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Journal d'un Bourgeois de Paris-
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chap.573 |
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tem, vray est qu'elle disoit estre aagée environ de xvii ans, sans avoir honte que maugré pere et mère et parens et amis, que souvent alloit à une belle fontaine ou pais de Louraine, laquelle elle nommoit Bonne Fontaine aux Fées Nostre-Seigneur, et en cellui lieu tous ceulx du pais, quant ilz avoient fievres, ilz alloient pour recouvrer garison. Et là alloit souvent ladicte Jehanne la Pucelle soubz ung grant arbre qui la fontaine ombreoit, et s'apparurent à lui saincte Katherine et saincte Marguerite, qui lui dirent qu'elle allast à ung cappitaine que ilz lui nommerent, laquelle y alla sans prendre congié à pere ne à mere; lequel cappitaine la vesti en guise de homme, et l'arma et lui sainct l'espée, et lui bailla ung escuier et un varletz, et en ce point fut montée sur ung bon cheval. Et en ce point vint au roy de France et lui dist que du commendement de Dieu estoit venue à lui, et qu'elle le feroit estre le plus grant signeur du monde, et qu'il fust ordonné que tretous ceulx qui lui desobeiroient fussent occis sans mercy, et que sainct Michel et plusieurs anges lui avoient baillé une coronne moult riche pour lui, et si avoit une espée en terre aussi pour lui, mais elle ne lui baudroit tant que sa guerre fust faillie. Et tous les jours chevautchoit avec le roy, à grant foison de gens d'armes, sans aucune femme, vestue, atachée et armée en guise de homme, ung gros baston en sa main, et quant aucun de ses gens mesprenoit, elle frappoit dessus de son baston grans coulz, en maniere de femme tres cruelle.
Item - Il est vrai qu'elle disait être âgée d'environ dix-sept ans ; elle disait sans éprouver de honte que, malgré père, mère, parents et amis, elle allait souvent, au pays de Lorraine, à une fontaine qu'elle appelait bonne fontaine aux fées Notre-Seigneur, lieu où tous ceux du pays, quand ils avaient les fièvres, allaient pour recouvrer la santé. Ladite Jeanne la Pucelle y allait souvent sous un arbre qui ombrageait la fontaine ; et là lui apparurent sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui ordonnèrent
d'aller vers un capitaine qu'elles lui nommèrent, et elle y alla sans
prendre congé ni de père ni de mère. Ce capitaine la vêtit à la manière
des hommes, l'arma, lui ceignit l'épée, lui donna un écuyer et trois valets,
et en cet état elle fut montée sur un bon cheval. En cet état elle vint au
roi de France, et elle lui dit qu'elle était venue vers lui du commandement
de Dieu, qu'elle le ferait être le plus grand seigneur du monde ;
qu'il fût ordonné que tous ceux qui lui désobéiraient fussent mis à mort sans merci; que saint Michel et plusieurs anges lui avaient
donné une très riche couronne pour lui, et qu'il y avait en terre une épée pour lui, mais elle ne lui vaudroit tant que sa guerre fust faillie.
Tous les jours elle chevauchait avec le roi, avec grande foison de gens d'armes, sans aucune femme, vêtue, chaussée et armée à la guise des
hommes, un gros bâton dans sa main, et quand un de ses gens se trompait, elle l'en frappait à grands coups, en femme très cruelle.
Source : Texte original et notes d'érudition : "Journal d'un bourgeois de Paris" - Alexandre Tuetey - 1881.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.513 à 530.
Notes (A. Tuetey) :
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