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Journal d'un Bourgeois de Paris-
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chap.577-78 |
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tem, en plusieurs lieux elle fist tuer hommes et femmes tant en bataille comme de vengence voluntaire, car qui n'obeissoit aux lettres qu'elle faisoit elle faisoit tantost mourir sans pitié quant elle en avoit povoir, et disoit et affermoit que elle ne faisoit nulle rien que par le commandement que Dieu lui mandoit tres souvent par l'archange sainct Michel, saincte Katherine et saincte Marguerite, lesquelx lui faisoient ce faire, et non pas comme Nostre Seigneur faisoit à Moyse au mont de Synai, mais, proprement lui disoient des choses secretes à advenir, et qu'ilz lui avoient ordonné et ordonnoient toutes les choses qu'elle faisoit, fust en son habit ou autrement.
578 - Telles faulces erreurs et pires avoit assez dame Jehanne, et lesquelles lui furent toutes declairées devant [tout] le peuple, dont ilz orent moult grant orreur quant ilz ouirent raconter les grans erreurs qu'elle avoit eues contre nostre foy et avoit encore, car pour chose que on lui demonstrast ses grans malefices et erreurs, elle ne s'en effroioyt ne esbahissoit, ains respondoit hardiement aux articles que on lui proposoit devant elle, comme celle qui estoit toute plaine de l'ennemy d'enfer; et bien y paru, car elle veoit les clercs de l'Université de Paris (1) qui si humblement la prioient qu'elle se repentist et revocast de celle malle erreur, et que tout luy serait pardonné par penitance, ou, se non, elle serait devant tout le peuple arse et son ame dampnée ou fons d'enfer, et lui fut monstré l'ordonnance et la place où le feu devoit estre fait pour l'ardoir bientost, se elle ne se revocquoit. Quant elle vit que c'estoit à certes, elle cria mercy et soy revocqua de bouche, et fut sa robe ostée et vestue en habit de femme, mais aussitost qu'elle se vit en tel estat, elle recommença son erreur comme devant, demandant son habit de homme. Et tantost elle fut de tous jugée à mourir, et fut liée à une estache qui estoit sur l'eschaffaut qui estoit fait de piastre, et le feu sus lui, et là fut bientost estainte et sa robbe toute arse, et puis fut le feu tiré ariere, et fut veue de tout le peuple toute nue et tous les secrez qui pevent estre ou doyvent [estre] en femme, pour oster les doubtes du peuple. Et quant ilz orent assez et à leur gré veue toute morte liée à l'estache, le bourel remist le feu grant sur sa pouvre charongne qui tantost fut toute comburée, et os et char mise en cendre. Assez avoit là et ailleurs qui disoient [qu'elle estoit martire et pour son droit signeur, autres disoient] que non et que mal avoit fait qui l'avoit tant gardée. Ainsi disoit le peuple (2), mais quelle mauvestie ou bonté qu'elle eust faicte, elle fut arse celui jour.
577 - En plusieurs lieux elle fit tuer hommes et femmes, soit dans le combat, soit par esprit de vengeance, car qui n'obéissait pas aux lettres qu'elle envoyait, elle les faisait mourir sans pitié, aussitôt qu'elle en avait le pouvoir ; et elle disait et affirmait ne rien faire que par le commandement que Dieu lui transmettait très souvent par l'archange saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, qui lui faisaient ce faire ; et non pas comme Notre-Seigneur faisait au mont Sinaï, mais qu'ils lui disaient en propres termes des secrets de l'avenir, et qu'ils lui avaient ordonné, et lui ordonnaient toutes les choses qu'elles faisait, soit pour son habit, soit autrement.
