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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-61 - Comment la Pucelle, le connestable de France, et le duc d'Alençon et leurs routes conquirent la ville de Gargeaux. Et la bataille de Patay où les François desconfirent les Anglois.

r est vérité que le connestable de France, le duc d'Alençon, Jehenne la Pucelle et les aultres capitaines François, estans tous ensamble sur les champs comme il est dit desus, chevaulchèrent tant par aulcunes journées, qu'ilz vindrent devant Gargeaux, où estoit le dessusdit conte de Suffort, et de trois à quatre cens de ses gens, avec les habitans de la ville, qui tantost, eu toute diligence, se mirent en ordonnance de deffence. Mais en brief ilz furent assez tost avironnés de toutes pars desdiz François, et de fait les commencèrent en plusieurs lieux à assaillir moult radement. Lequel assault dura assez bon espace, moult terrible et merveilleux. Toutefois, yceulx François continuèrent si asprement oudit assault, que, malgré leurs adversaires, par force d'armes entrèrent dedens la ville, et par prouesce le conquirent. A laquelle entrée furent occis trois cens combatans Anglois. Desquelz fut l'un d'yceulx, l'un des frères du conte de Suffort. Lequel conte, avec lui son autre frère, le seigneur de La Poulle, furent fais prisonniers, et de leurs autres gens, jusques à soixante hommes ou au dessus.

                                    

