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Livre
I - DOMREMY ET VAUCOULEURS
II
- Le départ - p. 86 à 101 |
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e
récit de la vocation de Jeanne d'Arc ne nous est pas venu
par la tradition populaire : si merveilleux qu'il paraisse, il ne
fait pas l'objet d'une légende. C'est Jeanne elle-même
qui parle : ce sont ses juges qui ont fait écrire ses paroles
dans la rédaction officielle de son procès.
Elle raconte qu'à l'âge de treize ans (cela
reporte à l'an 1425) elle eut une voix de Dieu qui l'appela.
C'était un jour d'été, à l'heure de
midi, dans le jardin de son père. La voix se fit entendre
d'elle à la droite, du côté de l'église,
et une grande clarté lui apparut au même lieu ; et
rarement depuis elle entendit la voix sans qu'elle vit en même
temps cette lumière. La première fois elle eut grand'peur
; mais elle se rassura, elle trouva que la voix était digne
: et elle déclare à ses juges qu'elle lui venait de
Dieu. A la troisième fois, elle connut que c'était
la voix d'un ange. (1)
C'était, comme elle le sut plus tard, l'archange
saint Michel. Il se fit voir à elle entouré de la
troupe des anges : "Je les ai vus des yeux de mon corps
aussi bien que
je vous vois, disait-elle à ses juges ; et lorsqu'ils s'en
allaient de moi, je pleurais, et j'aurais bien voulu qu'ils
me prissent avec eux." L'ange,
dans ces premières apparitions, ne faisait que la préparer
à son œuvre ; il lui disait de se bien conduire, de
fréquenter l'église, d'être bonne fille, et
que Dieu lui aiderait. Déjà pourtant il lui faisait
entrevoir le but de sa mission. Il lui apprenait qu'un jour il lui
faudrait venir en France ; qu'elle y viendrait au secours du roi
; et il lui racontait la pitié qui était au royaume
de France. Mais que faire pour y porter remède ? L'ange ne
lui en donnait point encore le secret ; seulement il lui promettait
d'autres apparitions plus familières en quelque sorte et
plus intimes. Sainte Catherine et sainte Marguerite devaient venir
à elle pour la guider : il lui ordonnait de croire à
leurs paroles, que c'était le commandement de Dieu. Et dès
ces premiers temps, les saintes lui apparurent et commencèrent
à gouverner sa vie. (2)
Aux premières marques de cette vocation divine,
Jeanne se donna tout entière à Dieu en lui vouant
sa virginité. Elle vivait dans le commerce de ses saintes,
ne changeait rien d'ailleurs à sa manière de se conduire.
On la voyait bien quelquefois quitter ses compagnes, se recueillir
comme si elle était devant Dieu, et les autres s'en moquaient.
Mais nul ne sut ce qui se passait en elle, pas même celui
qui l'entendait en confession. Elle garda la chose secrète,
non qu'elle se crût obligée à la taire, mais
pour mieux assurer du succès quand le temps viendrait de
l'accomplir : car elle craignait les pièges des Bourguignons,
elle craignait les résistances de son père (3).
Cependant les périls s'étaient accrus.