578 -
Telles fausses erreurs et pires encore dame Jeanne en avait quantité. Elles lui furent toutes déclarées devant le peuple ; tous éprouvèrent une très grande horreur quand ils ouïrent raconter les grandes erreurs contre
la foi qu'elle avait eues et conservait encore, car on avait beau lui démontrer
ses grands maléfices et ses égarements, elle ne s'en effrayait pas,
elle ne s'en ébahissait pas ; au contraire elle répondait hardiment aux
articles qu'on proposait contre elle, en femme toute remplie de l'ennemi
d'enfer. Il y parut bien, alors qu'elle voyait les clercs de l'Université de
Paris la prier bien humblement de se repentir, et de rétracter de si
mauvaises erreurs, et que tout lui serait pardonné, à cause de sa pénitence
; que sinon elle serait brûlée devant tout le peuple, et son âme damnée au fond des enfers, et qu'on lui montrait les préparatifs et le lieu du bûcher qui devait la brûler bientôt, si elle ne se rétractait pas. Quand elle vit que c'était tout de bon, elle cria merci, et se rétracta de bouche ; son vêtement d'homme lui fut enlevé, et elle prit un habit de femme ; mais sitôt qu'elle se vit en cet état, elle revint à son erreur précédente, et demanda son habit d'homme. Elle fut aussitôt par tous condamnée à mourir. Elle fut liée à un poteau sur un échafaud fait de plâtre, et le feu fut mis par-dessous. Elle fut bientôt morte et son vêtement tout brûlé. Le feu fut ensuite retiré ; tout le peuple la vit toute nue avec tout ce qui peut et doit caractériser une femme, pour lui enlever toute incertitude. Quand ils l'eurent contemplée à leur gré, bien morte, attachée au poteau, le bourreau ralluma un grand feu sur sa pauvre charogne, qui fut promptement comburée, et ses os et sa chair réduits en cendres. Il n'en manquait pas là et ailleurs qui disaient qu'elle était martyre, et cela pour son droit seigneur ; les autres disaient que non, et que l'on avait mal fait de la garder si longtemps. Ainsi parlait le peuple. Mais, quoi qu'il en soit de sa méchanceté ou de sa bonté, elle fut brûlée ce jour-là.
Source : Texte original et notes d'érudition : "Journal d'un bourgeois de Paris" - Alexandre Tuetey - 1881.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.513 à 530.
Notes (A. Tuetey) :
1 Les clercs de l'Université de Paris dont veut parler l'auteur du Journal sont vraisemblablement Girard Feuillet, Jacques de Touraine, Nicolas Midy, Maurice du Quesnoy et Guillaume le Boucher, tous docteurs et professeurs en la faculté de théologie de Paris, qui dans la séance du 18 avril adjurèrent Jeanne d'Arc de renoncer à ses erreurs et de se soumettre à l'Eglise (Quicherat, Procèt de Jeanne d'Arc, t. I, p. 375).
2 Tout ce qui est de nature à nous éclairer sur les manifestations de l'opinion publique au moment où Jeanne d'Arc remplissait sa sublime mission mérite de fixer l'attention des érudits; aussi lira-t-on avec intérêt, croyons-nous, les propos tenus à Abbeville sur la Pucelle l'année même de sa mort, tels que nous les trouvons rapportés dans des lettres de rémission du 6 Juillet 1432, lettres dont personne à notre connaissance n'a tiré parti,
« Après que nos ennemis et adversaires, estant en leur compaignie la femme vulgaument nommée la Pucelle, furent venus en nostre ville de Paris, un certain jour, lesd. supplians (deux habitants d'Abbeville) estans en la compaignie d'un nommé Colin Broyart devant et assez pres de l'ostel d'un mareschal nommé Guillaume du Pont en nostre ville d'Abbeville, entendirent que aucuns parloient des faiz et abusions de ladicte nommée vulgaument la Pucele, et par especial un herault, auquel herault ledit Petit eust dit : Bran ! bran ! et que chose que dist ne fist icele femme n'estoit que abusion, et pareillement le dirent ledit Colin et autres dessus-diz, et que à icele femme l'en ne devait adjouster foy, et que ceulx qui en icele avaient créance estoient folz et sentoient la persinée, ou paroles semblables en substance. » (Arch. nat., JJ 175, n° 125.)
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