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Chronique de Perceval de Cagny - index
17 - Comme la Pucelle donna l'assaut à la ville de Paris |
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e vendredi IX° jour dudit mois, combien que la Pucelle eust
esté bleciée du jour de devant à l'assault
devant Paris, elle se leva bien matin et fist venir son beau duc
d'Alençon par qui elle se conduisoit, et luy pria qu'il fist
sonner les trompilles et monter à cheval pour retourner devant
Paris ; et dist, par son martin, que jamais n'en partiroit tant
qu'elle eust la ville.
Ledit d'Alençon et autres des capitaines estoient
bien de ce voulloir à l'entreprinse d'elle de y retourner,
et aucuns non. Et tantdiz que ilz estoient en ces parolles, le baron
de Mommorancy (1), qui tousjours avoit
tenu le parti contraire du roi, vint de dedens la ville, accompaignié
de L ou LX gentilzhommes, soy rendre en la compaignie de la Pucelle.
A quoy le cueur et le courage fut plus esmeu à ceulx de bonne
volenté de retourner devant la ville. Et tantdiz que ilz
se approuchoient, vindrent le duc de Bar et le conte de Cleremont
de par le roi, qui estoit à Saint Denys, et prièrent
à la Pucelle que, sans aler plus avant, elle retournast devers
le roi, audit lieu de Saint Denys. Et aussi de par le roi prièrent
audit d'Alençon et commandèrent à touz les
autres cappitaines, que ilz s'en venissent et amenassent la Pucelle
devers lui. La Pucelle et le plus de ceulx de la compaignie en furent
très marriz, et néantmoins obéirent à
la voulenté du roi, espérans aler trouver leur entrée
à prendre Paris par l'autre costé et passer Saine
à ung pont que le duc d'Alençon avoit fait faire au
travers de la rivière endroit Saint Denis ; et ainssi s'en
vindrent devers le roi.
Le samedi ensuivant, partie de ceulx qui avoient esté
devant Paris, cuidèrent bien matin aler passer la rivière
de Saine audit pont ; mais ilz ne pourent pource que le roi qui
avoit sceu l'intencion de la Pucelle, du duc d'Alencon et des autres
de bon voulloir, toute la nuit fist dépecier ledit pont.
Et ainssi furent demourez de passer. Ce jour, le roy tint son conseil,
ouquel plusieurs oppinions furent dictes ; et demoura audit lieu
jusques au mardi XIII° jour, tousjours tendant affin de retourner
sur la rivière de Laire au grant desplaisir de la Pucelle.
Le vendredi,
IXe jour du même mois, la Pucelle, quoiqu'elle eût été blessée le
jour précédent à l'assaut de Paris, se leva bien matin, et fit venir son
beau duc d'Alençon par lequel elle donnait ses ordres ; et elle le pria de
faire sonner les trompilles et de monter à cheval pour retourner devant
Paris ; et affirma par son Martin que jamais elle n'en partirait sans avoir
la ville.
Le duc d'Alençon et d'autres capitaines avaient bien le vouloir
de seconder son entreprise et de retourner ; mais quelques-uns ne le
voulaient pas.
Tandis qu'ils étaient en ces pourparlers, le baron de Montmorency,
qui avait toujours tenu le parti contraire au roi, vint de l'intérieur de la
ville accompagné de L ou LX gentilshommes se mettre en la compagnie
de la Pucelle; ce qui donna plus de coeur et accrut le courage de ceux qui
avaient la bonne volonté de retourner devant la ville.
Tandis que se faisait le rapprochement, arrivèrent, de la part du roi
qui était à Saint-Denis, le duc de Bar et le comte de Clermont. Ils
prièrent la Pucelle que, sans aller plus loin, elle retournât auprès du roi à Saint-Denis. De la part du roi, ils prièrent aussi d'Alençon, et commandèrent à tous les autres capitaines, de venir et d'amener la Pucelle
vers lui.
La Pucelle et la plupart de ceux de la compagnie en furent très marris ;
néanmoins ils obéirent à la volonté du roi, dans l'espérance qu'ils trouveraient
entrée pour prendre Paris par l'autre côté, en passant la Seine sur
un pont que le duc d'Alençon avait fait jeter sur la rivière vis-à-vis de
Saint-Denis; et ils vinrent ainsi vers le roi.
Le lendemain, samedi, une partie de ceux qui avaient été devant Paris
pensèrent aller bien matin passer la Seine sur ledit pont, mais ils ne le
purent, parce que le roi, ayant su l'intention de la Pucelle, du duc d'Alençon
et des autres de bon vouloir, avait fait passer toute la nuit à le
mettre en pièces. Et ils furent ainsi empêchés de passer.
Ce jour, le roi tint son conseil auquel plusieurs opinions furent émises ; il demeura à Saint-Denis jusqu'au mardi XIIIe jour de septembre, tendant toujours à revenir sur la Loire, au grand déplaisir de la Pucelle.
Sources
: Jules Quicherat - "Bibliothèque
de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143
- 1845-46" et "Procès de condamnation et de réhabilitation
de la Pucelle" t.IV, p.1 à 37.
Illustrations :
- Porte st Honoré à Paris (Bibliothèque nationale).
Notes :
1 Selon Monstrelet, le baron aurait fait sa soumission lors du
séjour de Charles VII à Compiègne. Chartier
le nomme parmi ceux qui se distinguèrent aux côtés
de Jeanne à l'assaut de Paris. Quicherat condisère
Perceval de Cagny comme plus sûr que ces deux historiens.
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