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Chronique de Perceval de Cagny -
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4 - Comment la Pucelle print et leva les bastilles d'Orléans |
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n celui an MCCCCXXIX, le IV° jour du mois de may après
disner, la Pucelle appela les capitaines, et leur ordonna que eulx
et leurs gens fussent armez et prestz à l'eure qu'elle ordonna
: à laquelle elle fut preste et à cheval plus tost
que nul des autres cappitaines, et fist sonner sa trompille ; son
estandart après elle, ala parmy la ville dire que chacun
montast, et vint faire ouvrir la porte de Bourgoigne et se mist
aux champs. Les gens de la ville, qui estoient en bon abillement
de guerre, avoient ferme espérance que les Englois ne leur
pourroient [faire] mal en sa compaignie ; saillirent dehors à
très grant nombre. Et après se misrent aux champs
les mareschaulx de Rais et de Boussac, le bastart d'Orléens,
le sire de Graville (1) et les autres
cappitaines. La Pucelle leur ordonna à garder que les
Englois qui estoient dedens leurs bastilles en bien grant nombre,
ne peussent venir après elle et ses gens de pié de
la ville. Elle print poy des gens d'armes avec elle, et s'en ala
devant la bastille de l'abbaye des Dames, nommée Saint Lo,
en laquelle estoient environ IIIc Englois. Si tost comme les gens
de la ville d'Orléens y furent arrivez, incontinent ilz alèrent
à l'assault. La Pucelle print son estendart et se vint mettre
sur le bort des fossez. Tentost après ceulx de la place se
vouldrent
rendre à elle. Elle ne les voult recevoir à rançon
et dist qu'elle les prendrait maulgré eulx, et fist renforcier
son assault. Et incontinent fut la place prinse et presque tous
mis à mort. Ce fait, elle retourna en la ville d'Orléens,
et les seigneurs avecques, qui l'avoient attendue, qui tous se donnoient
merveilles de ses faiz et de ses parolles. Ne oncques nul des autres
Englois ne se misdrent en nulle ordonnance, ne ne firent semblant
de saillir hors de leurs places, ne emplus que se ilz n'eussent
veu ne ouy chose qui leur deust desplaire.
Tout le jour de lendemain qui fut jeudi, la Pucelle
ne nul des capitaines ne se bougèrent de ladicte ville (2).
Le vendredi, à heure de vespres, elle dist que chacun fust
armé et prest, et en bataulx vint passer la rivière
devers la Salloingne. Tous ne la suyrent pas comme elle cuidoit.
Aussi tost comme elle fust descendue à terre et pou de gens
avecques elles, elle se ala mectre devant la bastille des Augustins,
son estendart en sa main, et fist sonner trompilles à l'assault
incontinent ; et après ce ne demoura gaires que la place
ne fut prinse. Et ce fait, ceulx de sa compaignie cuidoient que
elle deust retourner à résir à la ville. Elle
se logea en laditte bastille, qui estoit moult bien garnie de vivres,
et dist : "Par mon martin, je auray demain les tours de
la bastille du pont, ne n'entreray en Orléens jusques à
ce qu'elles soient en la main du bon roy Charles." Et manda
à ceulx qui estoient en la ville demourez, fussent l'endemain
bien matin devers elle.
Glacidaz demoura cappitaine des tours et de la Bastille
des ponz après la mort du conte de Salsebery qui fut tué
dedens, d'une pierre de canon, et ne fut oncques sceu qui la gecta
ne dont elle vint. La place sembloit imprenable d'assault à
toutes gens de guerre et estoit garnie de tous les abillemens qui
appartiennent à la deffence de place assaillie. Et si avoit
ledit Glacidas avecques lui en la place de VII à VIIIc Englois
telz que bon lui avoit semblé pour sa seurté. Et n'y
avoit celuy des cappitaines à qui il ne semblast impossible
que laditte place deust estre prime en ung mois à plus de
gens la moitié que ilz n'estoient. La Pucelle dist à
ceulx qui estoient avecques elle : "Par mon martin, je la
prendray demain et retourneray en la ville par sus les pons."