  Ainsy doncques, ceste ville et chasteau de Gargeaux conquise et subjuguée que dit est, lesdiz François se rafreschirent tout à leur aise en ycelle. Et après, eulx partans de là, alèrent à Meun, qui tantost leur fist obéyssance. Et d'autre part s'enfuyrent les Anglois qui tenoient la Frete Hubert (1), et se boutèrent tous ensamble à Bosengi (2), jusques auquel lieu ilz furent chassés et poursuivis des François, lesquelz se logèrent devant eulx en plusieurs lieux ; et tous jours, Jehenne la Pucelle, ou front devant, à tout son estandart. Et lors, par toutes les marches de là environ n'estoit plus grand bruit, ne renommée, comme il estoit d'elle, de nul aultre homme de guerre. Et adonc, les principaulx capitaines, qui estoient dedens Jadicte ville de Bosengi, voians par la renommée d'ycelle Pucelle fortune estre ainsy du tout tournée contre eulx, et que pluiseurs villes et forteresces estoient desjà mises en obéyssance de leurs ennemis, les unes par vaillance d'armes et force d'assault, les aultres par traictié, et aussi que leurs gens pour la plus grand partie estoient moult esbahis et espoentés, et ne les trouvoient pas de tel propos de prudence qu'ilz avoient acoustumé, ains estoient très désirans d'eulx retraire sur les marches de Normendie, si ne sçavoient que faire, ne quel conseil eslire. Car ilz ne sçavoient point estre adcertenés, ne asseurés d'avoir en brief souscours. Et pour tant, tout considéré les besongnes dessusdictes, ilz traictèrent avec les François, qu'ilz s'en yroient, à tout leurs biens, sauf leurs corps et leurs vies, par condicion qu'ilz renderoient la place en obéyssance du roy Charles ou de ses commis. Lequel traictié ainsi fait, lesdiz Anglois se départirent, prenant leur chemin parmy la Beausse, en tirant vers Paris. Et les François entrèrent joieusement dedens Bogensi ou Bosengi. Et prinrent conclusion, par l'exortacion de Jehenne la Pucelle, qu'ilz yroient au devant des Anglois, qui des parties vers Paris venoient pour les combatre, comme on leur avoit donné à entendre. Laquelle chose estoit véritable. Si se mirent de rechef à plains champs. Et venoient à eulx chascun jour, gens nouveaulx de pluiseurs marches. Et furent adonc ordonnés, le connestable, le mareschal de Bousach, La Hire, Pothon et aulcuns aultres capitaines, de faire l'avant-garde. Et le sourplus, comme le duc d'Alençon, le bastard d'Orliens, le mareschal de Rois (3), estoient conducteurs de la bataille ; qui suivoient d'assez près ladicte avant-garde. Et povoient estre environ de six à huit mille combatans. Si fut demandé à Jehenne la Pucelle par aulcuns des princes là estans, quel chose il estoit de faire, et que bon ly sembloit à ordonner. Laquelle respondy qu'elle sçavoit bien pour vray que leurs anciens adversaires les Anglois venoient pour eulx combatre; disant oultre, que, ou nom de Dieu, on alast hardiement contre eulx, et que sans faille ilz seraient vaincus. Et aulcuns ly demandèrent où on les trouveroit. Et elle respondy : « chevaulchez hardiement, on aura bon conduict. » Adonc, toutes gens d'armes se mirent en bataille, et en bonne ordonnance tirèrent leur chemin, ayans des plus expers hommes de guerre, montés sur fleur de coursiers, alans devant pour descouvrir leurs ennemis, jusques au nombre de soixante ou quatre vins hommes d'armes. Et ainsi, par certaine longue espace chevaulchant, vinrent par ung jour de samedi, à une grande demie lieue près d'un gros village nommé Patay (4). En laquelle marche les dessusdiz coureurs François virent de devant eulx partir un cerf, lequel adreça son chemin droit pour aler en la bataille des Anglois, qui jà s'estoient mis tous ensemble, est assavoir ceulx venans de Paris, dont dessus est faite mencion, et les autres qui estoient partis de Bogensi et des marches d'Orliens (5). Pour la venue duquel cerf, qui se féry comme dit est parmy ycelle bataille, fut desdiz Anglois eslevé ung très grand cry. Et ne sçavoient pas encore que leurs ennemis fussent si près d'eulx. Pour lequel cry, les dessusdiz coureurs François furent adcertenés que c'estoient les Anglois. Car ilz les virent adonc tout à plain. Et pour ce, renvoyèrent aulcuns d'eulx vers leurs capitaines pour les advertir de ce qu'ilz avoient trouvé. Et leur firent sçavoir que par bonne ordonnance ilz chevaulchassent avant, et qu'il estoit heure de besongner. Lesquelz prestement se préparèrent de tout point et chevaulchèrent bien et hardiement si avant, qu'ilz perçeurent et virent tout à plain leurs ennemis. Lesquelz, sachans pareillement la venue des François, se préparèrent diligamment pour les combatre, et volrent descendre à pied d'emprès une haye qui estoit assez près d'eulx, adfin que par derrière ne peussent estre surprins desdiz François. Mais aulcuns des capitaines ne furent point de ce bien contens, et dirent qu'ilz trouveroient place plus advantageuse. Pour quoy ilz se mirent au chemin en tournant le dos à leurs ennemis, et chevaulchèrent jusques à ung autre lieu, environ à ung petit demy quart de lieue loing du premier ; qui estoit assez fort de hayes et de buissons. Ou quel, pour ce que les François les quoitoient (6) de moult près, mirent pied à terre et descendirent, la plus grand partie, de leurs chevaulx. Et alors, l'avant-garde des François, qui estoit désirant et ardant en courage pour assambler aux Anglois, par ce que depuis ung peu de temps ençà les avoient assaillis et trouves de assez meschant deffence, se férirent de plains eslans dedens yceulx Anglois, et d'un hardi courage et de grand voulenté les envayrent si viguereusement et tant soudainement avant qu'ilz peussent estre mis du tout en ordonnance, que mesmement messire Jehan Fastocq (7) et le bâtard de Thian, chevalier, avec grand nombre de leurs gens ne se mirent point à pied avec les aultres, ains se départirent, en fuyant à plain cours pour sauver leurs vies. Et entretant, les autres qui estaient descendus à pied furent tantost de toutes pars environnés et combatus par yceulx François. Car ilz n'eurent point loisir d'eulx fortefier de penchons aguisés par la manière qu'ilz avoient acoustumé de faire. Et pour tant, sans ce qu'ilz feissent grand dommage aux François, ilz furent en assez brief terme et légierement rués jus, desconfis et du tout vaincus. Et y eut mort dessus la place, d'yceulx Anglois, environ dix huit cens, et en y eut de prisonniers, de cent à six vingts. Desquelz estoient les principaulx, les seigneurs d'Escalles, de Tallebot, de Hongrefort et messire Thomas de Rampston et pluiseurs aultres des plus notables, jusques au nombre dessusdit. Et de ceulx qui y furent mors furent les principaux est assavoir.... (8) et les aultres estoient tous gens de petit estat et moyen, telz et si fais qu'ilz ont acoustumé de amener de leur pays mourir en France.

