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Chronique
d'Enguerrand de Monstrelet
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L.II-76 - De plusieurs conquestes que firent les Anglois. |
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tem, en l'an dessusdit le duc de Bethfort fist asségier par ses Anglois le fort chastel de Thorsy, qui estoit le plus exellent et le mieux édifié de la marche environ. Si fut constitué capitaine desdiz Anglois le bastard de Clarence. Lequel fist drécier entour d'ycelle forteresce plusieurs engiens continuellement jettans, lesquelz dommagèrent moult fort la muraille. Et finablement, au bout de six mois ou environ, les asségiés, voians que point n'estoient souscourus et que leurs vivres commençoient à défaillir, traictèrent avec le dessusdict bastard de Clarence, par condicion que aulcuns des plus notables s'en yroient où bon leur sambleroit en emportant partie de leurs biens, et les aultres, jusques au nombre de douze ou environ, qui aultre fois avoient tenu le parti d'yceulx Anglois et mesmement aydié aux François à prendre ladicte forteresce, demourroient à voulenté. Lesquelz furent cruelment justiciés. Et après, fut ladicte forteresce du tout démolie et arasée.
Item, ou mois de janvier oudit an, messire Thomas Kiriel, anglois, à tout quatre cens combatans ou environ, dont la plus grand partie estaient anglois, se départirent de Gournay en Normandie, où alors se tenoit en garnison, et par devers Beauvais s'en ala en Beauvoisis vers la contée de Clermont. Ouquel pays il fist grand dommage en prenant bestail et autres baghes, et par espécial chevaulx. Si chevaulcha jusques ès faulxbourgs de Clermont, et lendemain print son chemin à retourner vers sa garnison. Et adonc, le conte de Clermont, qui estoit à Beauvais, sachant l'entreprinse dudit messire Thomas, assambla promptement de toutes les garnisons de la marche environ tenans le party du roy Charles, jusques à huit cens combatans et plus, avec lesquelz se mirent grand nombre de paysans, tant de la ville de Beauvais comme des villages d'entour, et tous ensamble s'en alèrent pour rencontrer et combatre ledit messire Thomas et ses gens. Lesquelz ils trouvèrent à une grande lieue ou environ dudit lieu de Beauvais, où ils s'estoient mis en bataille pour recepvoir leurs ennemis, dont ilz sçavoient assez la venue par leurs coureurs qui leur en avoient fait rapport. Et estoient lesdiz Anglois tous à pied, adossés d'un bois, et par devant eulx avoient fiché penchons, par quoy on ne les povoit rompre de cheval, sinon à grand dangier. Nientmains ilz furent desdiz François très fort envays et approchés, et y eut entre ycelles parties très dure et aspre escarmuche. Et assez brief, les François, qui estoient à cheval, furent reboutés par le trait des archiers anglois. A cause duquel trait, lesdiz François se commencèrent à desroyer, et yceulx Anglois, ce voians, saillirent vistement après eulx et s'efforcèrent de plus en plus les envayr et combatre, tant que en conclusion ilz demourèrent victorieux sur la place, et occirent de leurs ennemis, et en prinrent environ cent, est assavoir desdiz paysans. Et ceulx de cheval s'en retournèrent tous confus et anoyeux à Beauvais. Et ycelui messire Thomas, ayant grand joye de sa victoire, à tout son gaignage, s'en retourna sauvement à Gournay en Normendie.
En ce temps, fut le siège mis par le conte de Suffort, anglois, de le chastel de Daumarle (1), ouquel estoit capitaine le seigneur de Rambures, avec lui de cent à six vingts combatans. Si fut ledit chastel de toutes pars advironné, et tellement furent constrains, que après que ledit siège y eust esté vingt quatre jours, ledit seigneur de Rambures et toutes ses gens se rendirent, sauf leurs vies, réservé trente ou environ, qui furent pendus, pour ce que autre fois avoient fait saire-ment auxdiz Anglois et tenu leur party. Et brief ensuivant, ledit seigneur de Rambures fut mené prisonnier en Angleterre, où il demoura prisonnier de cinq à six ans, avant qu'il peust trouver sa délivrance. Si fut ladicte forteresce regarnie de vivres et de gens.
Et par ainsi yceulx Anglois reconquirent en cest an pluiseurs fortes places que les François avoient gaignées sur eulx, à peu de perte de leurs gens.
Source : La chronique
d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Notes :
1 Le château d'Aumale.
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