Le samedi à VII heures du matin, elle fist sonner
ses trompilles et fist sçavoir que chacun fust prest d'aler
donner l'assault. Et environ vii heures elle print son estendart
et s'ala metre sus le bort des fossez. Et incontinent commencèrent
à gecter grant nombre de cagnons et de coulevrines du costé
de dehors. Et ceulx de dedens faisoient tout ce que possible leur
estoit pour deffence. On entra dedens leurs fossez maulgré
eulx. L'assault fut dur et long ; et furent plusieurs de ceulx de
dedens mors et biéciés et pou des autres. En ce jour
leur fut donné par iii ou iv fois l'assault, et tousjours
la Pucelle reconfortoit ses gens en leur disant "Ne vous
doubtez, la place est nostre." Et environ l'eure de vespre
elle se mist ou font des fossés, et incontinent ilz furent
apportez plusieurs eschielles et renforsa l'assault de coulevrines
et gens de trait. Et ne demoura gaires que noz gens entrèrent
en la place.
Ledit Glacidas et autres des plus grans de la place,
quant ils veirent que eulx estoient prins, pour eulx saulver, cuidèrent
recouvrer une des tours ; mais pour la presse qui fut très
grande sur leur pont, le pont rompit et fut ledit Glacidas et plusieurs
autres noyez, et presque touz les autres mis à mort. Ainssi
fut la place gaignée. De quoy touz ceulx qui ce veirent furent
touz esmerveillez ; et n'y moururent pas de l'aultre costé
plus hault de xvi à xx personnes. Les pons qui estoient tant
depeciez que ce estoit merveille et sembloit impossible que en viii
jours on eust trouvé manière de y passer nulles gens,
en mains de iii heures après, la chose fut mise en tel apareil
que la Pucelle et ceulx qui y vouldrent passer, vindrent par sus
les pons gesir en la ville. Dieu sçait à quel joye
elle et ses gens y furent receuz.
En cet
an MCCCCXXIX, le IVe jour de mai, après dîner, la Pucelle appela les
capitaines, et leur ordonna d'être prêts, eux et leurs gens, à l'heure qu'elle fixa. Elle fut prête elle-même et à cheval plus tôt que nul des autres
capitaines ; et elle fit sonner sa trompille ; son étendard après elle, elle
alla par la ville dire que chacun montât (3); et elle vint faire ouvrir la porte
de Bourgogne et se mit aux champs. Les gens delà ville, qui étaient bien équipés en guerre, avaient ferme espérance qu'en sa compagnie les
Anglais ne pourraient leur faire de mal. Ils saillirent dehors en très grand
nombre ; et après eux se mirent aux champs les maréchaux de Rais et de
Boussac, le bâtard d'Orléans, le sire de Graville et les autres capitaines.
La Pucelle leur ordonna de garder que les Anglais, qui étaient dans leurs
bastilles en très grand nombre, ne pussent venir après elle et après ses
gens, qui sortaient à pied de la ville.
Elle prit peu de gens d'armes avec elle, et elle s'en alla devant la bastille
de l'abbaye des Dames, nommée Saint-Loup, où se trouvaient environ
trois cents Anglais. Sitôt que les gens d'Orléans y furent arrivés, ils
allèrent incontinent à l'assaut. La Pucelle prit son étendard et vint se
mettre sur le bord des fossés. Bientôt après ceux de la place voulurent
se rendre à elle; elle ne voulut pas les recevoir à rançon et elle dit qu'elle
les prendrait malgré eux, et elle fit pousser de plus fort son assaut. Incontinent
la place fut prise, et presque tous ses défenseurs furent mis à
mort. Cela fait, elle retourna en la ville d'Orléans, et avec elle les seigneurs
qui l'avaient attendue, qui tous se donnèrent merveille de ses
faits et de ses paroles. Jamais les autres Anglais ne se mirent (dans la
suite) en nulle ordonnance, ni ne firent semblant de saillir hors de leurs
places, pas plus que s'ils n'eussent vu ou entendu chose qui dût leur
déplaire.
Tout le jour du lendemain qui fut jeudi, ni la Pucelle ni
aucun des capitaines ne bougèrent de la ville.
