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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-99 - Comment les François demandèrent à avoir bataille contre le duc de Bourgongne et à sa puissance, laquelle chose ledit duc par son conseil ne volt accorder. — Et aultres matières.

n ce mesme jour que la bataille eust esté des François et des Bourguignons emprès Bouchoire, furent portées des nouvelles au duc de Bourgongne de la perte et desconfiture de ses gens dessusdiz. Lequel duc estoit encore à Péronne. Pour lesquelles nouvelles il fut grandement troublé, et par espécial pour la mort de Jaques de Helly et Anthoine de Vienne. Si furent mandés de venir devers lui les capitaines là estans, est assavoir messire Jehan de Luxembourg, le visdame d'Amiens, le seigneur d'Antoing, le seigneur de Saveuses et pluiseurs aultres, avec ceulx de son hostel. Avec lesquelz il conclud de aler logier à Lions en Santers. Laquelle chose il fist ce propre jour, et lendemain il se tira à Roye en Vermendois, et là séjourna environ huit jours, attendant le conte de Staffort, le conte d'Arondel et aulcuns aultres Anglois, que paravant il avoit mandés à venir vers lui. Durant lequel temps se assamblèrent plusieurs capitaines tenans le parti du roy Charles, et avec eulx seize cens çombatans ou environ : est assavoir, le mareschal de Boussac, le conte de Vendosme, messire Jaques de Chabennes, Guillaume de Flavy, Pothon de Sainte-Treille, le seigneur de Longueval, messire Rigault de Fontaines, messire Loys de Waucourt, Alain Guion, Boussart, Blanchefort et aulcuns aultres, qui tous ensamble passèrent en belle ordonnance auprès de Mondidier, et de là se alèrent logier à deux lieues près de Roye, en deux vilages. Et lendemain, très matin, se mirent tous ensamble, et conclurent tous d'un commun accord et affermèrent à combatre le duc de Bourgongne et sa puissance, se il se vouloit contre eulx mettre à plains champs, et adfin que ledit duc fust de ce adverti, ilz envoyèrent vers lui ung hérault lui signifier ladicte conclusion. Lequel duc, sachant les nouvelles dessusdictes, fist responce qu'ilz seraient combatus. Toutefois, la besongne fut atargié par ceulx de son conseil, lesquelz lui démonstrèrent plusieurs raisons, disans qu'il n'estoit mie à lui propice de mettre son corps et son honneur en adventure contre telles manières de gens assamblés de plusieurs compaignies sans y avoir prince ne seigneur de grande auctorité, et aussi qu'il avoit peu de gens, et aussi que ses gens estoient abaubis et eflraés, tant pour la perte qu'ilz avoient faite au siège de Compiengne, comme pour la destrousse de Jaques de Heilly. Et pour tant, ledit duc, très griefment au cuer courroucié de ce qu'il ne povoit faire sa voulenté, crey son conseil. Lequel fist faire responce absolule auxdiz François, que se ilz vouloient attendre jusques au len demain, on les lairroit logier paisiblement, et si leur délivrerait certaine quantité de vivres, et avec ce les combateroit messire Jehan de Luxembourg et de ce leur feroit bonne seureté. Lesquelz François ceste responce oye, dirent qu'ilz n'en feroient riens, mais se ledit duc, comme dit est, se vouloit mettre aux champ, ilz estoient prest de le combatre. Durant lequel temps, yssy le duc de Bourgongne dessusdit, à tout puissance, et se mist en bataille au dehors de la ville de Roye, et les François estoient pareillement en bataille, mais à grand paine povoient ilz passer l'un à l'autre, pour aucunes yaues de marescaiges qui estoient entre les deux batailles. Nientmains furent faites entre ycelles deux parties plusieurs escarmuches, durant lesquelles la nuit approucha très fort. Et pour ce, les François se retirèrent vers Compiengne, moult indignés, faisant grans moqueries dudit duc de Bourgongne et de ses capitaines, disant qu'il ne les avoient ozé combatre. Et ainsi s'en retournèrent chascun en leurs garnisons, et ledit duc, avec les siens, retourna dedens la ville de Roye. Auquel lieu, brief ensuivant, vint devers lui le conte de Staffort, à tout six cens combatans ou environ. Et adonc, ledit duc, lui partant de Roye ala logier à Laigni les Chastigniers, où avoit une petite forteresce dedens laquelle estoit l'abbé de Saint-Pharon de Meaux, frère au seigneur de Gamaches, et avec lui environ quarante combatans françois. Lesquelz furent signifiés de eulx rendre en la voulenté du duc, ce que faire ne volrent. Pour quoy on les assailly prestement. Si fut, en brief, leur basse court prise de force. Si perceurent tantost qu'ilz ne pourroient tenir leur fort, ne le deffendre, et pour ce, se rendirent en la voulenté dudit duc. Lequel les livra à messire Jehan de Luxembourg pour en faire à sa voulenté. Et ladicte forteresce fut arse et démolie.

