|
Chronique
de la Pucelle
-
index
58
- La Pucelle entraîne le Roy à Reims - Châlons
se rend - Sacre |
|
a Pucelle hastoit le roy, le plus diligemment qu'elle pouvoit, d'aller
à Reims, et ne faisoit doubte qu'il y seroit sacré.
Pour ce le roy se partit de sa cité de Troyes, et print son
chemin a Châlons en Champaigne, avec tout son ost, la Pucelle
toujours devant, armée de toutes pièces, et chevaucha
tant qu'il vint devant ladite ville de Châlons. Et quand ceux de la ville sceurent sa venue, l'évesque (1) avec grande multitude de peuple
de ladicte cité, vinrent au devant du roy et lui firent pleine
obéissance. Il logea la nuict avec son ost en ladite ville,
en laquelle il establit capitaine et autres officiers de par luy
et tout ny plus ny moins comme à ceux de Troyes.
De ladite cité de Châlons, le roy prit
son chemin pour aller à Rheims, et vint à un chastel
qui est à l'archevesque de Rheims, nommé Sepesaulx (2), qui est à quatre lieues
de Rheims ; en laquelle cité estoient les seigneurs de Chastillon
sur Marne et de Saveuses, tenans le party des Anglois et Bourguignons,
devers lesquels ceux de la ville vinrent par leur ordonnance et
commandement, et s'en disoit ledit de Chastillon capitaine. Ils
demandèrent auxdicts habitans s'ils avoient bonne volonté
d'eulx tenir et défendre. Et les habitans leur demandèrent
s'ils estoient assez pour leur ayder à garder. Et ils respondirent
que non, mais s'ils pouvoient tenir six semaines, ils leur
amèneroient un grand secours, tant du duc de Betfort que
de Bourgongne ; et sur ce, s'en partirent par la volonté
des habitants de la ville, dedans laquelle il y avoit lors aucuns
de bonne volonté, lesquels commencèrent à dire
qu'il falloit aller vers le roy, et le peuple dit lors qu'on y envoyast,
et y envoya-t-on des notables gens de la ville, tant d'église
qu'autres ; et après plusieurs requestes qu'ils faisoient,
lesquelles on trouva expédiens, délibérèrent
et conclurent de laisser entrer le roy et l'archevesque d'icelle
ville et leur compaignée dedans.
Et est vray que l'archevesque n'avoit point encore fait
son entrée, et la fit le samedi matin ; et après disner,
sur le soir, entra le roy, lui et ses gens, dedans la ville où
Jeanne la Pucelle estoit fort regardée ; et là vinrent
les ducs de Bar et de Lorraine et le seigneur de Commercy, bien
accompaignez de gens de guerre eulx offrans à son service.
Le lendemain, qui fut le dimanche (4),
on ordonna que le roy prendroit et recevroit son digne sacre, et
toute la nuit fict-on diligence que tout fust prest au matin, et
fut un cas bien merveilleux, car on trouva en ladite cité
toutes les choses nécessaires qui sont grandes, et si ne
pouvoit-on avoir celles de Sainct-Denys en France (5).
Et pour ce que l'abbé de Sainct-Remy n'a pas accoustumé
de bailler la saincte Ampoulle, sinon en certaine forme et manière,
le roy y envoya le seigneur de Rais (6),
mareschal de France, le seigneur de Boussac et de Saincte-Sévère,
aussi mareschal de France, le seigneur de Graville, maistre des
arbalestriers, et le seigneur de Culant, admiral de France, lesquels
firent les serments accoutumez, c'est à sçavoir de
la conduire seurement et aussi raconduire jusques en l'abbaye, et
ledist abbé l'apporta, revestu d'habillements ecclésiastiques,
bien solemnellement et dévotement dessous un poille jusques
a la porte de devant Sainct-Denys.
Là, l'archevesque revestu, accompaigné
de chanoines, l'alla quérir et l'apporta dedans la grande
église, et la mit sur le grand autel. Lors vint le roy au
lieu qui luy avoit esté ordonné, vestu et habillé
de vestements à ce propices, et l'archevesque lui fit faire
les serments accoustumez, et fut fait chevalier par le duc d'Alençon.
Puis l'archevesque procéda à la consécration,
gardant tout au long les cérémonies et solennitez
contenues au Pontifical (7).
Le roy y fit le seigneur de Laval comte , et il y eut
plusieurs chevaliers faits par les ducs d'Alençon et de Bourbon.
