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Chronique de Perceval de Cagny - index
16 - Comme la Pucelle donna l'assaut à la ville de Paris |
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e jeudi mccccxxix, jour de Nostre Dame, viii° jour du mois de
septembre, la Pucelle, le duc d'Alençon, les mareschaulx
de Boussac et de Rais, et autres cappitaines en grant nombre de
gens d'armes et de traict, partirent, environ viii heures, de la
Chapelle près Paris, en belle ordonnance ; les ungs pour
estre en bataille, les autres pour garder de sourvenue ceulx qui
donrroient l'assault. La Pucelle, le mareschal de Rais, le sire
de Gaucourt, par l'ordonnance d'elle apellé ce qui bon lui
sembla , alèrent donner l'assault à la porte de Saint
Honnouré. La Pucelle print son estendart en sa main et avecques
les premiers entra ès fossez endroit le Marché aus
pourceaulx. L'assault fut dur et long, et estoit merveille à
ouyr le bruit et la noise des cagnons et coulevrines que ceulx de
dedens gectoient à ceulx de dehors, et de toutes manières
de traict à si grant planté comme innombrable. Et
combien que la Pucelle et grant nombre de chevaliers et escuiers
et autres gens de guerre fussent descenduz ès fossez et les
autres sur le bort et en l'environ, très pou en furent bleciez
; et y en out moult à pié et à cheval qui furent
féruz et portés à terre de coups de pierre de cagnon ; mais par la grâce de Dieu et l'eeur de la Pucelle,
oncques home n'en mourut ne ne fut bleciés qu'il ne peult
revenir à son ayse à son logis sans autre aide.
L'assault dura depuis environ l'eure de midi jusques
environ l'eure de jour faillant. Et après solleil couchant
la Pucelle fut férue d'un trait de haussepié d'arballestre
(1) par une cuisse. Et depuis que elle
fut férue, elle se efforçoit plus fort de dire que
chacun se approuchast des murs et que la place seroit prinse. Mais
pour ce qu'il estoit nuit et ce que elle estoit bleciée et
que les gens d'armes estoient lassez du long assault qu'ilz avoient
licit, le sire de Gaucourt et autres vindrent prendre la Pucelle,
et oultre son voulloir l'eu emmenèrent hors des fossez. Et
ainssi faillit l'assault. Et avoit très grant regret d'elle
ainssi soy departir, en disant : "Par mon martin, la place
eust esté prinse." Ilz la midrent à cheval
et la ramenèrent à son logis audit lieu de la Chapelle
et touz les autres de la compaignie le roy, le duc de Bar, le conte
de Cleremont qui ce jour estoient venuz de Saint Denys.
Le jeudi MCCCCXXIX, jour de Notre-Dame, VIIIe jour de septembre, la Pucelle,
le duc d'Alençon, les maréchaux de Boussac et de Rais, d'autres capitaines
avec grand nombre de gens d'armes et d'hommes de trait, partirent,
sur les VIII heures, de La Chapelle, près de Paris, en belle ordonnance,
les uns pour livrer la bataille, les autres pour garder de surprise ceux
qui donneraient l'assaut.
La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, et par l'ordonnance
de la Pucelle ceux que bon lui sembla, allèrent donner l'assaut à
la porte Saint-Honoré. La Pucelle prit son étendard en main, et entra
avec les premiers dans les fossés, en face du marché aux pourceaux.
L'assaut fut dur et long. C'était merveille d'ouïr le bruit et le fracas des
canons et des coulevrines que ceux du dedans jetaient à ceux du dehors;
et le sifflement de toute espèce d'armes de trait, en si grand nombre
qu'elles étaient comme innombrables. Et quoique la Pucelle et grand
nombre de chevaliers, d'écuyers et d'autres gens de guerre, fussent
descendus dans les fossés, que d'autres se tinssent sur le bord et
aux environs, très peu furent atteints et portés à terre de coups de
pierres de canon ; mais par la grâce de Dieu et l'heur de la Pucelle, nul
homme n'en mourut, ni ne fut blessé au point de ne pouvoir revenir à
son aise et sans aide à son logis.
L'assaut dura depuis l'heure de midi jusqu'à environ l'heure du jour
faillant, et après le soleil couchant la Pucelle fut frappée à la cuisse d'un
trait d'arbalète à hausse pied. Et après qu'elle eut été atteinte, elle
s'efforçait plus fort de dire que chacun s'approchât des murs et que la
place serait prise. Mais parce qu'il était nuit, qu'elle était blessée, et que
les gens était lassés du long assaut qu'ils avaient fait, le sire de Gaucourt et d'autres vinrent prendre la Pucelle, et, contre son vouloir,
l'emmenèrent hors des fossés. Et ainsi faillit l'assaut.
Elle avait très grand regret d'ainsi se départir, et disait : « Par mon martin, la place eût été prise ! » Ils la mirent à cheval, et la ramenèrent à
son logis audit lieu de La Chapelle, où rentrèrent tous les autres de la
compagnie du roi, le duc de Bar, le comte de Clermont, qui ce jour étaient venus de Saint-Denis.
Sources
: Jules Quicherat - "Bibliothèque
de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143
- 1845-46" et "Procès de condamnation et de réhabilitation
de la Pucelle" t.IV, p.1 à 37.
Illustrations :
- Bas-relief "Jeanne d'Arc blessée devant Paris".
Notes :
1 C'est à dire d'arbalète "à haussepied". Probablement
du trait d'une arbalète qu'on tendait avec le pied, par opposition à celles qui exigeaient
un tour. (Ayroles).
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