse. Et y moururent les seigneurs de Pougnis et de Moulins (7) et ung cappitaine nommé Clacidas, Anglois, lequel estoit cappitaine d'icelle bastille; et en se cuidant retraire dedans la tour du boulevart, le pont fondit, et luy et tous ceulx qui estoient sur ledit pont fondirent en la rivière de Loire ; et là dedans furent que mors, que prins, que noiés, de IIII à Vc Anglois.
  Et le lendemain au matin, qui fut dimanche, se levèrent les Anglois de devant Orléans et s'en allèrent à Mehun sur Loire, la plus part à pié, et laissèrent leurs bastilles, vivres et artillerie. Dont ceulx de la ditte ville d'Orléans furent moult reffaiz et eurent assés grant confort des vivres qu'ilz trouvèrent ès dittes bastilles.

                                                         

  L'an mil IIIIe et vingt-neuf fut levé le siège d'Orléans, le XIIe jour de mai (8). Et en ce temps se partit la Pucelle du châtel de Chinon ; elle prit congé du roi, et chevaucha tant par ses journées qu'elle arriva dedans la bonne cité d'Orléans malgré les Anglais. Par un héraut, elle leur envoya publiquement devant tout le monde des lettres portant qu'il s'en allassent, que Dieu le voulait, que sinon il leur mescherroit (arriverait malheur), et que Dieu se courroucerait contre eux s'ils faisaient le contraire. Lesdits Anglais prirent le héraut, et décidèrent qu'il serait ars, et firent faire l'attache (le bûcher [?]) pour le brûler. Toutefois, avant qu'ils eussent reçu le sentiment et conseil de ceux de l'Université de Paris et de ceux tenus de ce faire (de donner conseil), ils durent lever le siège, furent morts et déconfits, et partirent si hâtivement qu'ils laissèrent le héraut en leurs logis tout enferré, et s'enfuirent.
  La Pucelle visita les bastilles qu'ils avaient élevées ; et étaient avec elle le sire de Rais, maréchal de France, le bâtard d'Orléans, et messire Louis de Culan, amiral, et plusieurs autres chevaliers et écuyers dessus nommés. Le lendemain la Pucelle partit d'Orléans et vint à Blois pour avoir argent et vivres (9). Cela fait, elle vint audit lieu d'Orléans avec une grosse puissance de gens d'armes.
  Sitôt qu'elle fut entrée en la ville, le peuple sortit d'Orléans (des remparts) par le grand vouloir qu'ils avaient d'être hors la servitude des Anglais. Ils assaillirent la bastide de Saint-Loup et la prirent d'assaut. Et alors les Anglais qui étaient dans les autres bastilles loin de là se mirent en chemin pour secourir la bastille de Saint-Loup. Mais avant qu'ils fussent à mi-chemin, ils aperçurent que le feu était dedans et qu'elle était perdue pour eux (10).
  Étaient allés à l'attaque Mgr le bâtard d'Orléans, le sire de Rais, et plusieurs autres, quand ils surent que le peuple était ému d'y aller. Ce fut le commencement de la levée du siège. Là furent morts et brûlés 60 Anglais, et 22 furent faits prisonniers. Ils furent à Mgr le bâtard d'Orléans. Cette bastille était tenue par un capitaine anglais nommé Thomas Guérard, qui était capitaine de Montereau pour les Anglais.
  Ce soir (11), les Français passèrent en bateaux la rivière de Loire, et allèrent assaillir les bastilles du côté de la Vicomté (12), et celle des Augustins devant la porte du pont et les prirent. Et ce soir, les Français se retirèrent en la ville, et la Pucelle avec eux, et une partie des gens demeurèrent aux champs toute la nuit.
  Le lendemain au matin, qui était jour de samedi, les Français passèrent de nouveau la rivière pour assaillir la bastille du pont. Et là furent le sire de Rais, le bâtard d'Orléans, le sire de Gaucourt, le seigneur de Graville, le sire de Guitry, le sire de Coarraze, le sire de Villars, messire Denis de Chailly, l'amiral messire Louis de Culan, La Hire, Poton, le commandeur de Giresme, messire Florent d'Illiers, le Bourg de Mascaran, Thibaud de Thermes et plusieurs autres; lesquels donnèrent l'assaut de toutes parts à ladite bastille du pont depuis le midi jusque au soleil couchant, et tant, que par force d'armes la bastille fut prise. Et là moururent les seigneurs de Poynings, et de Molyns, et un capitaine nommé Glacidas, Anglais, qui était capitaine d'icelle bastille. Comme il pensait se retirer dedans la tour du boulevard, le pont fondit, et lui et tous ceux qui étaient sur ce même pont fondirent en la rivière de Loire; et là dedans furent qui morts, qui pris, qui noyés, de 400 à 500 Anglais.
  Le lendemain matin, qui fut dimanche, les Anglais se levèrent de devant Orléans et s'en allèrent à Meung-sur-Loire, la plupart à pied; et ils laissèrent leurs bastilles, leurs vivres et leur artillerie; ce dont ceux de la ville d'Orléans furent moult refaits, et ils eurent très grand confort des vivres qu'ils trouvèrent dans les dites bastilles.


 

                                        
         


Source : "Chronique de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville - 1868.

Notes (Quicherat 1 à 7 & Ayroles à.p. de 8) :
1 Erreur. Elle sortit au-devant du convoi à son arrivée, mais n'alla pas le chercher à Blois.

2 Les manuscrits et l'édition sont conformes sur ce passage qui est inintelligible. Godefroy suppose qu'il faut substituer Anglois à François ; mais cela produit un contre-sens. Évidemment une phrase est tombée du texte. L'auteur devait dire que les Anglais des autres bastilles étaient sortis pour venir au secours de leurs compatriotes assiégés à Saint-Loup.

3 Lisez Sologne.

4 Guillaume de Chaumont, seigneur de Guitry.

5 Raimon Arnaut, seigneur de Coarraze en Béarn.

6 Archambault de Villars, très-vieux chevalier, autrefois favori du duc Louis d'Orléans et Capitaine de Montargis. Il s'était rendu célèbre dans le combat de sept Anglais contre sept Français qui eut lieu à Montendre en 1402.

7 Les lords Poynings et Molyns (Calend. Inquis. post mortem, Henry VII septième année).

8 Le 8 et pas le 12.

9 C'est une erreur.

10 La phrase donnée par Quicherat est de tout point inintelligible. Il le constate lui-même, et il a raison ; mais il a tort d'affirmer que c'est la phrase donnée par tous les manuscrits. Le manuscrit 23 283 est le seul qui présente cet imbroglio. Les manuscrits 2860 et 2861 portent la phrase ici reproduite.

11 C'est encore inexact. Entre l'assaut de Saint-Loup et de Saint-Augustin se place la fête de l'Ascension, qui ne fut pas un jour de combat.

12 Le manuscrit reproduit par Quicherat porte « la Beauce », les deux autres « de la Vicomté ». C'est « de la Sologne », qu'il faut lire.





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