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Chronique de la Pucelle - index
56 - La Trimouille intrigue contre le connétable de Richemont

n ce temps, le seigneur de La Trimouille estoit en grand crédit auprés du roy ; mais il se doubfoit tousjours d'estre mis hors de gouvernement, et craingnoit spécialement le connestable et autres ses alliez et serviteurs. Par quoy, combien que ledict connestable oust bien douze cent combatants et gens de faict, et si avoit autres seigneurs, lesquels fassent volontiers venus au service du roy : ledict de La Trimouille ne le vouloit souffrir ; et si n'y avoit personne qui en eust osé parler contre iceluy de La Trimouille. Audit lieu de Gyen sur Loire, fut faict un payement aux gens de guerre de trois francs pour homme d'armes, qui estoit peu de chose ; puis s'en partit la Pucelle, ayant plusieurs capitaines de gens d'armes en sa compaignée, avec leurs gens, et s'en allèrent loger à environ quatre lieues de Gyen, tirant le chemin vers Auxerre ; et le roy partit le lendemain en prenant le mesme chemin. Et le jour dudict partement du roy, se trouvèrent tous ses gens ensemble, qui estoit une belle compaignée ; et vint loger avec son ost devant ladicte cité d'Auxerre, laquelle ne fist pas plaine obéissance ; car ils vindrent devers le roy luy prier et requérir qu'il voulust passer oultre, en demandant et requérant abstinence de guerre ; laquelle chose leur fut octroyée par le moyen et la requeste dudict de La Trimouille, qui en eut deux mille escus dont plusieurs seigneurs et capitaines furent très mal contens d'iceluy de La Trimouille et du conseil du roy, et mesmement la Pucelle, à laquelle il sembloit qu'on l'eust eue bien aisément d'assault. Toutesfois ceux de la ville baillèrent et délivrèrent vivres aux gens de l'ost du roy, lesquels en estoient en grande nécessité.

                             

  Ladicte Pucelle avoit de coustume que aussitost qu'elle
venoit en un village, elle s'en alloit à l'église faire ses oraisons, et faisoit chanter aux prestres une antienne de Nostre-Dame. Si faisoit ses prières et oraisons, et puis s'en alloit en son logis, lequel estoit communément ordonné pour elle en la plus honneste maison qu'on pouvoit trouver, et où y avoit quelque femme honneste. Oncques homme ne la veid baigner ny se purger, et le faisoit tousjours secrètement, et si le cas advenoit qu'elle logeast aux champs avec les gens de guerre, jamais ne se désarmoit. Il y eut plusieurs, mesme de grans seigneurs, délibérez de sçavoir si ils pourroient avoir sa compaignée charnelle ; et pour ce, venoient devant elle gentement habillez ; mais aussi tost qu'ils la voyoient, toute volonté leur cessoit, et quand on luy demandoit pourquoy elle estoit en habit d'homme, et qu'elle chevauchoit en armes, elle respondoit qu'ainsy luy estoit il ordonné, et que principalement c'estoit pour garder sa chasteté plus aiséement ; aussi que c'eust esté trop estrange chose de la veoir chevaucher en habit de femme entre tant de gens d'armes. Et quand gens lettrez parloient à elle sur ces matières elle leur répondoit tellement, qu'ils estoient très contens, disant qu'ils ne faisoient doubte qu'elle estoit venue de par Dieu.

                                                         


  En ce temps, le seigneur de La Trémoille était en grand crédit auprès du roi ; mais il tremblait toujours d'être mis hors du gouvernement, et il craignait spécialement le Connétable et autres de ses alliés et serviteurs. Aussi, quoique ledit Connétable eut bien douze cents combattants et gens de trait, et avec lui d'autres seigneurs qui fussent volontiers venus au service du roi, ledit de La Trémoille ne le voulut souffrir; et il n'y avait personne qui eût osé parler contre icelui de La Trémoille.
  Au lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement de trois francs par homme d'armes ; ce qui était peu de chose ; puis la Pucelle en partit ayant en sa compagnie plusieurs capitaines d'hommes d'armes avec leurs gens ; et ils s'en allèrent loger à environ quatre lieues de Gien, en s'avançant sur le chemin d'Auxerre ; et le roi partit le lendemain par le même chemin.
  Et le jour du départ du roi, tous ses gens se trouvèrent ensemble; ce qui était une belle compagnie; et il vint avec son armée s'établir devant la cité d'Auxerre, qui ne lui fit pas pleine obéissance ; car les bourgeois vinrent devers le roi lui faire prière et requête qu'il voulût passer outre, en demandant et sollicitant abstinence de guerre; ce qui leur fut octroyé par le moyen et requête du sire de La Trémoille, qui en eut deux mille écus; ce pourquoi plusieurs seigneurs et capitaines furent très mal contents d'icelui de La Trémoille et du conseil du roi, et la Pucelle elle-même, à laquelle il semblait qu'on s'en fût bien aisément emparé par assaut. Toutefois ceux de la ville donnèrent et délivrèrent des vivres aux gens du roi, qui en avaient grande nécessité.
  La Pucelle, aussitôt qu'elle venait en un village, avait coutume de s'en aller à l'église faire ses oraisons, et de faire chanter aux prêtres une antienne de Notre-Dame. Ses prières et oraisons faites, elle s'en allait à son logis, qui lui était communément préparé en la plus honnête maison qu'on pouvait trouver, et où il y avait quelque femme honnête. Jamais homme ne la vit se baigner ni se purger; elle le faisait toujours secrètement ; et si le cas advenait qu'elle couchât aux champs, jamais elle ne se déshabillait.
  Plusieurs, même des grands seigneurs, voulaient savoir s'ils pourraient avoir sa compagnie charnelle, et, pour ce, ils venaient devant elle gentiment vêtus, mais aussitôt qu'ils la voyaient tout leur vouloir coupable cessait. Quand on lui demandait pourquoi elle était en habits d'homme et chevauchait en armes, elle répondait que cela lui était ainsi ordonné, que c'était principalement pour mieux garder ainsi sa chasteté, et aussi que c'eût été chose trop étrange de la voir chevaucher en habits de femme parmi tant d'hommes d'armes. Et quand les gens lettrés lui parlaient sur ces matières, elle leur répondait si bien qu'ils étaient très satisfaits, disant n'avoir aucun doute qu'elle ne fût venue de par Dieu.


               
                                  

Source : édition Vallet de Viriville - 1859

Notes :
1 Ici s'arrêtent les emprunts tirés de la "Geste des Nobles"




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