Tandis que tout manquait à Charles VII, qu'on l'engageait
à se retirer en Dauphiné, qu'il songeait lui-même
à chercher un asile soit en Espagne, soit en Écosse,
Bedford venait de raffermir ses alliances sur le continent et Salisbury
passait en France pour porter enfin la guerre au coeur des
pays demeurés fidèles au roi national. Les apparitions
de Jeanne lui venaient plus fréquentes. Deux ou trois par
semaine, la voix lui répétait qu'il fallait partir
et venir en France ; et un jour enfin il lui fut ordonné
d'aller à Vaucouleurs auprès de Robert de Baudricourt,
capitaine du lieu, qui lui donnerait des gens pour partir avec elle. (4)
Partir, quitter
sa mère, ses jeunes amies, ses paisibles travaux, pour se
jeter en pareille compagnie dans cette vie de hasards, c'était
chose qui devait troubler étrangement cette âme simple
et recueillie. Elle disait plus tard qu'elle eût mieux aimé
être tirée à quatre chevaux, que de venir en
France sans la volonté de Dieu. Jusque-là, le caractère
de sa mission pouvait se dérober à ses yeux dans les
ombres de l'avenir et l'attirer par le mystère. Quand les
voix lui disaient qu'il fallait aller au secours de la France,
elle se sentait pleine d'ardeur et d'impatience : "Elle ne
pouvait plus durer où elle était". Mais quand
les voiles tombèrent, quand le présent se montra avec
toutes les misères, les dégoûts de la réalité,
et qu'il fallut partir, elle s'effraya. Elle répondit qu'elle
n'était qu'une pauvre fille qui ne saurait ni monter à
cheval ni faire la guerre. Mais la voix avait parlé : elle
triompha de ses répugnances. Et Jeanne, sans étouffer
le cri de son coeur, n'eut plus qu'une pensée : ce fut de
concourir de toute sa force à l'accomplissement de la volonté
de Dieu (5)
Elle alla chez son oncle Durand Laxart, qui demeurait
à Burey-le-Petit (Burey-en-Vaux), non loin de Vaucouleurs,
comme pour passer quelque temps près de lui ; et au bout
de huit jours elle s'ouvrit à lui de ses projets. Elle lui
dit qu'elle voulait aller en France vers le dauphin pour le faire
couronner. Comme Il s'étonnait de son dessein : "N'est-il
pas dit, ajouta-t elle, qu'une femme perdrait la France et qu'une
jeune fille la relèverait ?" Et quand elle le vit
ébranlé, elle le pria de venir avec elle à
Vaucouleurs Pour demander au sire de Baudricourt de la faire conduire
au lieu où était le dauphin. (6)
Il se rendit à sa prière, et la mena à
Vaucouleurs vers le temps de l'Ascension (13 mai 1428). Elle se
présenta dans ses habits de paysanne au sire de Baudricourt,
qu'elle distingua parmi les siens sans l'avoir jamais vu : "Mes
voix, dit-elle, me le firent connaitre ;" et elle lui dit qu'elle
venait de la part de son Seigneur, afin qu'il mandât au dauphin
de bien se tenir et de ne point assigner bataille à ses ennemis,
parce que le Seigneur lui donnerait secours avant le milieu du carême.
Elle disait que le royaume n'appartenait pas au dauphin, mais à
son seigneur ; mais que son Seigneur voulait que le dauphin devînt
roi et qu'il eût ce royaume en commende ; qu'en dépit
de ses ennemis il serait roi, et qu'elle-même le conduirait
au sacre.
"Et quel est ton Seigneur? dit Robert.
- Le Roi du ciel."
Le sire de Baudricourt l'estima folle, et l'aurait volontiers
livrée aux grossiers ébats de ses soldats. Il crut
la ménager fort en disant à son oncle qu'il ferait
bien de la ramener à son père bien souffletée. (7)
Elle revint à Burey (car ses voix lui avaient
prédit cet affront) et de là dans la maison de son
père, reprenant ses occupations accoutumées, mais
toujours ferme dans sa résolution ; et on aurait pu la deviner
à plusieurs paroles. Peu de temps après son retour,
la veille de la Saint Jean-Baptiste, elle disait à un jeune
garçon de son village qu'il y avait entre Coussey et Vaucouleurs
(Domrémy est entre les deux) une jeune fille qui, dans l'année,
ferait sacrer le roi. Une autre fois elle disait à Gérardin
d'Épinal : "Compère, si vous n'étiez
Bourguignon, je vous dirais quelque chose." Il crut alors
qu'il s'agissait de mariage. Des bruits, d'ailleurs, avaient pu
revenir de son voyage à Vaucouleurs. Elle dit dans son procès
que, pendant qu'elle était encore chez son père, il
avait rêvé qu'elle s'en irait avec les gens d'armes.
Sa mère lui en parla plusieurs fois, et se montrait, comme
son père, fort préoccupée de ce songe : aussi
la tenait-on dans une plus grande surveillance, et le père
allait jusqu'à dire à ses autres enfants : "Si
je pensais que la chose advint, je vous dirais : Noyez-la, et si
vous ne le faisiez, je la noierais moi-même". On essaya
quelque moyen moins violent de la détourner de ses pensées.
