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Chronique
de la Pucelle
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- Bataille près de la Gravelle - 26 septembre 1423 |
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iceluy temps, un chevalier d'Angleterre, nommé la Poule (1),
de grand sens et lignage, et vaillant chevalier ; partit du pays
de Normandie avec bien deux mille et cinq cens combattans Anglois,
et s'en vint courre au pays d'Anjou et se logea au dit pays devant
un chastel nommé Segré. Laquelle chose vint à
la congnoissance de Messire Ambroise de Loré, lequel très
diligemment envoya et fit hastivement sçavoir au comte d'Aumale,
qui estoit à Tours, et assembloit gens pour une entreprinse
qu'il avoit au pays de Normandie, laquelle le dit seigneur de Loré
sçavoit bien.
Comme le dit de la Poule estoit au dict pays d' Anjou,
le dit comte d'Aumale estoit lieutenant du roy, et aussitost qu'il
eut receu les lettres du dict de Loré, il s'en vint très
hastivement en la ville de Laval, et manda gens de toutes parts
qu'ils se rendissent à luy, lesquels le fisrent très
volontiers ; et le dit seigneur de Fontaines y alla. Et là
vint un chevalier, nommé Messire Jean de la Haye, baron de
Coulonces, qui y amena une belle et gente compaignée de guerre
; lequel estoit pour lors en l'indignation du dict comte d'Aumale,
pour plusieurs désobéissances qu'il luy avoit faictes
ou dit pays, et ne vouloit point qu'il fust en sa compaignée.
Toutefois le dit de Loré fit tant que pour cette fois il
estoit content qu'il y fust, mais que il ne le veist point, et qu'il
ne se monstrast devant luy ; si estoit-il très vaillant chevalier.
Et le lendemain bien matin se partit le dict comte d'Aumale et sa
compaignée, qui estoit un jour de samedy pour soy aller mettre
entre le pays de Normandie et les dicts Anglois, en un lieu qu'on
disoit qu'ils devoient passer, pour eulx en retourner et entrer
au dit pays de Normandie, et furent choisis plusieurs gens de guerre,
des plus suffisans et cognoissans à ce, pour les chevaucher,
et furent chargez de par le dit comte de lui faire sçavoir
toutes nouvelles d'iceux Anglois. Ils trouvèrent qu'ils estoient
partis du dit chastel de Segré et s'en venoient par devant
un autre chasteau nommé La Gravelle et amenoient avec eux
les hostages du dict chastel de Segré, et plusieurs, et plus
de mille à douze cens bœufs et vaches.
Et s'en vint le dit comte d'Aumale loger en un village
nommé le Bourg Neuf de la Forest, et eut certaines nouvelles
que les Anglois estoient partis à trois lieues du dit lieu,
ou environ, et qu'ils tiroient tout droit pour aller passer en un
lieu nommé la Brossinière, à une lieue du dit
lieu de Bourneuf. Et alors le dict comte d'Aumale qui estoit sage
et vaillant, envoya quérir le bastard d'Alençon, et
envoya aussi à Madame de Laval, luy prier qu'elle luy voulust
envoyer l'aisné de ses fils, nommé Andry de Laval,
lors estant jeune d'âge de douze ans ; laquelle le fit très
volontiers, et luy bailla pour l'accompaigner Messire Guy de Laval,
seigneur de Mont-Jean, et tous les gens de la seigneurie de Laval,
et autres plusieurs ses vassaux et hommes qu'elle peut avoir promptement
d'autre part.
Le dict comte d'Aumale manda pareillement quérir
Louis de Tromargon et le sire de Loré, ausquels il dit les
nouvelles qui luy estoient venues des dicts Anglois, et leur requist
conseil, pour ce qu'il vouloit là conclure ce qu'il avoit
à faire ; et y eut de diverses opinions et imaginations,
et finalement fut conclu de combatre les dits Anglois s'ils vouloient
attendre et que le dit comte avec tous ses gens seroient au dit
lieu de la Brossinière le dimanche matin à soleil
levant, et que le dit comte d'Aumale se mettroit au dit lieu à
pied, avec les seigneurs dessus dits, pour attendre les dits Anglois
; et que le dit de Loré et Louis de Tromargon seroient à
cheval, à tout sept ou huit vingt lances, pour besongner
sur iceux Anglois, ainsi qu'ils verroient à faire, sans nulle
charge : que s'ils avoient affaire d'un autre capitaine, ils le
pourroient prendre. Et on disoit cela pour le dit capitaine de Coulonces,
qui estoit en l'indignation du dist comte d'Aumale.
