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Chronique
de Jean de Wavrin du Forestel
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Livre IV - Chap. VIII . |
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omment Jehanne la Pucelle vint devers
le roy de France à Chynon en poure estat, et de son abus.
En cel an que pour lors on comptoit mil cccc xxviii,
le siége estant à Orlyens, vint devers le roy Charles
de France à Chynon, où il se tenoit pour lors, une
josne fille quy se disoit estre pucelle, eagie de xx ans
ou environ. Laquelle fut envoiée devers le roy de France
par ung chevallier nommé messire Robert de Baudricourt,
capittaine du lieu de Vaucoullour, commis de
par ledit roy Charles, lequel messire Robert luy bailla chevaulz et chincq ou six compaignons. Et si
l'introduisi et aprinst de ce qu'elle devoit dire et
faire, et de la manière qu'elle avoit à tenir, soy disant
pucelle inspirée de la Providence divine ; et qu'elle
estoit transmise devers ledit roy Charles pour le restituer
et remettre en la possession de tout son royaulme
generallement, dont il estoit, comme elle disoit dechassiés
et déboutez à tant. Et estoit ladicte pucelle
en assez poure estat à sa venue. Si fut environ deux
mois en l'hostel du roy dessusdit, lequel par pluiseurs
fois elle admonnesta par ses parolles, ainsi comme elle
estoit introduite, que il luy baillast gens et ayde, et
elle rebouteroit et enchasseroit ses annemis et exaulceroit
son nom, ampliant ses seignouries ; certiffiant
que de ce elle avoit eu souffisante revélation.
*Durant lequel temps, le roy ne son conseil ne adjoustoient
point grand foy à elle, ne à chose qu'elle
sceust dire, et le tenoit on comme une folle desvoyée
de sa santé ; car, à si grans prinches et aultres nobles
hommes, telles ou pareilles parolles sont moult
doubtables et périlleuses à croire, tant pour l'yre de
Nostre-Segneur principalement, comme pour le blaspheme
qu'on en pourrait avoir des parlers du monde.
Nientmains, après qu'elle heubt esté en l'estat que dit
est, une espace, elle fut aidie et ly furent baillies gens
et habillemens de guerre ; et esleva un estendart où
elle fist pindre la représentacion de nostre Créateur.
Si estoient toutes ses parolles du nom de Dieu. Pour
quoy grand partie de cheulx qui la véoient et ooient
parler, avoient grand credence et variacion qu'elle fust
inspirée de Dieu, comme elle se disoit estre. Et fut par
pluiseurs fois examinée de notables clercz et autres
saiges hommes de grande auctorité, affin de sçavoir
plus a plain son intencion ; mais tousjours elle se tenoit en son propos, disant que se le roy la vouloit croire,
elle le remettrait en sa signourie. Et depuis che temps,
fist aulcunes besongnes dont elle acquist grande renommée, desquelles sera chi après plus à plain déclairié.*
Et lorsqu'elle vint devers le roy, estoient à court le
duc d'Allenchon, le marissal de Raix et pluiseurs
autres grans seigneurs et capittaines, avec lesquelz le
roy avoit tenu conseil, touchant le fait du siege d'Orlyens.
Et s'en alla tost aprez avec luy celle Pucelle de
Chinon à Poitiers, où il ordonna que ledit marissal
menroit vivres et artillerie et autres besongnes necessaires
audit lieu d'Orlyens à puissance. Avec lequel
volt aller Jehanne la Pucelle et fit requête qu'on lui baillât harnois , pour soi armer et habiller, lequel lui fut baillé. Et tôt après, leva son étendard et alla à Blois où l'assemblée se faisoit, et de là à Orléans avec les autres. Si étoit toujours armée de plein harnois; et, en ce même voyage, se mirent plusieurs jçens de guerre sous elle.
Quant ladite Pucelle fut dedens la cité d'Orlyens
venue, on luy fist très grant chière. Et furent aulcuns
moult joyeulz de le veoir estre en leur compaignie. Et
quant les François gens de guerre, quy avoient amené
les vivres dedens Orlyens, s'en retournèrent devers le roy, la Pucelle demoura illec. Si fut requise d'aler auz
escarmuches avec les autres par La Hire et aulcuns
capittaines ; mais elle fist responce que point n'yroit
se les gens d'armes quy l'avoient amené n'estoient
aussi avec elle. Lesquelz furent remandez de Blois
et des autres lieux où ilz s'estoient jà retrais. Et ilz
retournèrent à Orlyens où d'ycelle Pucelle furent
joyeusement recheus. Si alla au devant d'eulx pour les
bienvingnier, disant qu'elle avoit bien veu et advisé
le gouvernement des Anglois, et que, se ilz le voulloient
croire, elle les feroit tous riches.
Si commença ce propre jour à issir hors de la ville
et s'en alla moult vivement assaillir une des bastilles
des Anglois qu'elle prinst par force. Et depuis, en continuant,
fist des choses très esmerveillables dont cy
aprez sera fait mention en son ordre.