On voulut la marier : un homme de Toul la demanda et comme elle
refusait, il l'assigna devant l'officialité, prétendant
qu'elle lui avait promis mariage ; mais elle parut devant le juge
et confondit son étrange adversaire. (8)
Cependant, le temps qu'elle avait marqué approchait.
Jeanne voulut faire la démarche décisive. Son oncle
s'y prêta encore ; il se rendit à Domrémy, et,
alléguant les soins que réclamait sa femme nouvellement
accouchée, il obtint des parents de Jeanne qu'elle vînt
la servir. Elle partit sans prendre congé de ses parents.
Dieu avait parlé : "Et quand j'aurais eu cent pères
et cent mères et que j'eusse été fille de roi,
je serais partie". Néanmoins elle leur écrivit
plus tard pour leur demander pardon. Avec ses parents, elle laissait
derrière elle de bien chères compagnes. Elle vit en
partant la petite Mengette, et s'en alla, la recommandant à
Dieu. Quant à Hauviette, l'amie de son enfance, aurait-elle
pu lui cacher la cause réelle de son départ ? Elle
aima mieux lui laisser ignorer son voyage, et partit sans la voir.
Hauviette, dans sa déposition dit comme elle en a pleuré. (9)
Jeanne reparut à Vaucouleurs dans son pauvre
habit de paysanne, une robe grossière de couleur rouge, et
revit le sire de Baudricourt sans se faire mieux accueillir. Mais
elle ne se laissa plus congédier. Elle prit domicile chez
la femme d'un charron (Henri Le Royer), et demeura trois semaines,
à diverses fois, dans sa maison, toujours simple, bonne fille
et douce, filant avec elle, et se partageant entre ces travaux familiers
et la prière. Un témoin, qui était alors enfant
de chœur de Notre-Dame de Vaucouleurs, déposa qu'il
la voyait souvent dans l'église : "Elle y entendait,
dit-il les messes du matin et y demeurait longtemps en prières,
ou bien encore elle descendait dans la chapelle souterraine, et
s'agenouillait devant l'image de Marie, le visage humblement prosterné
ou levé vers le ciel." L'objet de son voyage n'était
plus un mystère pour personne : elle disait hautement (son
hôte, qui l'entendit, en dépose) qu'il fallait qu'elle
allât trouver le dauphin ; que son Seigneur, le roi du ciel,
le voulait ; qu'elle venait de sa part, et que, dût-elle y
aller sur ses genoux, elle irait. (10)
Plusieurs des hommes d'arme qui, sans doute, l'avaient
entendue devant le sire de Baudricourt voulurent la revoir. Jean
de Nouillompont, appelé aussi Jean de Metz, l'un d'eux, la
vint trouver chez le charron et lui dit :
"Ma mie, que faites-vous ici ? Faut-il que le roi
soit chassé du royaume, et
que nous devenions Anglais ?" Elle répondit :
"Je suis venue ici, à chambre de roi
(dans une ville royale), parler à Robert de Baudricourt pour
qu'il veuille mener ou faire mener au roi. Mais il ne prend souci
ni de moi ni de mes paroles. Et pourtant, avant le milieu du carême,
il faut que je sois devers le roi, quand je devrais user mes
jambes jusqu'aux genoux ; car nul au monde, ni ducs, ni fille du
roi d'Écosse, ni aucun autre ne peut recouvrer le royaume
de France ; et il n'y a point de secours que de moi : et certes,
j'aimerais bien mieux filer auprès de ma pauvre mère,
car ce n'est point mon état ; mais il faut que j'aille et
que je le fasse.
- Qui est votre Seigneur ? dit Jean
- C'est Dieu"
Le brave soldat, mettant ses mains dans les siennes,
jura par sa foi que, Dieu aidant, il la mènerait au Roi,
et lui demanda quand elle voulait partir. "Plutôt maintenant
que demain, plutôt demain qu'après," dit-elle.
Un autre, Bertrand de Poulangy, s'engagea comme Jean
de Metz à la conduire. (11)
Après ces adhésions publiques, le sire
de Baudricourt ne pouvait plus prendre la chose avec autant d'indifférence.