  Si firent ceulx de Noyon, audit duc, prière et requeste qu'il les volsist délivrer de la forteresce d'Yne qui moult les oppressoit. Mais pour ce qu'il estoit yver et que ledit duc n'avoit point lors gens à son plaisir, il s'en retourna à Mondidier et y mist garnison, et par Corbie vint à Arras, et par Arras en son pays de Flandre. Et le conte de Staffort, à tout ses Anglois, retourna en Normendie.

  En cest an fut prinse la ville de Colombiers en Brie (1), par eschielles, au point du jour, par ceulx de la garnison de Meaulx en Crie qui tenoient le parti du roy Henry d'Angleterre. Dedens laquelle ville de Coulombiers estoit de par le roy Charles comme capitaine messire Denis de Chally. Lequel, oyant cest effroy, se sauva par dessus les murs et avec lui pluiseurg aultres, en habandonnant tous leurs biens. Si estoit ladicte ville pourveue de tous biens, et, de toute ceste guerre, n'avoit esté prinse de nulles des parties. Toutefois elle fut pillée et les habitans mis à grand finance, si non ceulx qui se sauvèrent par fuite.

  En cest an, Pierre de Luxembourg, conte de Conversen et de Braine, successeur de la contée de Saint Pol et des appertenances, fist certain traictié avec ses deux frères, est assavoir Loys, évesque de Terowane (2), et messire Jehan de Luxembourg, des terres dessusdictes, par condicion que ledit évesque deust avoir le chastel de Huches en Boulenois, la chasteleine de Tingri avec toutes les appertenances. Et ledit messire Jehan de Luxembourg eust pour sa part à lui et à ses hoirs, la contée de Lignei en Barois (3) et les terres de Cambrésis jadis appertenans à Waleran conte de Saint-Pol, est assavoir Bohain, Serain, Hellincourt, Marcoing, Cantaing et aulcunes aultres notables signouries. Et pour tant, de ce jour en avant on nomma ledit messire Jehan de Luxembourg en tous ses tiltres, conte de Ligney, seigneur de Beaurevoir et de Bohaing. Et tout le sourplus desdictes seigneuries demourèrent au dessusdit Pierre de Luxembourg, lequel se nomma, en cas pareil, conte de Saint Pol, de Conversen et de Braine et seigneur d'Enghien.

                            

  Item, le XXXe et darrain jour de septembre de cest an, fut nez en la ville de Bruxelles le premier filz du duc Phelippe de Bourgongne et de la duchesse Ysabel, fille du roy de Portingal, son espeuse, lequel filz en son baptesme fut nommé Anthoine. Et à sa venue, par toute la ville de Bruxelles, fut faite grand joye et grand leesce. Et estoit lors en ycelle ville le conte de Miche, nepveu à l'empereur d'Alemaigne, lequel tenoit grand et noble estat, et aloient, lui et aulcuns de ses gens, les testes nues chascun ung chapel vert sur son chief, en signifiant qu'il estoit chaste, jà soit ce qu'il faisoit moult froit et dur temps. Et tinrent ycelui enfant sur les fons, ledit conte et l'évesque de Cambray; et les marines (4) furent la duchesse de Clèves et la contesse de Namur. Et y avoit bien trois cens torches, tant de l'ostel dudit duc, comme de ceulx de la ville. Lequel enfant ala de vie à trespas, l'an ensuivant. Et quand les nouvelles en furent portées au duc de Bourgongne, il en fut moult desplaisant, et dist à ceulx qui ce lui noncièrent : « Pleust à Dieu que je fusse mort aussi josne, je me tenroie bien heurés ! »

  En l'an dessusdit, fut prins dedens son chastel a Authel (5) messire Antoine de Béthune, seigneur de Mareul, qui avoit environ trente combatans. Et l'avoit asségié le conte de Vendosme et Thomelaire, prévost de Laon, dont j'ay parlé cy dessus, avec grand nombre de communes. Lequel messire Anthoine, voiant que bonnement ne povoit tenir sa forteresce, se rendy audit conte, par condicion qu'il s'en yroit lui et ses gens sauvement. Mais non obstant lesdictes promesses à lui faictes, quand ce vint au partir, il fut mis à mort par ycelles communes, et avec lui ung gentil homme nommé Franquet de Béguines. Pour la mort desquelz ycelui conte de Vendosme fut très dolant. Mais il n'en polt avoir autre chose. Et avec ce, fut ladicte forteresce tout arse et démolie. Dont messire Jehan de Luxembourg fut fort troublé quand il vint à sa congnoissance, à cause de ce que ledit Anthoine estoit cousin germain de ma dame Jehenne de Béthune, sa femme, fille du visconte de Meaulx. Et en print grant indignacion contre ceulx de Laon.

                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 Lis. Coulommiers.

2 Thérouanne (Pas de Calais).

3 Ligny.

4 Marraines.

5 Autheuil, en Thiérache, à quelque distance de Moncornet.


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