Et là estoit présente Jeanne la Pucelle, tenant son
estendart en sa main, laquelle, en effet, estoit cause dudit sacre
et couronnement et de toute l'assemblée. Si fut rapportée
et conduite ladicte saincte Ampoulle par les dessus dits jusques
en ladicte abbaye. Et qui eut veu ladicte Pucelle accoler le roy
à genoulx par les jambes et baiser le pied, pleurant à
chaudes larmes, en eust eu pitié ; et elle provoquoit plusieurs
à pleurer en disant : "Gentil roy, ores est exécuté
le plaisir de Dieu, qui vouloit que vinssiez à Rheims recevoir
vostre digne sacre, en monstrant que vous estes vray roy, et celuy
auquel le royaume doit appartenir !"
La Pucelle pressait le roi le plus diligemment qu'elle pouvait, d'aller
à Reims, et ne faisait nul doute qu'il y serait sacré. Aussi quitta-t-il sa
cité de Troyes, et prit-il son chemin vers Châlons en Champagne avec
toute son armée, la Pucelle à la tète des hommes d'armes, armée de
toutes pièces. On chevaucha si bien que l'on arriva à Châlons. Quand les
habitants de la ville surent la venue du roi, l'évêque et une grande
multitude de peuple avec lui vinrent à sa rencontre, et lui firent pleine
obéissance. Il passa la nuit dans la ville avec son armée, et y établit de
son autorité des capitaines et des autorités, ni plus ni moins qu'il l'avait
fait à Troyes.
De Châlons le roi prit son chemin sur Reims ; et il vint à un château
qui est à l'archevêque de Reims, au lieu nommé Sept-Saulx, à quatre
lieues de la ville. Dans cette cité de Reims étaient les seigneurs de Châtillon-sur-Marne et de Saveuses, tenant le parti des Anglais et des Bourguignons. Sur leur ordre et commandement, les habitants vinrent les
trouver, car Châtillon se disait capitaine de Reims. Les seigneurs leur
demandèrent s'ils avaient la volonté de bien se tenir et de se défendre. Les habitants demandèrent à leur tour si les hommes d'armes étaient
en assez grand nombre pour les aider à se garder. Ils répondirent que
non, mais que, s'ils pouvaient tenir six semaines, ils leur amèneraient un
grand secours tant du duc de Bedford que du duc de Bourgogne ; et sur
ce ils partirent, du consentement des habitants.
Il y avait alors dans la ville quelques hommes de bonne volonté qui
commencèrent à dire qu'il fallait aller vers le roi, et le peuple demanda
qu'on y envoyât. On députa des notables, tant d'Église que d'autres ; et,
après plusieurs requêtes qui furent trouvées opportunes, il fut délibéré
et conclu qu'on laisserait entrer le roi et l'archevêque avec tous ceux qui
les suivaient.
Et il est vrai que l'archevêque n'avait point encore fait son entrée, et il la fit le samedi matin. Après dîner, sur le
soir, le roi entra, lui et ses gens, et Jeanne la Pucelle était fort regardée.
Et là vinrent les ducs de Bar et de Lorraine et le seigneur de Commercy (8),
bien accompagnés de gens de guerre qui s'offraient à son service Il fut ordonné que le lendemain, qui fut un dimanche, le roi prendrait
et recevrait son digne sacre ; aussi toute la nuit on fit diligence pour que
tout fût prêt au matin; et ce fut un cas bien merveilleux, car on trouva
en ladite cité toutes les choses nécessaires, qui sont grandes ; excepté
qu'on ne pouvait avoir celles qui sont à Saint-Denis en France.
Et parce que l'abbé de Saint-Rémy n'a pas coutume de bailler la sainte
ampoule, sinon d'après certaines formes et certaines manières, le roi envoya vers lui le seigneur de Rais, maréchal de France, le seigneur de Boussac et Sainte-Sévère, aussi maréchal de France, le seigneur de Graville, maître des arbalétriers, et le seigneur de Culan, amiral de France, qui firent les serments accoutumés, c'est à savoir de la conduire sûrement, etaussi de la reconduire jusques en l'abbaye. L'abbé, en grands habits ecclésiastiques, l'apporta bien solennellement et dévotement sous un poêle jusqu'à la porte devant Saint-Denis. Là, l'archevêque, pompeusement vêtu, accompagné de chanoines, l'apporta dedans la grande église, et la mit sur le grand autel. Le roi vint alors au lieu qui lui avait été ordonné, habillé des vêtements
propres à la cérémonie, et l'archevêque lui fit faire les serments accoutumés,
et il fut fait chevalier par le duc d'Alençon. Puis l'archevêque
procéda à la consécration, gardant tout au long les cérémonies et
solennités contenus au Pontifical. Le roi y fit comte le seigneur de Laval,
et il y eut plusieurs chevaliers faits par les ducs d'Alençon et de
Bourbon.
