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Chronique
de la Pucelle
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- Du recouvrement de Bonny sur Loire |
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urans ces choses, le roy alla en la ville de Gyen ; lequel envoya
Messire Louys de Culant, son admiral, devant Bonny, à tout
grand gent ; et le dimanche après la Saint-Jean 1429 [le
26 juin], celle place luy fut rendue par composition. Et pour ce
que la Pucelle fut désirant, avant que le roy employast sa
puissance à recouvrer ses villes et chasteaux ; de le mener
tout droict à Reims, pour la estre couronné et recepvoir
la saincte onction royale, à quoi aucuns estoient de contraire
opinion, tendans à ce que le roy assiégeast premièrement
Cosne et La Charité, pour nettoyer les pays de Berry, d'Orléans
et du fleuve de Loire : il tint sur ces choses de grands conseils
à Gyen, pendant lesquels la royne fut illec amenée,
en espérance d'estre menée couronner à Reims
avec le roy. Et eux séjournans illec, les barons et haults
seigneurs de plusieurs contrées du royaume vindrent au service
du roy à grand puissance. Si en la fin le roy délibéra
en son conseil de renvoyer la royne à Bourges, et qu'il prendroit
son chemin droict à Reims, pour recepvoir son sacre , sans
mettre aucuns sieges sur Loire. Donc retourna la royne à
Bourges, et le roy se partit de Gyen, le jour Sainct-Pierre, au
mois de juin 1429, à toute sa puissance, tenant sa voye droict
à Reims (1).
Et ce,
par l'instigation et pourchas de Jeanne la Pucelle, disant que c'estoit
la volonté de Dieu qu'il allast à Reims se faire couronner
et sacrer ; et que, combien qu'il fust roy, toutesfois ledict couronnement
luy estoit nécessaire. Et combien que plusieurs, et le roy
mesmes, de ce feissent difficulté, veu que ladicte cité
de Reims, et toutes les villes et forteresses de Picardie, Champaigne,
l'Isle de France, Brye, Gastinois, l'Auxerrois, Bourgongne , et
tout le pays d'entre la rivière de Loire et la mer, estoit
occupé par les Anglois, toutesfois
le roy s'arresta au conseil de ladicte Pucelle, et délibéra
de l'exécuter. Si feit son assemblée à Gyen
sur Loire ; et vindrent en sa compaignée les ducs d'Alençon,
de Bourbon, le comte de Vendosme, ladicte Pucelle, le seigneur de
Laval, les sires de Lohéac, de la Trimoille, de Rays, d'Albret.
Et plusieurs autres seigneurs, capitaines et gens d'armes venoient
encore de toutes parts au service du roy ; et plusieurs gentilshommes,
non ayans de quoy eux armer et monter, y alloient comme archers
et coustillers, montez sur petits chevaulx ; car chascun avoit grande
attente que par le moyen d'icelle Jehanne il adviendroit beaucoup
de bien au royaume de France ; si désiroient et convoitoient
à la servir, et congnoistre ses faits, comme une chose venue
de par de Dieu.
Elle chevauchoit tousjours armée de toutes pièces,
et en habillement de guerre, autant ou plus que capitaine de guerre
qui y fust ; et quand on parloit de guerre, ou qu'il failloit mettre
gens en ordonnance, il la faisoit bel ouyr et veoir faire les diligences
; et si on crioit aucunes fois à l'arme, elle estoit la plus
diligente et première, fust à pied ou à cheval
; et estoit une très grand admiration aux capitaines et gens
de guerre, de l'entendement qu'elle avoit en ces choses, veu que
en autres elle estoit la plus simple villageoise que on veid oncques.
Elle estoit très dévote, se confessoit souvent, et
recepvoit le précieux corps de Jésus-Christ ; estoit
de très belle vie et honneste conversation.
Durant ces choses, le roi était arrivé à Gien, d'où il envoya messire Louis de Culan, son amiral, devant Bonny, avec grand nombre de gens ; et le dimanche après la Saint-Jean 1429 (2), cette place lui fut rendue par composition. Cependant la Pucelle était désireuse que le roi, avant que d'employer sa puissance à recouvrer ses villes et châteaux, se laissât mener tout droit à Reims, pour là être couronné et recevoir la sainte onction royale; ce à quoi plusieurs étaient d'opinion contraire, étant d'avis que le roi
assiégeât premièrement Cosne et La Charité pour nettoyer les pays de Berry, d'Orléans et du fleuve de la Loire. Il se tint à Gien sur ces choses de grands conseils, pendant lesquels la reine fut amenée en cette ville, en espérance d'être menée couronner à Reims avec le roi.
Durant ce séjour, les barons et hauts seigneurs du royaume vinrent au service du roi, avec grande puissance, et en la fin le roi arrêta en son conseil de renvoyer la reine à Bourges, et de prendre son chemin droit à Reims, pour recevoir son sacre, sans mettre aucuns sièges sur la Loire. La reine retourna donc à Bourges, et le roi partit de Gien, le jour de Saint-Pierre, au mois de juin 1429, à toute sa puissance, tenant sa voie droit à Reims. Et cela fut par l'instigation et instances de Jeanne la Pucelle, qui disait que c'était la volonté de Dieu qu'il allât à Reims se faire couronner et sacrer, et qu'encore qu'il fût roi, toutefois ledit couronnement lui était nécessaire. Plusieurs, et le roi même, de ce faisaient difficulté, vu que la cité de Reims, et toutes les villes et forteresses de Picardie, Champagne, Ile-de-France, Brie, Gâtinais, Auxerrois, Bourgogne, et tout le pays d'entre la rivière de la Loire et la mer était occupé par les Anglais ; cependant le roi finit par s'arrêter au conseil de la Pucelle, et se mit en devoir de l'exécuter ; il réunit pour cela son armée à Gien-sur-Loire. Et vinrent en sa compagnie les ducs d'Alençon, de Bourbon, le comte de Vendôme, ladite Pucelle, le seigneur de Laval, les sires de Lohéac, de La Trémoille, de Rais, d'Albret.
Plusieurs autres seigneurs, capitaines et gens d'armes venaient encore de toutes parts au service du roi ; et plusieurs gentilshommes n'ayant pas de quoi s'armer et se monter y allaient comme archers et coutilliers, montés sur de petits chevaux; car chacun avait grande attente que par le moyen d'icelle Jeanne, il adviendrait beaucoup de bien au royaume de France ; aussi désiraient-ils et convoitaient-ils de la servir, et de connaître ses faits, comme étant une chose venue de la part de Dieu.
Elle chevauchait toujours armée de toutes pièces et équipée en guerre, autant ou plus que capitaine qui y fut; et quand on parlait de guerre, ou qu'il fallait, mettre gens en ordonnance, il la faisait bel ouïr et voir faire les diligences ; et si on criait quelquefois à l'arme, elle était la plus diligente et la première, fût-ce à pied, fût-ce à cheval ; et c'était une très grande admiration aux capitaines et gens de guerre de l'entendement qu'elle avait en ces choses, vu que dans les autres elle était la plus simple villageoise que l'on vit jamais. Elle était très dévote, se confessait souvent, et recevait le précieux corps de Jésus-Christ, elle était de très belle vie et honnête conversation.
Source : édition Vallet de Viriville - 1859
Notes :
1 Ici s'arrêtent les emprunts tirés de la "Geste
des Nobles"
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26 juin
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