       

  Après laquelle besongne, qui fut environ deux heures après midi, tous les capitaines François se rassamblèrent ensamble, en regraciant dévotement et humblement leur Créateur, menèrent grand leesce l'un avecques l'autre pour leur victoire et bonne fortune. Et se logèrent celle nuit en ycelle ville de Patay, qui siet à deux lieues près d'Yenville en Beausse. De laquelle ville ceste journée porte le nom pardurablement (9).

  Et lendemain, lesdiz François retournèrent, à tout leurs prisonniers et les riches despoulles des Anglois qui mors estoient, et ainsy entrèrent en la cité d'Orliens, et les aultres de leurs gens ès marches d'entour et à l'environ, où ilz furent grandement de tout le peuple conjoys. Et par espécial Jehenne la Pucelle acquist en ycelles besongnes si grand louenge, qu'il sembloit à toutes gens que les ennemis du Roy n'eussent plus puissance de résister contre elle, et que brief par son moyen le Roy deust estre remis et restabli du tout en son royaume. Si s'en ala avecques les aultres princes et capitaines devers le Roy, qui de leur retour fut moult resjoy, et fist à tous très honnourable réception. Après laquelle, brief ensuivant, fut prinse par ycelui Roy, avec ceulx de son conseil, conclusion de mander par tous les pays de son obéyssance le plus de gens de guerre qu'il pourroit finer, adfin qu'il se peust mettre plus avant en marche et poursuivir ses ennemis.

  Item, à la journée de la bataille de Patay, avant que les Anglois seussent la venue de leurs ennemis, messire Jehan Fastocq, qui estoit ung des principaulx capitaines et qui s'en estoit fuy sans trop férir, assambla en conseil avec les autres, et fist plusieurs remonstrances. Est assavoir, comment ilz sçavoient la perte qu'ilz avoient faite de leurs gens devant Orliens, à Jenville et en aulcuns aultres lieux, pour laquelle ilz avoient du pire, et estoient leurs gens moult esbahis et effraés, et leurs ennemis au contraire estoient moult enorguellis et resvigurés. Pour quoy il conseilloit que ilz se retrayssent ès chateaulx et lieux tenans leur party là à l'environ, et qu'ilz ne combatissent point leurs ennemis si en haste, jusques ad ce que ilz fussent mieulx rasseurés, et aussi que leurs gens fussent venus d'Angleterre, que le Régent debvoit envoyer briefment. Lesquelles remonstrances ne furent point bien agréables à aulcuns des capitaines, et par espécial à messire Jehan de Tallebot, et dist que se ses ennemis venoient, qu'il les combateroit. Et par ce que, comme dit est, ledit Fastocq s'en fuy de la bataille sans cop férir, fut pour ceste cause grandement approuchié quand il vint devers le duc de Bethfort son seigneur, et par conclusion lui fut ostée l'ordre du blanc jartière, qu'il portent entour la jambe. Mais depuis, tant en partie pour les dessusdictes remonstrances qu'il avoit faites, qui sembloient estre assez raisonnables, comme pour pluiseurs autres excusances qu'il mist avant, lui fut depuis, par sentence de proches, rendue ladicte ordre de la jartière. Jà soit qu'il en sourdist grand débat depuis entre ycelui Fastocq et sire Jehan de Thalebot, quand il fut retourné d'estre prisonnier de la bataille dessusdicte.

