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Chronique
de la Pucelle
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- La prinse de la bastide des Augustins |
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' an mille quatre cent vingt-neuf, le vendredy, sixiesme jour de
may, François passèrent oultre la Loire à grand
puissance, à la veue de Glacidas, qui tantost fust désemparer
et ardoir la bastide de Sainct-Jean-le-Blanc, et fist retirer ses
Anglois avec ses habillemens en la bastide des Augustins, au boulevart
et aux Tournelles. Si marcha avant la Pucelle à tout ses
gens de pied, tenant sa voye droict au Portereau. Et à ceste
heure n'estoient encores tous ses gens passer, ainsy en avoit grand
partie en une isle, qui pouvoient peu finer de vaisseaux pour leur passage. Néantmoins la Pucelle alla tant, qu'elle
approcha du boulevart, et illec planta son estendart à peu
de gens. Mais à ceste heure, survint un cry que les Anglois
venoient à puissance du costé de Sainct-Privé
; pour lequel cry, les gens qui estoient avec la Pucelle furent
espouventez, et se prindrent à retirer droict audict passage
de Loire. Dont la Pucelle fut en grand douleur, et fut contrainte
de se retirer à peu de gent. Alors Anglois levèrent
grand huée sur les François, et issirent à
puissance pour poursuivre la Pucelle, crians grans cris après
elle, et luy disans paroles diffamables ; et tout soudain elle tourna
contre eux, et tant peu qu'elle eut de gens, elle leur fist visage,
et marcha contre les Anglois à grans pas et à estendart
desployé. Si en furent Angloys, par la volonté de
Dieu, tant espouventez, qu'ils prinrent la fuite laide et honteuse.
Alors François retournèrent, qui commencèrent
sur eux la chasse, en continuant jusques à leurs bastides,
où Anglois se retirèrent à grand haste. Ce
veu, la Pucelle assist son estendart devant la bastide des Augustins,
sur les fossez du boulevart, où vint incontinent le sire
de Rays. Et tousjours François allèrent croissant,
en telle sorte qu'ils prinrent d'assault la bastide desdicts Augustins,
où estoient Anglois en très grand nombre, lesquels
furent illec tous occis. Et y avoit foison de vivres et de richesses
; mais pour tant que François furent trop ententifs au pillage,
la Pucelle fist bouter le feu en la bastide, où tout fut
ars. Et iceluy assault, la Pucelle fut blessée de chausse-trapes (1) en l'un des pieds ; et à
cause qu'il ennuictoit, fut rammenée à Orléans,
et laissa grand gent au siège devant le boulevart et les
Tournelles. Ceste nuit, Anglois, qui estoient dedans le boulevart
de Sainct-Privé, s'en departirent, et y misrent le feu ;
puis passèrent Loire en vaisseaux, et se retirèrent
en la bastide Sainct-Laurens.
L'an mil quatre cent vingt-neuf, le vendredi, sixième jour de mai, les Français passèrent la Loire en grande puissance, à la vue de Glacidas qui fit aussitôt désemparer et brûler la bastide de Saint-Jean-le-Blanc, et fit retirer ses Anglais avec leur attirail de guerre en la bastide des Augustins, au boulevard et aux Tournelles. La Pucelle marcha en avant avec ses gens de pied, tenant sa voie droit au Portereau. Et à cette heure tous ses gens n'étaient pas encore passés, mais une grande partie se trouvait dans une île, retenus par la pénurie des bateaux pour le passage. Néanmoins la Pucelle s'avança tant qu'elle approcha du boulevard, et elle y planta son étendard, suivie seulement d'une poignée de ses gens; mais à cette heure un grand cri fit connaître que les Anglais venaient avec de grandes forces du côté de Saint-Privé; à ce cri, les gens qui étaient avec la Pucelle furent épouvantés et se prirent à reculer vers le passage de la Loire. La Pucelle en fut en grande douleur, mais elle fut contrainte de se retirer avec une petite suite.
Les Anglais poussèrent alors de grandes huées à l'adresse des Français, et saillirent en nombre afin de poursuivre la Pucelle, faisant de grands cris après elle, et vomissant paroles de diffamation. Tout soudain elle se tourna vers eux, et quoique ayant peu de gens avec elle, elle leur fit visage, marcha à leur encontre à grands pas, son étendard déployé.
Les Anglais en furent par la volonté de Dieu si épouvantés qu'ils prirent laide et honteuse fuite. Les Français se retournèrent alors et se mirent à leur donner la chasse, les poursuivant jusques à leurs bastides, où ils se retirèrent à grande hâte. A cette vue, la Pucelle fixa son étendard devant la bastide des Augustins, sur les fossés du boulevard, où le sire de Rais vint incontinent la joindre. Le nombre des Français alla toujours croissant, en sorte qu'ils prirent d'assaut la bastide desdits Augustins, où en très grande multitude se trouvaient des Anglais qui y furent tous tués. Il y avait foison de vivres et de richesses, et parce que les Français se montrèrent trop avides de pillage, la Pucelle y fît mettre le feu, et tout fut brûlé. Dans cette assaut, la Pucelle fut blessée à l'un de ses pieds par une chausse-trape; et comme la nuit venait, elle fut ramenée à Orléans, laissant grand nombre de gens au siège devant le boulevard et les Tournelles.
Cette nuit, les Anglais qui étaient dans le boulevard de Saint-Privé, en partirent après y avoir mis le feu ; ils passèrent la Loire sur des bateaux et ils se retirèrent en la bastide Saint-Laurent.
Source : édition Vallet de Viriville - 1859
Notes :
1 Engin de guerre à quatre pointes, mis en forme de piège.
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