Le vendredi, à l'heure des vêpres, elle dit que chacun fût prêt et armé,
et elle passa la rivière en bateau du côté de la Sologne. Tous ne la suivirent pas, ainsi qu'elle s'y attendait. Aussitôt qu'elle fut descendue à
terre, et une poignée de gens avec elle, elle alla, son étendard en main,
se mettre devant la bastille des Augustins, et fit incontinent sonner trompilles
pour l'assaut, et après, il ne se passa guère de temps que la place
ne fût prise. Cela fait, ceux de sa compagnie pensaient qu'elle allait retourner coucher.
en ville. Elle se logea en ladite bastille qui était bien garnie de vivres,
et dit : « Par mon Martin, j'aurai demain les tours de la bastille du pont,
et je n'entrerai pas à Orléans, qu'elles ne soient en la main du bon duc
Charles » ; et elle manda à ceux qui étaient demeurés en la ville d'être
devers elle dès le lendemain bon matin.
Glacidas était demeuré capitaine des tours et de la bastille des ponts,
après la mort du comte de Salisbury, qui fut tué dans l'une d'elles par
une pierre de canon, sans qu'on ait jamais pu savoir qui la fit partir, ni
d'où elle était venue. La place semblait imprenable d'assaut à tous les gens
de guerre ; et elle était garnie de tout ce qui sert à la défense d'une place
assaillie. Ledit Glacidas avait avec lui, en la place, de sept à huit cents
Anglais, tels que bon lui avait semblé pour y être en sûreté. Il n'y avait
pas de capitaine à qui il ne semblât impossible que ladite place pût être prise en un mois, y eût-il la moitié plus de gens qu'ils n'étaient. La
Pucelle dit à ceux qui étaient avec elle : « Par mon Martin, je la prendrai
demain, et je retournerai en ville pardessus les ponts. »
Le samedi, à sept heures du matin, elle fit sonner ses trompilles, et fit
savoir que chacun fut prêt d'aller donner l'assaut. Sur les sept heures elle
prit son étendard, et s'alla mettre sur le bord des fossés, et incontinent
du côté du dehors commencèrent les décharges d'un grand nombre de
canons et de coulevrines. Ceux du dedans faisaient tout leur possible
pour se défendre. On entra malgré eux dans les fossés. L'assaut fut donné
en ce jour trois ou quatre fois ; et la Pucelle réconfortait toujours ses
gens en leur disant : « N'en doubtez pas, la place est nostre ». Environ
l'heure de vêpres, elle se mit au fond des fossés, et incontinent plusieurs échelles furent apportées, tandis que l'assaut recevait une nouvelle force du
tir des coulevrines et du nombre des gens de trait ; et sans beaucoup
tarder nos gens entrèrent en la place.
Ledit Glacidas et les autres défenseurs plus haut placés se voyant pris
pensèrent, pour se sauver, regagner une des tours ; mais la presse fut si
grande que le pont se rompit, et ledit Glacidas et plusieurs autres furent
noyés ; presque tous les autres furent mis à mort. Ainsi la place fut gagnée.
Tous ceux qui virent le fait en furent tous émerveillés, et il n'y mourut
pas du côté des vainqueurs plus de seize à vingt personnes. Les ponts étaient si démantelés que c'était merveille ; il semblait impossible qu'en
huit jours on eut trouvé moyen d'y faire passer un homme ; en moins de
trois heures la chose fut mise en tel état que la Pucelle, et ceux qui y
voulurent passer, vinrent par-dessus les ponts coucher en ville.
Sources
: Jules Quicherat
- "Bibliothèque de l'école des Chartes, t.II,
2° série, p.143 - 1845-46" et "Procès
de condamnation et de réhabilitation de la Pucelle"
t.IV, p.1 à 37.
Illustrations :
- Belle croix sur le pont d'Orléans
- Vue générale d'Orléans ("La
grande histoire illustrée de Jeanne d'Arc" - H.debout,
4° éd.1922)
- Cathédrale Ste Croix (ibid.)
Notes :
1 Jean Malet, le dernier défenseur de la Normandie, d'où
Il s'expatria en 1418, après avoir perdu le Pont de l'Arche.
Il était grand maître des arbalétriers depuis
1425.
2 C'était le jour de l'Ascension.
3 Saint-Loup était sur une hauteur.
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