  A ceste besongne furent fais chevaliers, de la partie des François, Jaque de Nully, Gille de Saint Symon, Loys de Marcongnet, Jehan de Le Haye et pluiseurs aultres vaillans hommes.

                                                   

  Or, il est vrai que le Connétable de France, le duc d'Alençon, Jeanne la Pucelle, et les autres capitaines français, étant ensemble en campagne, ainsi qu'il a été dit, chevauchèrent tant durant quelques jours, qu'ils vinrent devant Jargeau où se trouvait le comte de Suffolk, avec trois ou quatre cents de ses gens et les habitants de la ville, qui aussitôt se mirent en toute diligence en état de défense ; mais ils furent promptement environnés de toutes parts des Français, qui de fait commencèrent en plusieurs endroits d'attaquer avec grande activité. L'assaut dura assez longtemps, terrible et très acharné. Les Français le poursuivirent si âprement que, malgré les défenseurs, ils pénétrèrent dans la ville et la conquirent par prouesse. Dès leur entrée, trois cents combattants anglais furent tués, parmi lesquels l'un des frères du comte de Suffolk. Ce même comte et son frère le seigneur de La Pole furent faits prisonniers, ainsi que soixante de leurs gens ou même plus.

  La ville et le château de Jargeau conquis et subjugués, les Français s'y rafraîchirent tout à leur aise ; et, partant de là, ils allèrent à Meung, qui leur fit promptement obéissance. D'un autre côté, les Anglais qui tenaient La Ferté-Hubert s'enfuirent et se réfugièrent à Baugency. Ils y furent poursuivis par les Français qui se logèrent devant eux en plusieurs endroits. Jeanne la Pucelle était toujours en avant, en tête, avec son étendard. Et dès lors, dans toutes les marches des environs, nul homme de guerre à côté d'elle, ne faisait plus grand bruit, ni n'avait pas grande renommée. Les principaux capitaines anglais, qui se trouvaient dans Baugency, voyant que, par la renommée de cette Pucelle, la fortune s'était entièrement tournée contre eux, que plusieurs villes et forteresses, les unes forcées d'assaut par la vaillance des armes, les autres à la suite de traités, s'étaient mises en l'obéissance de leurs ennemis ; et aussi que leurs gens étaient pour la plupart très démoralisés et épouvantés, qu'ils ne leur trouvaient pas leur résolution et leur intelligence accoutumées, mais qu'ils avaient le plus grand désir de se retirer sur les marches de la Normandie, les capitaines anglais ne savaient que faire, ni à quel parti s'arrêter, n'ayant ni certitude ni assurance d'être bientôt secourus. Par suite de ces considérations, ils traitèrent avec les Français. Les conditions furent qu'ils s'en iraient avec leurs biens, leurs corps et leurs vies saufs, et ils remettraient la place en l'obéissance du roi Charles ou de ses commis. Le traité ainsi conclu, les Anglais partirent et prirent leur chemin par la Beauce, en se dirigeant vers Paris. Les Français entrèrent joyeusement dans Baugency, et, à l'exhortation de Jeanne la Pucelle, ils arrêtèrent d'aller à la rencontre des Anglais, qui, ainsi qu'on leur avait donné à entendre, et c'était vrai, venaient des parties de Paris pour les combattre. Ils se mirent donc à pleins champs, accrus chaque jour par gens nouveaux qui venaient à eux de plusieurs marches. Le Connétable, le maréchal de Boussac, La Hire, Poton et quelques autres capitaines furent ordonnés pour former l'avant-garde ; les autres chefs étaient le duc d'Alençon, le bâtard d'Orléans. Le maréchal de Rais était conducteur de l'armée qui suivait d'assez près l'avant-garde; ils pouvaient être de six à huit mille combattants. Quelques-uns des chefs demandèrent à Jeanne la Pucelle ce qu'il y avait à faire, et ce qu'il lui paraissait bon d'ordonner ; elle répondit pour vrai que leurs anciens