Jeanne lui avait fait part de ses révélations ; mais
fallait-il l'en croire ? Si elle avait des visions, d'où
venaient-elles ? Pour éclairir ce point, la capitaine la
vint trouver un jour chez le charron, ayant avec lui le curé
: le curé revêtu de son étole, se mit en devoir
de l'exorciser, lui disant que s'il y avait maléfice, elle
se retirât d'eux, sinon qu'elle s'apprôchat. Jeanne
s'approcha du prêtre et se mit à ses genoux ; toujours
humble, mais gardant dans sa soumission même toute sa liberté
de juger. Elle dit après, qu'il n'avait pas bien fait, puisqu'il
l'avait entendue en confession : il devait donc savoir si c'était
l'esprit malin qui parlait par sa bouche. Comme l'épreuve
n'était pas de nature à dissiper les doutes du Capitaine,
Jeanne lui cita la prophétie populaire : qu'une femme perdrait
la France et qu'une jeune fille la sauverait. On disait dans le
pays, "une jeune fille des marches de la Lorraine" ; et
la femme de Henri Le Royer, témoin de la scène, en
demeura vivement frappée ; car elle avait ouï cette
tradition que Jeanne s'appliquait. Mais Robert de Baudricourt
doutait encore. (12)
Cependant Jeanne était pressée de partir
: "Le temps, dit le même témoin, lui pesait comme
à une femme qui va être mère". Et tous,
excepté le sire de Baudricourt, semblait conspirer avec elle.
les deux hommes d'armes qui s'étaient offerts à la
conduire avaient pris sur eux les frais du voyage ; le menu peuple,
qui de plus en plus croyait en elle, y voulut concourir aussi.
Pour s'en aller parmi les hommes de guerre, il lui fallait
prendre leur habit. les gens de Vaucouleurs se chargèrent
de l'équiper. Ils lui donnèrent ce qui composait en
ce temps le costume militaire : gippon ou justaucorps, espèce
de gilet ; chausses longues liées au justaucorps par des
aiguillettes ; tunique ou robe courte tombant jusqu'aux genoux ;
guêtres hautes et éperons, avec le chaperon, le haubert,
la lance, et le reste (13). Un autre
aida son oncle à lui acheter un cheval. Déjà
tout à l'entour il n'était bruit que de la Pucelle,
de ses révélations ; et le duc de Lorraine, qui était
malade, la voulut voir et lui envoya un sauf-conduit. Elle se rendit
à son appel, ne voulant négliger aucun moyen qui pût
servir à son voyage. Jean de Metz l'accompagna jusqu'à
Toul ; elle continua la route avec son oncle et se présenta
devant le duc. Le duc la consulta sur sa maladie. Selon un témoin
qui prétend le tenir d'elle-même, elle lui dit qu'il
se gouvernait mal et ne guérirait pas s'il ne s'amendait
; et elle l'exhorta à reprendre "sa bonne femme,"
dont il vivait séparé. Dans le procès, Jeanne
se borne à dire que, consultée par le duc, elle déclara
ne rien savoir sur sa maladie, et qu'elle lui exposa en peu de mots
l'objet de son voyage, ajoutant que s'il lui voulait donner son
fils et des gens d'armes pour la mener en France, elle prierait
Dieu pour sa santé. Le duc évita de s'engager à
ce point dans l'affaire ; mais il la congédia avec honneur,
et lui donna, dit-on, un cheval et de l'argent (13).
