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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-58
- Comment, de par le roy Charles et ceulx de la ville d'Orliens, vinrent ambassadeurs en la cité de Paris pour faire traictié au duc de Bethfort adfin que ladicte ville d'Orliens demourast paisible. |
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u commencement de cest an (1), le duc de Bourgongne, acompaignié de six cens chevaulcheurs ou environ, ala à Paris devers le duc de Bethfort, duquel il fut assez joieusement reçeu, et aussi de sa seur, femme audit duc. Auquel lieu, en assez brief temps ensuivant, vinrent Pothon de Sainte-Treille, Pierre d'Orgni et aulcuns aultres ambassadeurs, envoyez par le roy Charles et ceulx de la ville d'Orliens, qui moult estoient molestés et constrains par le siège que les Anglois y tenoient, duquel est faict mention, adfin de traictier avec le duc de Bethfort et le conseil du roy Henry d'Engleterre, que ycelle ville d'Orliens ainsi oppressée demourast paisible, et quelle feust mise et baillié ès mains du duc de Bourgongne pour y mettre gouverneur à son plaisir et le tenir comme neutre; considéré aussi que le duc d'Orliens et son frère le duc d'Angoulesme, qui en estoient droituriers seigneurs, de long temps par avant estoient prisonniers en Engleterre, et si n'estoient point de la guerre. Sur laquelle requeste, le dessusdit duc de Bethfort assambla par pluiseurs fois son conseil pour sur ce avoir advis et délibéracion. Et fut la cause pour ce que pluiseurs remonstrèrent audit duc de Bethfort les grans frais et despens que le roy Henry avoit soustenu à l'occasion dudit siège, et avec ce y avoit perdu de ses meilleurs hommes de guerre. Disant oultre qu'elle ne povoit longuement durer sans estre subjuguée, et quilz estoient moult constrains et en grant dangier, et que c'estoit une des villes du royaume qui leur estoit plus proufitable à avoir, pour pluiseurs raisons quilz y mettaient. D'aultre part, les aultres n'estoient point contens qu'elle feust mise entre les mains du duc de Bourgongne, et disoient qu'il n'estoit point raison que le roy Henry et ses vassaulx en eussent eu les paines et soustenu les mises, et ycelui duc de Bourgongne en auroit les honneurs et les proufis, sans cop férir. Et mesmement fut dit de ung nommé maistre Raoul le Saige, qu'il ne seroit jà en lieu où on le maschast, le duc de Bourgongne, et il l'avaleroit. Finablement, après que la besongne eut esté de pluiseurs fort dé-batue et examinée, il fut conclud que yceulx Orlien-nois ne seroient pas reçeuz, se ils ne traictoient et rendoient leur ville aux Anglois. Et pour tant, lesdiz ambassadeurs, ceste piesme response oye, dirent que de ce ilz n'estoient point chargiez, et que lesdiz Orliennois soufferoient moult de griefz avant qu'ilz se meissent en l'obéyssance et subjection desdiz Anglois. Après lesquelles conclusions, les dessusdiz ambassadeurs se départirent de la ville de Paris, et retournèrent dedens la ville d'Orliens, auquel lieu ilz rendirent la responce de leur dicte ambassade. Toutefois, le duc de Bourgongne se tint assez content d'eulx touchant l'estat des besongnes dessusdictes, et estoit bien content, ou cas qu'il eust pleu au roy Henry et à son conseil, de prendre le gouvernement de ladicte cité d'Orliens, tant pour l'amour de son beau cousin ledit duc d'Orliens, comme pour eschever les adventures qui en povoient advenir. Mais alors, yceulx Anglois estoient en grande prospérité et n'avoient point considéracion que la roue de fortune eust puissance de tourner contre eulx. Et jà soit ce que en ycelui voiage le duc de Bourgongue feist à son beau frère le duc de Bethfort plusieurs requestes, tant pour lui comme pour ses gens, nientmains lui en furent assez peu accordées. Et après qu'il eust sousjourné en la ville de Paris environ trois sepmaines, il s'en retourna en son pays de Flandres, où il fut moult oppressé de maladie. Mais par la diligence de bons médecins il recouvra santé.