adversaires les Anglais venaient pour les combattre, ajoutant qu'au nom de Dieu, on allât hardiment contre eux et que, sans faute ils seraient vaincus. Quelques-uns lui demandèrent où on les trouverait; elle répondit: « Chevauchez hardiment, on aura bon conduict ». Tous les gens d'armes se mirent en ordre de bataille, et en bonne ordonnance tirèrent leur chemin, ayant à leur tête les plus experts hommes de guerre montés sur fleurs de coursiers allant à la découverte des ennemis, au nombre de soixante ou quatre-vingts hommes d'armes. Chevauchant ainsi un assez grand espace de temps, ils vinrent à une grande demi-lieue d'un gros village nommé Patay. Là, les coureurs français virent partir de devant eux un cerf, qui prit droit son chemin pour tomber dans les rangs des Anglais qui s'étaient déjà réunis, à savoir ceux qui, comme cela a été dit, venaient de Paris, et ceux qui étaient partis de Baugency et des marches d'Orléans. La venue du cerf se jetant, comme il est dit, au milieu de l'armée, fit pousser aux Anglais un très grand cri; ils ne savaient pas encore que leurs ennemis fussent si près. Ce cri donna aux coureurs français la certitude que là étaient bien les Anglais ; et ils les virent aussitôt tout à plein ; aussi renvoyèrent-ils quelques-uns d'entre eux vers les capitaines pour les avertir de ce qu'ils avaient découvert, et leur faire savoir de chevaucher en avant, en bonne ordonnance et que c'était l'heure de besogner. Prestement ils se préparèrent de tous points et chevauchèrent bien hardiment, si bien qu'ils aperçurent et virent tout à plein leurs ennemis. Ceux-ci, sachant pareillement la venue des Français, se préparèrent eux aussi diligemment à les combattre; ils voulurent se mettre à pied derrière une haie qui n'était point éloignée d'eux pour n'être point surpris par derrière par les Français ; mais quelques-uns de leurs capitaines n'en furent pas bien contents, et dirent qu'on trouverait poste plus avantageux. Sur quoi ils se mirent en chemin en tournant le dos à leurs ennemis, et ils chevauchèrent jusques à un petit demi-quart de lieue loin de la première halte, en un endroit bien protégé par des haies et des buissons. Là, parce que les Français les talonnaient de très près, ils mirent pied à terre, et descendirent pour la plupart de leurs chevaux. Alors l'avant-garde des Français qui, pleine d'ardeur et de courage, désirait joindre les Anglais, parce que depuis déjà quelque temps elle les avait tâtés et trouvés d'assez méchante défense, se jeta de plein élan au milieu des Anglais ; les chargea avec un si hardi courage, avec tant de feu, les envahit si vigoureusement et si soudainement, avant qu'ils pussent se mettre en ordre de bataille, que Messire Jean Fastolf et le bâtard de Thian, chevalier, et grand nombre de leurs gens, ne se mirent pas à pied avec les autres, mais ils partirent en fuyant à plein cours, pour sauver leurs vies. Pendant ce temps, les autres, qui étaient descendus à pied, furent promptement environnés et frappés par les Français, n'ayant pas eu le temps de s'abriter derrière leurs pieux aiguisés, ainsi qu'ils avaient coutume de le faire. Par suite, sans faire éprouver grand dommage aux Français, ils furent très promptement et facilement abattus, déconfits et entièrement vaincus. Il resta bien, morts sur place, environ dix-huit cents Anglais ; il y en eut de prisonniers de cent à six-vingts, parmi lesquels les principaux étaient les seigneurs de Scales, de Talbot, d'Hongerfort, Messire Thomas Rampston, et plusieurs autres des plus notables jusqu'au nombre susdit. De ceux qui y furent morts les principaux étaient... Les autres gens du dernier ou de moyen état étaient de ceux que les Anglais amènent de leur pays, et qui sont destinés à mourir en France.