Après avoir mis à profit cette excursion,
pour aller à deux lieues de Nancy, faire ses dévotions
à Saint-Nicolas, but fameux de pèlerinage (15),
elle revint à Vaucouleurs. Son départ ne pouvait plus
être différé. Le sire de Baudricourt, soit qu'il
ait pris l'avis de la cour de Bourges, soit qu'il ait dû céder
à l'entraînement qui se manifestait autour de lui,
n'essaya plus d'y faire obstacle. On dit que le jour où se
donna la bataille de Rouvray (Journée des harengs), Jeanne
le vint trouver et lui dit : "En nom Dieu (au nom de Dieu
: c'est sa manière d'affirmer depuis le commencement de sa
mission), en nom Dieu, vous mettez (tardez) trop à m'envoyer
: car aujourd'huy le gentil (noble) dauphin a eu assez près
d'Orléans un bien grand dommage ; et sera il taillé
(il est en péril) encore de l'avoir plus grand, si ne m'envoyez
bientôt vers lui." Il céda, et dès
le lendemain, premier dimanche de carême (13 février
1423), elle put se disposer à partir avec sa petite escorte,
savoir : Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, Jean de Honecourt
et Julien, leurs servants, et deux autres, Colet de Vienne, messager
du roi, et Richard l'archer. Plusieurs s'effrayaient de voir Jeanne
s'aventurer en si petite compagnie : six hommes armés, c'était
assez pour la signaler à l'ennemi, trop peu pour la défendre.
Mais Jeanne n'avait pas sa confiance dans le secours des hommes.
Ce n'était point une armée qu'elle était venue
chercher à Vaucouleurs. Elle dissipait ces craintes, elle
disait avec assurance qu'elle avait son chemin ouvert, et que si
elle rencontrait des hommes d'armes sur sa route, Dieu son seigneur
lui frayerait la voie jusqu'au dauphin qu'elle devait faire sacrer
: "C'est pour cela, disait-elle, que je suis née."
Le sire de Baudricourt vit la petite troupe au départ ; il
recommanda aux compagnons de Jeanne de lui faire bonne et sûre
conduite. Il lui donna à elle une épée, et,
doutant jusqu'à la fin, il la congédia en disant :
"Allez donc, allez, et advienne que pourra !" (23 février
1429). (16) (***)
Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Ilustrations :
- Tableaux de Lematte et de Wagrez dans "Jeanne d'Arc par
l'image" - Msr Le Nordez - 1898.
- Maison dite de Durand Laxart à Burey en Vaux "La
grande histoire illustrée de Jeanne d'Arc" - H.Debout
- 1922.
- Séparation de Mengette et Jeanne - Dessin de de
Curzon. (Jeanne d'Arc - M.Sepet - 3°ed.1891)
- Maison d'Henri le Royer à Vaucouleurs ("Jeanne d'Arc
par l'image" Mgr Le Nordez - 1898)
- Départ de Jeanne de Vaucouleurs - tableau de Jean-Jacques
Scherrer.
- Reconstitution de la tenue et de l'attelage de Jeanne au départ
de Vaucouleurs.
Notes :
1 Apparitions : "Ulterius confessa fuit, quod dum esset ætatis 13
annorum, ipsa habuit vocem a Deo, pro se juvando ad gubernandum.
Et prima vice, habuit magnum timorem. Et venit illa vox, quasi
hora meridiana, tempore æstivo, in horto patris sui, et
ipsa Johanna non jejunaverat die præcedenti" (Procès,
t.I, p.52).
Nous rétablissons dans ce texte la négation non
(non jejunaverat) que donnent les manuscrits authentiques (Bib.
ass. nle, Bibl.nle ms 5965, 5966) et qui manque par un lapsus
sans doute, dans l'édition de M.Quicherat. C'est pourtant
sur l'autorité de cette faute d'impression qu'un éminent
critique veut corriger le texte de la p.216 : "Et tunc erat
jejuna, nec præcedenti die jejunaverat," et prétend
que Jeanne était à jeun depuis deux jours
quand elle eut sa vision : "elle avait jeuné le matin
et le jour précédent". Elle n'avait pas
jeûné le jour précédent, non jejunaverat
die præcedenti ; nec præcedenti die jejunaverat ; et quant au jeûne du matin "et tunc erat jejuna",
notons que la mention en est dans un passage donné comme
extrait de l'interrogatoire de Jeanne (Procès p.216), et
que le procès-verbal de cet interrogatoire même,
le texte de la p.52 (de Q.Procès) n'en dit rien.
Est-ce une lacune ? au moins n'y en a-t-il nulle trace dans aucun
de nos trois manuscrits officiels. Ils sont d'accord pour supprimer
ces mots là où tout d'abord, ils devraient être.