* Comme Monstrelet, chap. LVII
En cet an que pour lors on comptait mil quatre cent et vingt-huit (1), le siège étant à Orléans, vint devers le roi Charles de France à Chinon,
où il se tenait pour lors, une jeune fille qui se disait Pucelle, âgée de
vingt ans ou environ, nommée Jeanne. Elle était vêtue et habituée en
guise d'homme, née des parties entre Bourgogne et Lorraine, d'une ville
nommée Domrémy, assez près de Vaucouleurs. Cette Jeanne fut pendant
un long espace de temps demeurant en une hôtellerie, où elle était très
hardie à chevaucher les chevaux, à les mener boire, et aussi à faire
autres tours et habiletés que les jeunes filles n'ont pas coutume
de faire, laquelle fut envoyée devers le roi de France par un chevalier
nommé Messire Robert de Baudricourt, capitaine dudit lieu de
Vaucouleurs, commis de par ledit roi Charles. Messire Robert lui donna
des chevaux et cinq ou six compagnons, et si l'introduisit (la forma), et lui
apprit ce qu'elle devait dire et faire, et la manière qu'elle avait à tenir,
se disant Pucelle inspirée de la Providence divine, et qu'elle était transmise
devers ledit roi Charles pour le restituer et remettre en la possession
de tout son royaume généralement, dont il était, comme elle disait,
chassé et débouté à tort.
Cette Pucelle était à sa venue en fort pauvre état ; elle fut environ
deux mois en l'hôtel du roi, lequel par plusieurs fois, ainsi qu'elle y avait été formée, elle admonesta par ses paroles de lui donner gens et aide et
qu'elle rebouterait et chasserait ses ennemis, exalterait son nom et amplifierait
ses seigneuries ; certifiant que de cela elle en avait eu bonne
révélation; mais quoiqu'elle sut dire, en ce commencement, le roi ni
ceux de son conseil n'ajoutaient pas grande foi à ses paroles et à ses
instances. Et on ne la tenait alors en la cour que comme une folle dévoyée, parce qu'elle se vantait de conduire à bonne
fin une si haute besogne qu'elle semblait chose impossible aux hauts
princes, vu qu'eux tous ensemble n'y avaient pu pourvoir. C'est pourquoi
l'on tournait ses paroles en folie et en dérision, car il semblait bien à ces
princes que c'était chose périlleuse d'y ajouter foi, à cause des blasphèmes qui pourraient s'ensuivre, et des paroles ou
brocards du peuple, vu que c'est une grande confusion à homme sage
d'être abusé pour croire trop légèrement, spécialement en choses suspectes
de leur nature.
Néanmoins, après que la Pucelle eût demeuré en la cour du roi en cet état durant un bon espace de temps, elle fut mise en avant et reçut aide ;
elle arbora un étendard où elle fit peindre la figure et représentation de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Toutes ses paroles étaient pleines du nom
de Dieu. C'est pourquoi une grande partie de ceux qui la voyaient et
entendaient parler, en fols qu'ils étaient, avaient grande confiance et
inclination (à croire) qu'elle fût inspirée, ainsi qu'elle disait. Elle fut
plusieurs fois examinée par de notables clercs et gens de grande autorité,
afin de s'enquérir et de savoir plus à plein son intention ; mais
toujours elle maintenait son propos, disant que si le roi la voulait croire
elle le rétablirait en sa seigneurie. Maintenant pareil propos, elle conduisit à heureuse fin certaines besognes, qui lui valurent grande renommée,
bruit et exhaussement; ce dont il sera parlé plus à plein ci-après.
Lorsqu'elle vint devers le roi, se trouvaient à la cour le duc d'Alençon, le maréchal de Rais, et plusieurs autres grands seigneurs et capitaines avec lesquels le roi avait tenu conseil sur le fait du siège d'Orléans. Cette Pucelle s'en alla bientôt avec lui de Chinon à Poitiers, où le roi
ordonna que ledit maréchal mènerait des vivres, de l'artillerie et d'autres
approvisionnements nécessaires audit lieu d'Orléans, avec une forte
escorte. La Pucelle voulut aller avec le maréchal ; elle fit donc requête
qu'on lui donnât équipement pour s'armer, ce qui lui fut délivré ; puis
son étendard au vent, ainsi qu'il a été dit, elle s'en alla à Blois où se
faisait rassemblée, et de là à Orléans avec les autres; elle était toujours
armée de toutes pièces, et dans ce même voyage plusieurs gens d'armes
se mirent sous sa conduite.
Quand la Pucelle fut venue dans la cité d'Orléans, on lui fit très bon
accueil, et plusieurs furent très joyeux de la voir être en leur compagnie.
Lorsque les gens de guerre français qui avaient amené les vivres dans
Orléans s'en retournèrent devers le roi, la Pucelle demeura à Orléans.
Elle fut requise par La Hire et quelques capitaines d'aller avec les autres
aux escarmouches ; elle répondit qu'elle n'irait point, si les gens d'armes
qui l'avaient amenée n'étaient aussi avec elle ; ils furent redemandés de
Blois et des autres lieux où ils étaient déjà retirés. Ils retournèrent à
Orléans où ils furent joyeusement reçus par cette Pucelle. Elle leur alla
au-devant pour leur témoigner de leur bienvenue disant qu'elle avait
bien vu et considéré le gouvernement des Anglais, et que s'ils voulaient
la croire elle les ferait tous riches.
Elle commença ce même jour à saillir hors de la ville, et s'en alla
moult vivement assaillir une des bastilles des Anglais qu'elle prit par
force; et depuis en continuant elle fit des choses très merveilleuses,
dont il sera en son ordre fait mention ci-après.
Source : Jules Quicherat, "Procès de Jeanne d'Arc - t.IV, p.406.
Mise en Français modernisé, J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc", t.III, p.487.
Notes :
1 Ancien calendrier.
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