  Après cette affaire, qui eut lieu environ deux heures après midi, tous les capitaines français se réunirent, rendant dévotement et humblement grâces à Dieu, leur Créateur. Et ils se livrèrent ensemble à une grande joie pour leur victoire et pour une si bonne fortune. Ils se logèrent pour cette nuit en cette ville de Patay, située à deux lieues de Janville-en-Beauce, et cette journée porte à tout jamais le nom de Patay.

  Le lendemain, les Français repartirent avec leurs prisonniers et les riches dépouilles des Anglais morts sur le champ de bataille. C'est ainsi qu'ils rentrèrent à Orléans, tandis qu'une partie de leurs gens se logèrent aux environs, au milieu des transports de joie de tout le peuple. Jeanne la Pucelle, spécialement, acquit en ces besognes si grande louange et si grande renommée qu'il semblait à toutes gens que les ennemis du roi n'eussent plus puissance de lui résister, et que, dans peu, le roi dût, par son moyen, être entièrement remis et rétabli en son royaume. Elle alla avec les autres capitaines vers le roi qui se réjouit beaucoup de leur retour et fit à tous très honorable réception. Après quoi il décida, avec les gens de son conseil, de mander des pays de son obéissance le plus de gens de guerre qu'il pourrait afin de marcher en avant et de poursuivre ses ennemis.

  Item. — A la journée de la bataille de Patay, avant que les Anglais sussent l'arrivée de leurs ennemis, messire Jean Fastolf, un des principaux capitaines, celui qui devait s'enfuir sans coup férir, se trouvant en conseil avec les autres fit plusieurs remontrances ; à savoir comment tous savaient les pertes qu'ils avaient faites de leurs gens devant Orléans, à Jargeau et en d'autres lieux, où ils avaient eu du pire ; leurs gens étaient très ébahis et effrayés, et leurs ennemis au contraire très enorgueillis et très ranimés. C'est pourquoi son avis était qu'on se retirât dans les châteaux et les lieux qui, aux environs, tenaient leur parti, de ne point combattre les ennemis avec tant de hâte, d'attendre que leurs gens fussent mieux rassurés, et aussi que fussent arrivés d'Angleterre les secours que le régent devait prochainement amener. Ces observations ne furent pas agréables à plusieurs des capitaines, spécialement à Messire Jean de Talbot, qui dit que, si les ennemis venaient, il les combattrait. Et parce que, ainsi qu'il a été rapporté, Fastolf s'enfuit de la bataille sans coup férir, il fut pour ce motif grandement blâmé, lorsqu'il vint devant son seigneur, le duc de Bedford; Bedford finit par lui enlever l'ordre de la Jarretière blanche, qu'il portait autour de la jambe. Mais depuis, tant pour les observations qu'il avait faites qui semblaient assez raisonnables, que pour plusieurs autres excuses qu'il mit en avant, ledit ordre de la Jarretière lui fut rendu par sentence judiciaire ; il en sortit cependant un grand débat entre icelui Fastolf et sire Jean de Talbot, alors que ce dernier revint de sa captivité, à la suite de cette bataille.

  A cette besogne furent faits chevaliers, du côté des Français, Jacques de Milly, Gilles de Saint-Simon, Louis de Marconnay, Jean de La Haye et plusieurs autres vaillants hommes.


                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.


Notes :
1 La Ferté-Hubert (Loiret)

2 Beaugency (id)

3 Maréchal de Retz. (ndlr : Rais)

4 Patay, petite ville de la Beauce, à cinq lieues nord-ouest d'Orléans.

5 De Baugency et des environs d'Orléans.

6 Les côtoyaient.

7 Jean Falstoff.

8 Le texte continue sans donner les noms annoncés.

9 La bataille de Patay se donna le 18 juin.



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