Mais quand on devrait les y rétablir, comment ce jeûne,
réduit au jeûne d'une matinée, serait-il encore
pris au sérieux pour une cause d'hallucination ?
- Foi de Jeanne dans la Voix : "Quod sibi videbatur
digna vox, et credit quod eadem vox erat missa de parte Dei ;
et postquam audivit ter illam vocem, cognovit quod erat vox angeli."
(Procès t.1, p.52) Notons que dans ces premières
apparitions il ne lui est rien dit de sa mission. Si ces visions
n'étaient autre chose que l'effet d'un patriotisme surexcité,
c'est par là que les voix se seraient manifestées
à elle tout d'abord. La déclaration de Jeanne, dans
sa teneur, écarte donc absolument cette hypothèse.
(*
Voir ndlr ci-dessous)
2 "Quod fuit sanctus Michael quem vidit ante oculos suos
; et non erat solus, sed bene associatus angelis de coelo ...
Ego vidi eos oculis meis corporalibus æque bene sicut
ego video vos ; et quando recedebant a me plorabam, et bene voluissem
quod me secum deportassent". (Procès, t.I,
p.73) Cf.171 : "Et vidit ipsum multotiens antequam sciret
quod esset sanctus Michael... Prima vice, ipsa erat juvenis et
habuit timorem ; et de post idem sanctus Michael in tantum docuit
eam et ei monstravit, quod credidit firmiter quod ipse erat".
- Mission : Quod docuit eam se bene regere, frequentare
ecclesiam, et et eidem Johannæ dicit necessarium esse, quod
ipsa Johanna veniret in Franciam" (Procès, t.I, p.52)
; "Et lui racontet l'ange la pitié qui estoit en royaume
de France" (ibid.p.171) ; "Dixit sibi quod sancta Katharina
et Margareta venirent ad ipsam, etc... (ibid.p.170)
3 Voeu de virginité : "Prima vice qua audivit
vocem suam, ipsa vovit servare virginitatem suam, tamdiu quamdiu
placuit Deo" (t.I, p.128, cf. p.127 et 157)
- Recueillement : "Et sæpe dum jocarent insimul,
ipsa videbatur" (t.II, p.420)
- Secret : "Interroguee se de ces visions elle a point
parlé à son curé ou autre homme d'église
; respond que non... Et dit oultre qu'elle ne fust point contrainte
de ses voix à les celer, mais doubtoit moult le révéler
pour doubte des Bourguegnons qu'ilz ne les empeschassent de son
véage, et par especial doubtoit moult son père,
qu'il ne la empeschast de son véage faire." (t.I,
p.128)
4 Détresse de Charles VII : Th.Basin, Vie de Charles
VII, liv.I, ch.I
- Progrès des Anglais : Voir ci-dessus.
- Ordre de partir : "Quod illa vox sibi dicebat bis
aut ter in hebdomade quod oportebat ipsam Johannam recedere
et venire in Franciam." (t.I p.52) ; "Quod ipsa Johanna
iret ad Robertum de Baudricuria apud oppidum de Vallecoloris,
capitaneum dicti loci ; et ipse traderet sibi gentes secum ituras"
(ibid.)
5 Combats intérieurs : "Quod mallet esse distracta cum equis quam venisse in Franciam
sine licentia Dei" (t.I p.74) ; "Et non poterat plus
durare ubi erat" (ibid. p.53) ; "Quod erat una
pauper filia quæ nesciret equitare et ducere guerram (ibid.)
6 Voir l'appendice n°12
7 Robert de Baudricourt : "Ipsa cognovit Robertum
de Baudricuria, cum tanem antea ninquam vidisset, et cognoivit
per illam vocem prædictum Robertum" (t.I, p.53) Cf
les témoignages de D. Laxart, son oncle, de Jean de Nouillompont,
dit de Metz, et de Bertrand de Poulengy, ses premiers adhérents
(t.II, p.444, 436, 456) et la chron. de la Pucelle ch.42.
