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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-60
- Comment le roy de France, à la requeste de la Pucelle et des aultres capitaines estans à Orliens, leur envoya grans gens d'armes pour aler sur ses ennemis. |
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n après, les François estans dedens Orliens, est as savoir les capitaines avec Jehenne la Pucelle, tout d'un commun accord, envoyèrent leurs messages devers le roy de France, à pluiseurs fois, lui racompter les victorieuses besongnes qu'ilz avoient faites et comment les Anglois ses ennemis s'estoient départis et retournés en leurs garnisons, ycelui roy admonestant, que sans délay leur envoiast le plus de gens de guerre qu'il pourroit finer, avec aulcuns grans seigneurs, adfin qu'ilz peussent poursuivir leurs ennemis, lesquelz estoient tous effraés pour la perte qu'ilz avoient faite ; et aussy, que luy mesme en sa personne se tirast avant en la marche. Lesquelles nouvelles furent au roy et à son conseil très plaisantes. Ce fut bien raison. Si furent incontinent mandés à venir devers lui, le connestable, le duc d'Alençon, Charles, seigneur de Labreth, et pluiseurs aultres grans seigneurs. Desquelz la plus grand partie furent envoyés à Orliens. Et d'aultre part, certain espace de temps après, le Roy se traist à Gien, et avec lui très grand nombre de combatans.
Et yceulx capitaines, qui par avant estoient à Orliens, et les princes et grans seigneurs qui nouvellement y estoient venus, tinrent grans consaulx tous ensamble l'un avec l'autre, pour avoir advis se ilz poursuivraient les Anglois. Esquelz consaulx estoit première appellée Jehenne la Pucelle, qui pour ce temps estoit en grand règne. Finablement les François, environ la my-may, dont le siège avoit esté levé à l'entrée d'ycelui mois, se mirent sur les champs, jusques au nombre de cinq à six mille combatans, à tout charroy et habillemens de guerre, et prinrent leur chemin droit vers Gargeaux (1), où estoit le comte de Suffort et ses frères, qui des jà par avant avoient envoyé plusieurs messages à Paris devers le duc de Bethfort, pour lui noncier la perte et la male aventure qui leur estoit advenue devant Orliens, en lui requérant que brief leur voulsist envoyer souscours, ou autrement ilz estoient en péril d'estre reboutés et de perdre plusieurs villes et forteresces qu'ilz tenoient ou pays de Beausse et sur la rivière de Loire. Lequel duc de Bethfort, oyant ces males nouvelles, fut moult anoyeux et desplaisant. Nientmains, lui considérant qu'il convient pourveoir aux choses plus nécessaires, manda hastivement gens de tous pays estans en son obéyssance, et en fist assambler de quatre à cinq mille, lesquelz il fist mettre à chemin et tirer vers le pays d'Orliens, soubz la conduite de messire Thomas de Rampston, du bastard de Thian, et aulcuns autres. Auxquels il promist, que brief ensuivant il yroit après eulx, à tout plus grand puissance, qu'il avoit mandé en Angleterre
Les Français qui étaient dans Orléans, à savoir les capitaines avec Jeanne la Pucelle, envoyèrent d'un commun accord plusieurs messages
au roi de France, pour lui raconter les besognes victorieuses qu'ils avaient
faites, et comment les Anglais ses ennemis étaient partis et retirés dans
leurs garnisons, lui demandant d'envoyer sans délai le plus de gens
qu'il pourrait trouver, ainsi que plusieurs grands seigneurs, afin de pouvoir
poursuivre leurs ennemis effrayés par la perte qu'ils venaient de
faire ; ils lui demandaient de se mettre lui-même en marche en personne,
pour aller de l'avant. Pareilles nouvelles furent très agréables au roi et à son conseil ; et c'était bien raison.
Incontinent furent mandés auprès du roi le Connétable, le duc
d'Alençon, Charles seigneur d'Albret, et plusieurs autres grands seigneurs,
qui pour la plupart furent envoyés à Orléans.
D'autre part le roi, quelque temps après, se dirigea vers Gien, amenant
avec lui un très grand nombre de combattants.
Les capitaines qui déjà se trouvaient à Orléans, les princes et les grands
seigneurs qui y étaient récemment arrivés, tinrent ensemble de grands
conseils pour décider s'ils poursuivraient les Anglais ; conseils auxquels
la première appelée était Jeanne la Pucelle, qui en ce temps était à l'apogée
de son règne. Finalement, au milieu du mois de mai, les Français se mirent en campagne
au nombre de cinq à six mille combattants, avec charrois et
armements de guerre, et prirent droit leur chemin vers Jargeau, que
défendaient le comte de Suffolk et ses frères.
Déjà, ces derniers avaient par avance expédié plusieurs messages à Paris
vers le duc de Bedford, lui annonçant les pertes et les malheureux événements
survenus devant Orléans, le requérant de vouloir bien envoyer
promptement des secours, sans quoi ils étaient en péril d'être repoussés,
et de perdre plusieurs villes et forteresses qu'ils occupaient dans la Beauce et sur les bords de la Loire. Le duc de Bedford fut très contristé et fort
chagrin de ces mauvaises Nouvelles. Considérant cependant qu'il fallait
pourvoir aux choses les plus nécessaires, il manda hâtivement de tous les
pays de son obéissance des gens de guerre, en fit réunir de quatre à cinq
mille qu'il fit mettre en chemin, et marcher droit vers le pays d'Orléans,
sous la conduite de Messire Thomas de Rampston, du bâtard de Thian
et de plusieurs autres ; il promettait que bientôt après il irait à leur
suite avec de plus grandes forces qu'il avait demandées en Angleterre.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.
Notes :
1 Jargeau (Loiret).
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