Au commencement de cet an, le duc de Bourgogne accompagné de six cents chevaucheurs ou environ, vint à Paris vers le duc de Bedford par lequel il fut très joyeusement reçu, ainsi que par sa soeur, femme du même duc. Là ne tardèrent pas à venir Poton de Xaintrailles, Pierre d'Orgin, et d'autres nobles ambassadeurs envoyés par le roi Charles, et par ceux de la ville et cité d'Orléans très fort molestés et resserrés par le siège des Anglais. Ils voulaient traiter avec le duc de Bedford et le
conseil du roi Henri d'Angleterre, pour que la ville d'Orléans sortît de
son oppression et demeurât paisible, remise qu'elle serait entre les mains du duc de Bourgogne, qui y établirait un gouverneur à son plaisir, et la
tiendrait comme neutre ; d'autant plus que le duc d'Orléans et son frère,
le comte d'Angoulême, qui depuis longtemps en étaient les droituriers
seigneurs, étaient prisonniers en Angleterre, et n'étaient point de ladite
guerre. Le duc de Bedford convoqua plusieurs fois son conseil pour avoir son
avis et ses sentiments sur semblable requête. Le conseil ne put venir à
s'accorder sur pareille demande. Plusieurs remontrèrent au duc de Bedford
les grands frais et les grandes dépenses du roi Henri pour le siège; il y
avait perdu plusieurs de ses meilleurs hommes ; la ville ne pouvait pas
longtemps tenir sans être subjuguée, et les habitants étaient dans le plus
grand péril ; c'était une des villes du royaume dont il importait le plus
d'être les maîtres, pour des raisons qu'ils en posaient. D'autres témoignaient
leur mécontentement à la pensée qu'elle serait remise entre les
mains du duc de Bourgogne. Il n'était point raisonnable que le roi Henri
et ses vassaux eussent eu les peines et soutenu les mises, et que le duc de
Bourgogne en eût, sans coup férir, les honneurs et les profits. Un conseiller,
maître Raoul le Sage, dit qu'il ne serait jamais en un lieu où l'on
mâcherait [le fruit] au duc de Bourgogne, pour que ce même duc l'avalât.
Finalement, l'affaire débattue et examinée, la conclusion fut qu'on n'entendrait
pas les Orléanais s'ils ne voulaient traiter avec les Anglais et leur
rendre la ville.
En entendant cette réponse, les ambassadeurs répliquèrent qu'ils étaient sans pouvoir pour traiter sur ce pied ; et qu'ils savaient bien que
les Orléanais endureraient bien des maux, avant de se mettre en l'obéissance
et sujétion des Anglais. Ces conclusions données, les ambassadeurs
repartirent et retournèrent en la noble ville d'Orléans, où ils firent
connaître l'accueil fait à leur proposition.
Cependant le duc de Bourgogne, à propos de ces affaires, fut content
des ambassadeurs Orléanais. Si cela avait plu au roi et à son conseil,
c'eût été bien volontiers qu'il aurait assumé le gouvernement de la cité
et ville d'Orléans, tant pour l'amour de son beau cousin le duc d'Orléans
que pour éviter les suites qui pouvaient résulter de sa prise ; mais les
Anglais, alors en grande prospérité, ne songeaient pas que la roue de la
fortune pouvait tourner contre eux ; et quoique, en ce voyage, le duc de
Bourgogne eût fait plusieurs requêtes à son beau-frère le duc de Bedford,
tant pour lui comme pour ses gens, peu lui furent accordées. Après
environ trois semaines de séjour en la noble et royale ville de Paris, il
retourna en son pays de Flandres...
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.
Notes :
1 L'année commençant à Pâques, qui tombait cette année le 27 mars, on doit entendre les derniers jours de mars ou les premiers d'avril. Chuffart dit que ce fut le 4 avril.
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