Si se trouvèrent ainsi qu'il avoit esté
ordonné et à l'heure, audit lieu de la Brossinière
; et fut la bataille ordonnée à pied, et lesdits de
Loré, Tromargon, et Coulonces à cheval ; et l'ordonnance
ainsi faite, on veit dedans deux heures après les coureurs
des Anglois, qui chassoient aucuns coureurs des François
: et lors lesdits capitaines à cheval chargèrent sur
lesdits coureurs Anglois, et leur firent tellement l'escarmouche
qu'ils les contraignirent de descendre à pied près
de leur bataille : et les Anglois venoient en belle ordonnance,
marchans contre la bataille du comte d'Aumale, laquelle ils ne pouvoient
bonnement voir, pour ce que ceux de cheval estoient tousjours entre
deux, et se tenoient tous ensemble se retirans tout bellement avec
ledit comte d'Aumale.
Et quand les batailles dudit comte d'Aumale et du susdit
la Poulle Anglois furent près l'une de l'autre, comme d'un
traict d'arc, les Anglois marchoient fort et en marchant ils picquoient
de gros paulx, qu'ils avoient en grand nombre et portoient avec
eux : et lors lesdits trois capitaines et les gens de cheval passèrent
par entre les deux batailles, cuidans frapper d'un costé
sur lesdits Anglois ; ce qu'ils ne peurent bonnement faire, pour
occasion des paulx : et pour ce tout à coup tournèrent
sur un costé de la bataille on il n'y avoit aucuns paulx
et frappèrent vaillamment sur eux. Ceux de pied marchoient
tousjours les uns contre les autres ; et au frapper que firent ceux
de cheval, les Anglois se rompirent, et serrèrent ensemble
contre un grand fossé, et estoient comme sans aucune ordonnance.
Et lors la bataille à pied joignit aux Anglois, et combatirent
main à main; il y eut de grandes vaillances d'armes faites.
Mais lesdits Anglois ne peurent soustenir le faix que
leur bailloient les François, et furent desconfits au champ
et y en eut de quatorze à quinze cent de tuez qui furent
faits enterrer par la dicte dame, obstant ce que la bataille avoit
esté en sa terre. Et y estoit présent Alençon
le Hérault qui rapporta le nombre des morts : et y en eut
de tuez à la chasse de deux à trois cent. Et si y
eut plusieurs prisonniers, et entre les autres le susdit seigneur
de la Poule, Thomas Aubourg , et Messire Thomas Clisseton (2),
et n'en
eschappa pas six vingt, que tous ne fussent mors ou prins. (3)
Et y eut là des chevaliers faits et entre les
autres Messire André de Laval, lequel fut depuis seigneur
de Lohéac et mareschal de France, et plusieurs autres. Et
y eut un chevalier françois tué Messire Jehan le Roux,
et peu d'autres. Et de là ledit comte d'Aumale et sa compaignée
s'en allèrent loger à la Gravelle. Dudit lieu de la
Gravelle ce dit comte d'Aumale print son chemin droit au pays de
Normandie et s'en alla devant Avranches, et y laissa le seigneur
d'Aussebourg avec certaine quantité de gens d'armes pour
sçavoir s'ils pourroient mettre la ville d'Avranches en l'obéissance
du roy ; et ledit comte passa outre et s'en vint loger aux fauxbourgs
de Sainct Lou en Normandie, et y fut trois ou quatre jours ; et
y eut prins plusieurs prisonniers et biens, puis revint par devant
la dite ville d'Avranches, laquelle pour lors n'estoit pas bien
aysée à avoir; et pour ce s'en retourna luy et toute
sa compaignée au pays du Mayne sans faire autre chose.
Source
: édition Vallet de Viriville
Notes :
1 William Pole
2 ou Clifton.
3 Le succès remporté à la Gravelle produisit
une très vive impression sur les esprits. Aussi les vainqueurs
résolurent-ils d'en perpéluer le souvenir par un
monument élevé sur le théâtre même
de cette victoire. Charles VII était très pauvre
à cette époque. II contribua néanmoins pour
une somme importante à l'érection de ce monument,
qui fut construit aux frais du comte d'Aumale, et qui, dans l'intention
du fondateur, était destiné à servir de lieu
de sépulture pour ce comte lui-même et ses successeurs.
"Extrait du compte de Guillaume Charrier, receveur général
de toutes finances"
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