8 Retour : "Ipse autem Robertus bina vice recusavit
et repulit eam, et ita etiam dixerat sibi vox quod eveniret"
(Procès, t.I p.53)
- Demi-confidences : "Quod erat una Puella inter Couxeyum
et Vallis-Colorem, quæ, antequam esset annus, ipsa faceret
consecrare regem Franciæ" (t.II p.440)
- Gérardin d'Épinal : t.II, p.423
- Songes et menaces de son père : t.I, p.131
- Son poursuivant de Toul : t.I, p.127
9 Son prétexte pour partir : Procès, t.II
p.428 (Isab.Gerardin), 430 (Mengette) et 434 (Colin). "S'elle
eust cent pères et cent mères et s'elle eust été
fille de roy, si fust-elle partie" (t.I p.129)
- Adieu à Mengette : t.II p.431
- Hauviette : "Nescivit recessum dictæ Johannettæ
: quæ testis propter hoc multum flevit" (t.II, p.419)
- Adieu au père de Gérard Guillemette ; au
gens de Greux : t.II, p.416 (Gér.Guillemette), et p.421
(Waterin)
10 Séjour de Jeanne à Vaucouleurs : "Erat
bona, simplex, dulcis et bene moderata filia... Libenter et bene
nebat, et quia nevit in domo sua cum ipsa" (t.II, p.446)
; "Erat bona filia ; tunc nebat cum uxore sua, libenter ad
ecclesiam" (ibid., p.448) "Audiebat missas matutinas
et multum stabat in ea orando. Dixit etiam quod vidit eam in capsis,
sive voltis, subtus dictam ecclesiam stare genibus flexis ante
Beatam Mariam (ibid. p.461). On montre encore les restes de cette
chapelle souterraine à Vaucouleurs. Elle se confessa deux
ou trois fois durant son séjour (ibid. p.432)
- Sa résolution : "Quod si deberet ire supra
genua sua, iret". (ibid.p.448)
11 Jean de Metz, et Bertrand de Poulengy : t.II, p.436
et 456. A propos de la fille du roi d'Écosse, M. Jules
Quicherat (ibid. p.436) fait la remarque que, dès lors,
il était question de marier Marguerite d'Écosse
au fils du roi, encore enfant.
12 Baudricourt, et le curé exorcisant jeanne, etc...
: t.II, p.446, 447 (Cath. femme de Henri Le Royer).
13 Voir dossier : les
vêtements de Jeanne. (ndlr)
14 Impatience de Jeanne : "Et erat sibi tempus grave
ac si esset mulier prægnans" (ibid.)
- Les frais du voyage : ibid. p.437 (J.de Metz) ; équipent
(ibid.), et Vallet de Viriville, Iconog. de J. d'Arc, p.2, 3.
Le cheval acheté par son oncle coûta 16 francs, soit,
à raison de 10fr.42c., s'il s'agit du franc d'or, 166fr.12c.
(valeur intrinsèque).
Celte somme pent être regardée comme le prix d'un
cheval ordinaire. Dans l'extrait des comptes de Hémon Raguier,
on trouve qu'il a été payé pendant la campagne
du sacre à M. de Rosiers, de Provins, 30 liv. tourn. pour
deux chevaux ; un cheval donné à Jeanne à
Soissons coûta 38liv. 10s., un autre à Senlis, 137l.10s.
(Ms. Gaignières, n° 772, f° 559 et 558.) L'an 1429,
la livre valut en avril, 5 fr.64c. ; en mai, 5 fr.49c. ; en juin,
3fr.95c.; en novembre, 9fr.22c. valeur intrinsèque. La
valeur relative élèverait fort sensiblement ces
prix ; mais ici les bases d'évaluation sont très
incertaines.
Jeanne chez le duc de Lorraine : t.I, p.54; cf. t.II,p.391,
406, 437, 443 ; t.III, p.87.
