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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-98 - Comment aulcuns anglois voellant, au commandement du duc de Bourgongne aler assiéger Garmigny, furent rencontrés et vaincus des François.

tem, le duc Phelippe de Bourgongne, qui estoit encore en la duchée de Brabant, oy là certaines nouvelles comment ses gens avoient esté levés par les François de devant la ville de Compiengne. Dont il fut moult esmerveillé et troublé, tant pour la perte de ses gens qui y avoient esté mors et prins, comme pour les grans frais et dommages qu'il avait soustenus à l'occasion dudit siège, et pour tant, se prépara, à tout ce qu'il peut avoir de gens, pour retourner en son pays d'Artois, où il convoqua tous les nobles du pays et de la marche environ, qu'ilz venissent sans délay devers lui, à tout ce qu'ilz pourroient avoir de gens de guerre. Si se traist ledit duc de Péronne, et là fist partir aucuns de ses capitaines pour aler logier à manière d'avant-garde à Lions en Santers, est assavoir messire Thomas Kiriel, anglois, Jaques de Helly, messire Daviot de Poix, Antoine de Vienne et aulcuns aultres, accompaigniés de cinq à six cens combatans. Et entretant, le dessusdit duc de Bourgongne, en attendant ses gens, se préparait pour les suivir, en intencion d'aler logier à Garmigni (1), où estoient dedens la forteresce les François, comme dit est dessus, qui moult travailloient le pays.

  Si advint que lesdiz capitaines, envoyés comme dit est de par le duc de Bourgongne, se deslogèrent au matin après qu'ilz eurent couché ès dessusdiz vilages vers Lions en Santers, et prinrent leurs chemin à aler à Garmigni en plusieurs tropeaulz, sans eulx mettre en ordonnance de bataille, ne envoyer leurs coureurs devant eulx, ainsi que le font et ont acoustumé de faire droites gens d'armes, expers en fait de guerre, et mesmement quant ilz furent près de leurs ennemis. Et adonc, vint devers eulx de la ville de Roie, dont il estoit capitaine, Gérard, bastard de Brimeu, à tout environ quarante combatans. Et chevaulchèrent les dessusdiz, l'un assez près de l'autre, jusques à une ville nommée Bouchoire (2). Si trouvèrent en leur chemin plusieurs lièvres, après lesquelz fut fait grand desroy de coure et de huer, et n'avoient adonc point, lesdiz capitaines, de regard d'entretenir, ne rassambler leurs gens ainsi qu'ilz debvoient, et aussi toute la plus grand partie d'yceulx n'avoient point tout leur harnois sur eulx. Pour laquelle négligence il leur mésavint malement. Car, ce propre jour, Pothon de Sainte-Treille estoit venu du matin audit lieu de Garmigni, et là, à tant de ses gens qu'il trouva audit chastel, comme à tous ceulx qu'il avoit amenez, tira aux champs. Et povoit avoir environ de douze vingts à trois cens combatans, dont la plus grand partie estoient droites gens de guerre, expers et esprouvés en armes, à tout lesquelz il prinst son chemin droit devers Lions en Santers. Et si fist sagement chevaulcher aucuns de ses coureurs devant, pour descouvrir et enquérir nouvelles de ses ennemis. Lesquelz, venus emprès ladicte ville de Bouchoire, oyrent la criée, et apperceurent l'estat et ordonnance de leursdiz adversaires. Et pour tant, sans délay et en grand diligence retournèrent devers leurs capitaines, auxquelz ils noncièrent ce qu'ils avoient oy et veu. Sur lequel rapport, Pothon dessusdit fist incontinent habillier ses gens de tous poins, et moult soubdainement les mena et conduisy devers ses ennemis dessusdiz, en leur admonestant que chascun se acquistast endroit soy et feist bon debvoir de combatre leurs ennemis. Lesquelz ses ennemis estoient très petitement préparés pour batailler. Et pour ce ycelui Pothon et ses gens, venans sur eulx d'un vouloir soubdain, en grand bruit et radeur, avant qu'ilz se peussent mettre en ordonnance, les eust tantost esparpilliés et mis en grand desroy. Et furent la plus grand partie portés jus, de fer de lances, de leurs chevaulx. Toutefois les capitaines avec aulcuns de leurs gens se rassamblèrent à l'estandart de messire Thomas Kiriel, et commencèrent à eulx mettre à deffence viguereusement. Mais ce riens ne leur valu. Car, comme dit est, la greingneur partie de leurs gens estoient jà tournés à grand meschief et mis en desroy, fuiant en plusieurs et divers lieux pour eulx sauver. Pour quoy, en assez brief terme, ceulx qui estoient demourés sur les champs furent tournés à desconfiture, mors et prins sans nul remède. Desquelz mors furent les principaulx, Jaques de Heilly, Anthoine de Vienne, et avec eulx de cinquante à soixante, tant Bourguignons que Anglois, et avec ce en furent prins de quatre vins à cent. Desquelz estoient les principaulx, messire Thomas Kiriel dessusdit, et avec lui de ceulx de sa famille (3), deux vaillans hommes d'armes, est assavoir ung nommé Robin Hairon, et l'autre Guillaume Courouan. Et de la partie des Bourguignons furent aussi prins, messire Daviot de Poix Laigle, de Sains, chevalier, Lermite de Boval, et aulcuns aultres avec eulx, jusques au nombre dessusdit. A laquelle destrousse se cuida retraire à Roye, dont il s'estoit parti, Gérard, le bastard de Brimeu. Mais, pour ce qu'il avoit vestu une bouche d'orfaverie (4) et de grand monstre, il fut radement poursuivi de ses ennemis, et enfin prins des François et ramené avec les aultres. Après laquelle desconfiture, ledit Pothon remist ses gens ensamble, et de là, à tout ses prisonniers, [ala] à Garmigni, premiers despoulliés ceulx qui mors gisoient sur les champs. Entre lesquelz furent trouvés occis tant seulement trois ou quatre des gens dudit Pothon. Auquel lieu de Garmigni, lui et les siens se rafreschirent, le jour et la nuit ensuivant. Et lendemain, emmena toutes ses gens et laissa la forteresce en la main des habitans de la ville. Et pareillement fist dégarnir La Boissière (5) que ses gens tenoient, et ycelle mettre en feu et en flambe. Si s'en ala de Resson sur le Mas (6) et de là à Compiengne, à tout ses prisonniers, où il fut receu joieusement pour la victoire qu'il avoit eue sur ses ennemis. Ouquel temps, ledit Jaques de Heilly là fut enterré en l'église, et les aultres, pour la plus grand partie, furent enterrés en l'église et cimetière de Bouchoire, assez près de la place où ils avoient esté occis.

                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 Il semble qu'il faudrait lire ici Germigny, mais aucun des huit Germigny que donnent les dictionnaires géographiques, ne répond à l'emplacement du lieu dont parle ici Monstrelet. II n'y a que Guerbigny (Somme) qui se trouve dans la position indiquée, c'est-à-dire entre Roye et Bouchoire.

2 Près Roye.

3 De sa famille, c'est-à-dire, de sa maison, de sa suite.

4 Une huque, brodée d'or.


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