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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-23- [Comment les ducz de Bethfort et de Bourgongne rendirent grand paine à appaisier les ducz de Glocestre et de Braibant.] |
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l'issue du mois d'octobre convindrent ensamble en la cité de Paris les ducz de Bethfort et de Bourgongne, chascun à tout son conseil, ainsi que promis l'avoient à la darraine convencion par eulx tenue à Amiens, pour traictier de la paix et discence qui estoit mette entre le duc Jehan de Braibant et le duc de Glocestre. Et là, en ladicte ville de Paris, pratiquèrent et débatirent la manière en grande délibéracion de conseil par plusieurs journées, selonc les proposicions, alégacions et probacions d'une partie et d'autre. Jà soit que ycelles parties eussent procès en court de Romme devant le pape. Et, en fin, traictièrent tant, lesdiz ducz de Bethfort et de Bourgongne, qu'ilz firent appointement selonc leur advis et de leurs consaulx, entre ycelles parties. Lequel traictié ilz envoyèrent par leurs ambassadeurs devers les deux ducz de Braibant et de Glocestre. Et ala en ceste ambassade devers le duc de Glocestre à Calais, où il estoit lui et sa femme, messire Raoul le Boutillier et l'abbé de Fouquans (1). Lesquels, là venus, moustrerent audit duc les articles dudit appointement et de leur ambassade. Les quels eurent dudit duc de Glocestre et de la dame responce négative, disans ainsy, que point ne tenroient celle ordenance, mais yroient en Haynau à puissance, prendre l'obéissance de leur pays. Et sur ceste responce, se départirent lesdiz ambassadeurs. Et ceulx qui furent envoyés devers le duc de Braibant eurent de luy responce avec son conseil, que l'appointement que avoient fait les ducz de Bourgongne et de Bethfort, il l'avoit bien pour agréable et qu'il en estoit content. Lesquelles responces des deux ducz dessusdiz furent portées à Paris devers les dessusdiz de Bethfort et de Bourgongne, qui de ce furent moult troublés, pour ce que le duc de Glocestre n'avoit volu entretenir l'apointement qu'ilz avoient fait. Et par espécial le duc de Bourgongne en fu très mal content, et tant, qu'il dist tout plainement à son beau frère le duc de Bethfort : puisqu'il veoit que son frère le duc de Glocestre ne vouloit condescendre à nul traictié de raison, qu'il aiderait de toute sa puissance son cousin le duc de Braibant à garder son honneur et sa signourie contre ledit duc de Glocestre. Pour lesquelles tribulacions le duc de Bethfort fu très courroucié en cuer contre son frère, doubtant que par telles divisions et discencions les aliances qu'ils avoient en France avec le duc de Bourgongne ne fussent du tout corrumpues et adnichillées.
Item, les ducs de Bethfort et de Bourgongne firent la feste de tous les sains et le jour des âmes (2) dedens Paris sollempnelment, chascun en leurs hostelz. Et lors, aulcuns jours eusievans, ledit duc de Bourgongne fist en son hostel d'Artois et à ses propres despens, les nopces de messire Jehan de La Trimouille, seigneur de Jouvelles, et de la damoiselle de Rochebaron, seur au seigneur d'Amboise, qui pour ce temps se tenoit avec la royne de France (3), femme au roy Charles desfunct, en la compaignie de la dame de La Frète. Aux quelles nopces furent, ladicte royne, ledit duc de Bethfort, sa femme la duchesse, seur au duc de Bourgongne, avecques eulx le conte de Salseberi et la contesse sa femme, le conte de Suffort, l'évesque de Terrewane (4), le seigneur d'Escalle, avecques très grand nombre de notables chevaliers, escuyers, dames et damoiselles et autres gens de grand et noble estat, qui très grandement furent festoyés et receus par ledit duc de Bourgongne et les siens. Et furent adonc grans résolutions et esbatemens, tant en boires et en mengiers riches et précieux, comme en dansses, joustes et aultres esbatemens. Et mesme joustèrent les ducz de Bethfort et de Bourgongne et aulcuns aultres princes, avecques grand nombre de leur chevalerie. En après le duc de Bourgongne retourna de Paris en son pays de Bourgongne, et là prist en mariage, par dispensacion apostolique, la vesve de son oncle (5), conte de Nevers, jadis mort à la bataille d'Azincourt. Laquelle dame estoit moult renommée de vivre saintement, et avoit du dessusdit conte de Nevers deux filz. Et si estoit seur germaine au conte d'Eu, qui pour lors estoit prisonnier en Angleterre, et demie seur à Charles de Bourbon, conte de Clermont.
En ce mesme temps rendi son esperit Jehan de Baivière, jadis évesque de Liège, oncle au duc de Bourgongne et à la duchesse Jacqueline de Bavière. Et pour tant qu'il n'avoit nul enfant de la duchesse de Luxembourg, sa femme, il déclaira en son derrain ledit duc de Bourgongue son hoir et successeur, et mist du tout en oubli la descendence Jaqueline de Bavière, sa nièpce.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Fécamp.
2 La Toussaint. Le jour des Morts.
3 Isabeau de Bavière.
4 Thérouanne (Pas de Calais).
5 Bonne d'Artois, fille de Philippe, comte d'Eu, et veuve de Philippe, comte de Nevers. Philippe le Bon eut trois femmes, celle-ci est la deuxième. La première avait été Michelle de France, fille de Charles VI. Il épousa en troisièmes noces Isabelle de Portugal.
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