15 Pélerinage à Saint-Nicolas : D'après
la déposition de Catherine, femme de Henri Le Royer (t.Il,
p.447), on devrait croire que le Saint-Nicolas dont elle parle
est sur la route allant de Vaucouleurs vers l'intérieur
de la France. Jeanne y aurait été menée par
Durant Laxart, son oncle, lorsque rebutée par le sire de
Baudricourt, elle avait pris la résolution de s'en aller
seule vers le Dauphin : voyage qu'elle interrompit, réfléchissant
qu'il ne lui était pas convenable de se mettre ainsi en
route. C'est l'opinion adoptée par Lebrun des Charmettes,
t.1, p.331 ; et M.Renard,
s'étant enquis avec sa perspicacité ordinaire s'il
n'y aurait pas, dans la direction supposée, quelque lieu
qui répondit à cette indication, a su de M. le curé
de Domrémy que dans la vallée de Septfonds, à
quatre kilom. de Vaucouleurs, sur le chemin de France, il y avait
jadis une chapelle sous l'invocation de Saint-Nicolas (Jeanne
d'Arc ; examen d'une question de lieu, 1861). Mais Bertrand
de Poulengy mentionnant le pélerinage de Jeanne à
Saint-Nicolas à propos de son voyage auprès du duc
de Lorraine (t.II, p.457) entend parler évidemment de Saint-Nicolas,
près de Nancy : il faut opter entre les deux témoignages,
et j'incline plutôt vers le dernier.
(**
Voir ndlr ci-dessous)
16 Prédiction de la bataille de Rouvray : Chron.
de la Pucelle, chap.42.
- Escorte de Jeanne : Procès, t.II, p.406, 432,
437, 444, 457.
- Sa confiance : t.II, p.449 (Henri Le Royer).
- Adieu de Baudricourt : "Vade, vade, et quod inde
poterit venire, veniat." (t.I, p.55)
Ndlr :
(* Jean d'Estivet, promoteur de la cause à l'époque
du procès, s'est basé sur la minute française
pour établir son acte d'accusation du 27 mars 1431. Dans
l'acte d'accusation sur la p.216 de Quicherat figure donc une
partie de la minute française que de Courcelles en traduisant
le procès en latin, vers 1435, n'a pas reporté (volontairement
ou non) sur les interrogatoires officiels de cette séance
(p.52 de Quicherat), ce qui explique cette différence entre
les deux textes sur le jeûne de Jeanne. C'est pourquoi,
le père Doncoeur, dans son ouvrage sur "la minute
française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle"
estime, à juste titre, que les extraits du réquisitoire
de d'Estivet, en cas de litige, doivent être préférés
au texte des interrogatoires officiels du procès car ils
sont basés sur la minute en Français rédigée
par le notaire Manchon.*)
(** Seul le témoignage
de Catherine Le Royer mentionne St Nicolas comme étant
sur la route du départ de Jeanne vers le dauphin. Un vieux
crucifix qui se trouvait dans cette chapelle de St Nicolas de
Septfonds existe toujours. Une inscription très ancienne
mentionne que Jeanne d'Arc y était venue prier. Rien n'empêche
de croire qu'elle y soit venue prier pendant son séjour
à Vaucouleurs en attendant l'accord de Baudricourt.
Cependant, si l'on consulte une vieille carte de Cassini, on constate
que St Nicolas de Septfonds est, à l'époque, dans
un cul de sac. Il est invraisemblable que Jeanne et son escorte
(Laxart et Alain), dès le départ pour Chinon, fasse
un détour pour venir prier dans ce lieu isolé. D'autre
part ce faux départ serait en contradiction avec les propres
déclarations de Jeanne qui déclare au procès
qu'elle savait par ses voix que Baudricourt la refuserait deux
fois et céderait à la tierce "Dit oultre
que ledit de Baudricourt la refusa par deux foys. A la tierce,
la receut, et luy bailla gens pour la mener en France, ainsy comme
luy avoit dit la voix." (Ms. d'Orléans)
On peut penser que le témoignage de Catherine Le Royer
mentionnait également le pélerinage à St
Nicolas près de Nancy.**)
(*** H.Wallon mentionne ici par erreur 2
dates de départ : tout d'abord le 13 février 1429
puis le 23 février en fin de texte)
Le 13 février est la date donnée par Jean de Metz
(dimanche de Bures qui correspond à la date du 13 février)
et la relation
du greffier de la Rochelle qui mentionne le 23 février
l'arrivée à Chinon sachant que le voyage avait duré
11 jours.
Les dates traditionnellement admises étant néanmoins
le 23 février pour le départ et le 6 mars l'arrivée
à Chinon. ***).
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