Et là était présente Jeanne la Pucelle, tenant son étendard en sa main,
laquelle en effet était cause dudit sacre et couronnement et de toute
l'assemblée. La sainte ampoule fut rapportée et conduite par les dessusdits
jusques en ladite abbaye.
Et qui eût vu la Pucelle embrasser le roi à genoux par les
jambes, et baiser le pied, pleurant à chaudes larmes, en aurait eu pitié (9) ;
et elle provoquait plusieurs à pleurer en disant: « Gentil roi, maintenant est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que (vous) vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes vrai roi, et celui auquel le royaume doit appartenir. »
Source : édition Vallet de Viriville - 1859
Illustrations :
- Reims, église Saint-Rémi ("La grande histoire
illustrée de Jeanne d'Arc" - H.Debout - 4° éd.1922)
- Tableau du sacre de Jules leneupveu.
Notes :
1 Jean de Sarrebruck.
2 Aujourd'hui Sept-Saulx, canton de Verzy, arrondissement de Reims
(Marne).
3 Regnaud de Chartres.
4 Itinéraire : Le roi était le ler et le 2 juillet
à Auxerre ; 6 et 11. Troyes ; 14, Saint-Phal et Châlons
; 16, Sept-Saulx et Reims ; 17. sacré à Reims ;
20, Saint-Marcou ; 22, Vailly ; 25, Soissons ; 28 à 31
Château-Thierry.
5 Le ms. du roi 6356 français de la Bibliothèque
nationale contient l'inventaire des joyaux de Charles V et Charles
VI, rois de France. On y trouve au feuillet 294 un chapitre intitulé
: "Parties des nouveaulx habiz royaulx ordonnez pour le fait
du sacre des rois de France, baillez en garde aux religieux, abbé
et couvent de M. S.Denys, par le roy Charles-quint, le 7°
jour de may 1380, oultre et pardessus ceux qu'ils ont eu en garde
par le temps passé.
6 II s'agit ici du fameux Gilles de Retz, et mieux Rais. Le roi
à ce qu'il paraît, l'avait fait maréchal le
jour même, 17 juillet 1429, à l'occasion du sacre.
Voir Charles VII et ses conseillers, 1858, in-8°, p.35, note
5.
7 Le ms. latin 1246, ancien fonds du roi, est un Pontifical
du sacre. Ce manuscrit, sur parchemin vélin, paraît
avoir été exécuté sous le règne
de saint Louis ou de Philippe le Hardi. Il est orné de
miniatures contemporaines. Le texte liturgique, en latin, est
accompagné de rubriques en français. (Fol. 1 : C)
Commence le corunement des Roys de France. Les rubriques
et les chapitres de l'Ordo se succèdent avec les
miniatures, qui peignent aux yeux chaque phase ou chacun des actes
de la cérémonie. (Fol. xcxijv) : Ici finist le
corunement des rois de France. (Fol. xcxiii) : Mémoire
de ce qui se doibt faire au coronement de la royne de France quand
elle n'est coronée avec le roy, et appartient à
l'archevêque de Reims. Cette addition parait avoir été
introduite à la fin du manuscrit primitif, vers 1600. Enfin
une main du quinzième siècle a écrit à
la dernière page de ce volume : "L'an de grâce
mil quatre cent soixante et ung, le mercredi vingt deuxiesme jour
de juillet, trespassa le roy Charles septiesme." Voici le
texte, traduit en français, du serment que prêtaient
les rois de France à leur couronnement, et que dut jurer
Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429 : "Au nom
du Christ, je promets au peuple chrétien qui m'est soumis
ces trois choses : 1° de conserver en tout temps, selon mon
pouvoir, en vraie paix l'Église de Dieu et tout le peuple
chrétien ; 2° d'interdire les exactions et toute iniquité
aux différents degrés de l'État ; 3°
de prescrire dans tous les jugements l'équité ainsi
que la miséricorde, afin d'obtenir pour moi et pour tous
la miséricorde du Dieu clément et miséricordieux,
qui vit et qui règne, etc...." "Le texte latin
qui précède est extrait d'un Pontifical de l'abbaye
de Saint-Denis en France, qui paroit être du quatorzième
siècle, et que l'on porte au sacre de nos roys." (Lévesque
de la Ravallière, Collection de Champagne, volume 126,
intitulé Sacre des rois, folio 86.)
8 C'est une erreur. Les ducs de Bar et de Lorraine étaient alors au siège de Metz Le duc de Bar, René, rejoignit son beau-frère à Provins plus de quinze jours plus tard, le duc de Lorraine ne rompit jamais avec le parti bourguignon.
9 Ici pitié signifie attendrissement, c'est une des significations du mot.
|